Marinette
Lasnier, est née le 2 juin 1906, à Moissey,
au château
[Ce
château a été acquis par les
époux Lasnier à Mme Marie Gaillard,
rez-de-chaussée et aile sud, vers 1905 ET
par la famille Picot de Morras d'Aligny, 1er
étage+grenier et aile nord dont la chapelle,
à la même date.
En
1920, Albert et Julie Lasnier
ont racheté la part de la famille
d'Aligny.
En
1961, Marinette Lasnier, fille
d'Albert et Julie, a vendu le tout aux époux
Preney, qui ont procédé à de
très importantes
réparations.
En
2001, Claude Preney, fils des
précédents, a vendu le domaine
à Peter Synek et Susan
Borova].
page 1
Je [Marinette Lasnier] suis
née à Moissey le 2 juin 1906,
et mon frère Jean Albert est
né à Moissey le 12 janvier 1905.
Filiation.
Mon trisaïeul,
Jean-François Bournot, demeurant à La Loye,
était couvreur à paille, il savait
écrire. Sa fille, mon
arrière-grand-mère Victoire Bournot
habitait à La Loye, dans la famille des
héritiers Secrétan.
Mon grand-père, Charles
Bournot, est né au mois de novembre 1853 dans
cette famille, mais il ne fut pas reconnu, porta le nom
de sa mère; son père, paraît-il,
était un personnage important et sa mère ne
révéla pas son nom. Toutefois, ma
mère put apprendre par le Docteur Sullero de Dole
des choses intéressantes sur la filiation de mon
grand-père. Les origines dateraient de 1800 ou
1802 où la grand-mère de Charles Bournot
fut préceptrice à la Cour de Russie, eut un
fils
qui serait le père de mon
grand-père, enfin, mon frère et moi
étions typés, ainsi que nos
enfants.
Charles Bournot vint habiter
Rochefort-sur-Nenon, il épousa ma
grand-mère, Elisabeth Huguenet; de tailleur de
pierre, il devint maître-carrier. Garde-pêche
de la famille Marcel Perron de Dole (Vins en gros), il
exploita donc les carrières de Rochefort, sur le
Doubs. Ma grand-mère eut dix-huit enfants, dix
seulement vécurent. Ma mère Julie Anna
devint sage-femme, elle était
l'aînée. Ma grand-mère acheta un
petit commerce qui fut baptisé "La Baraque",
situé sur les bords du Doubs après le Saut
de la Pucelle, et chaque dimanche, elle cuisinait
d'excellentes spécialités de tout un
mélange de variétés de poissons du
Doubs; en fait, ces succulents mets étaient
réservés à Marcel Perron de Dole.
Mon grand-père plaçait des verveux dans le
Doubs.
J'en reviens à ma
naissance.
Je fus baptisée Marie
Elisabeth, mais ma maman m'a toujours appelée
"Marinette".
page 2
Ma mère
Julie Anna Lasnier, sage-femme.
Ma mère est
née en 1876 à Rochefort, fit ses
études de sage-femme où elle fut
reçue à 19 ans, lauréate et
sage-femme de 1ère classe à
Besançon, et elle vint s'installer à
Moissey, à la Rue Basse, où elle loua la
totalité d'un vieux couvent avec
dépendances et jardin; elle vivait là avec
sa sur Léonie, qui épousa Jean
Derriey de Moissey. Plus tard, le Docteur
Simeray fit l'acquisition de cette
propriété (le vieux couvent) [AB 50
& AB
47].
Maman était le
dévouement personnifié. Pendant 31 ans
d'exercice de sa profession, elle n'a pas perdu une
patiente. La plupart du temps, elle se rendait à
pied, nuit et jour, dans tous les pays environnants que
je vais citer. J'entends encore les petits coups
frappés aux volets, la nuit, on venait la chercher
la nuit, Peintre, Pointre, Frasne, Offlanges,
Montmirey-la-Ville, Montmirey-le-Château et j'en
passe. Dès les premières douleurs, les
femmes la réclamaient, elles avaient peur, maman
leur parlait en patois local, surtout chez les
cultivatrices, certaines patientes étaient
visitées trois fois par jour, les
bébés suivis jusqu'à la chute du
cordon ombilical. Maman partait par tous les temps, la
nuit, le jour, aucun honoraire n'était
perçu chez les plus démunies -et il y en
avait-.
La
Thasie
Pitot-Belin
eut 30 grossesses. Madame Maître à qui nous
donnions une vieille maison Rue Belle Orange fut une
mère prolifique (la maison Rue Belle Orange fut
vendue au maçon Jean Zocchetti) et maman
continuait sans relâche.
A l'époque, il
n'y avait pas d'antibiotiques et peu d'antiseptiques.
Mais les abcès du sein étaient
traités par des cataplasmes de fleurs de sureau.
Les risques de phlébite par les sangsues (chez
ma
tante Robert
Yves, il y en
avait des quantités dans le ruisseau
séparant les parcs à fruits) enfin je ne
veux pas m'étendre sur les anciens
traitements
et ne dois pas trahir le Serment
d'Hippocrate.
Au début du
siècle, les femmes accouchaient chez elles. Pour
changer les nouveaux nés, il n'y avait pas de
couches, on coupait des carrés de toile dans les
draps et l'on confectionnait des drapeaux, je dois dire
que ma mère a souvent coupé nos draps pour
en ourler, dans certaines familles, on déposait
bébé dans de la balle
d'avoine.
page 3
Mon père.
La filiation de mon père Jean,
Louis, Albert Lasnier.
Renseignements écrits par Mr
Athias, secrétaire de mairie de Mutigney-Chassey
(Jura).
On retrouve dans les registres de
l'état civil la filiation des
ancêtres.
[A Mutigney, il y a sur l'ancienne
maison des mes arrière-grands-parents Lasnier une
plaque à leur nom. C'est la gérante de la
cuisine de la maison de retraite du Mont Guérin
qui habite cette maison]
En ce qui concerne mon
père,
avant 1815 : Jean-François
Lasnier, cultivateur.
1815. Jean-François Lasnier
cultivateur-propriétaire, ensuite pas
trouvé. J. F. Lasnier, décédé
en 1856. A Mutigney. Son épouse, Jeanne Bideaux,
enseignante libre à Mutigney. Enfin, depuis 1792,
il y eut plusieurs familles Lasnier à Mutigney.
Jean Lasnier, père de mon père,
décédé à l'âge de 21
ans et 8 mois, il avait fait ses études à
Paris, afin de devenir notaire. Il eut un enfant à
Paris, qui porta le nom de sa mère (Mme Bachotet);
le demi-frère de mon père Albert Bachotet
fut aidé par la grand-mère Marie Bideaux,
fit de brillantes études et devint agent de change
au Palais Brongniart, il venait nous voir tous les
ans.
Mon père est né à
Pesmes, Haute-Saône, le 31 mars 1879. Sa
mère Marie Renaud, âgée de 36 ans,
était négociante en tissus et mère
d'une petite fille Blanche, qui plus tard, épousa
Mr Yves Robert, greffier de Justice et
propriétaire de vignobles à Moissey.
[voir
aussi un brin de généalogie
Robert et un
autre]
Ma grand-mère était
propriétaire à Pesmes, d'une grande maison
voisine de la vieille église, c'était de
rendez-vous de chasse du Cardinal de Granvelle
(classée en partie par la Société
des Monuments Historiques).
Ma cousine, Marie-Louise
Régnier, qui vit actuellement [ndlr: en
1996] à la maison de retraite du Mont
Guérin a habité ce Rendez-vous de Chasse,
qui fut vendu à son père Henri Renaud par
mon père (ils étaient cousins et s'aimaient
beaucoup).
Un autre cousin, Lucien Renaud
possédait la maison Louis XIV [ndlr: la maison
royale], où, si mes souvenirs sont exacts, on
expose peintures et sculptures. Mme Régnier peut
vous renseigner, je lui adresse mes affectueuses
pensées.
page 4
Mon frère Jean Albert
Lasnier
est né en 1905 dans la maison
Donard [AB 339], sur le ruisseau des Gorges,
route de Moissey à Dole.
Je suis née le 2 juin 1906 au
château de Moissey dans la tour sud-est,
côté jardin, donnant sur le parc de
la
famille By [Collieux, AB
287]. Mon père avait acquis la moitié
du château à Madame
Marie Gaillard en 1905, mais
plus tard, nous habitions le rez-de chaussée. Mon
père loua le premier étage au Docteur
Simeray lequel loua l'autre partie -je pense- au Baron
Picot d'Aligny, qui lui, loua le rez-de-chaussée
à Mme Veuve Amiot.
Je n'ai connu que les trois
tours.
La propriété de la
famille By avait été dépendance du
château. Nous avions de bons voisins, les By
[Victor et Marie], les Barbier, Mr et Mme Albert
Monnier. Mr Albert Monnier s'associa à mon
père pour le commerce du Bois, bois de chauffage,
traverses pour la SNCF. Le père Pitot-Belin, mari
de la Thasie [Anasthasie Guyot], fut longtemps
notre employé, nous avions deux boeufs et un
cheval et... des chars à quatre roues pour avoir
accès aux coupes de Bois de la Serre, il fallait
un attelage.
Nous étions
séparés de la propriété By
par le canal et un mur, jusqu'à la place de la
Fontaine (surmontée du buste du Sénateur
Lefranc), une grande allée conduisait à la
place du château; à droite, c'était
notre potager, nous avions (avec des engrais naturels) de
magnifiques légumes, une haie de framboisiers, des
pêchers, un immense noyer. Les "petits mots"
échangés entre mes parents et les By
venaient que ces derniers avaient un élevage de
pigeons, dévastateurs des semis de graines! mais
cela s'arrangeait toujours et nous étions de bons
clients pour les pigeons et les oeufs des poules des
fermiers By.
Le jardin côté nord nous
séparait de la maison du notaire, une partie pour
Mme Amiot, une partie pour le Dr Simeray; Madame Besson
était une amie de ma mère, personne
très distinguée, toujours vêtue de
Blanc, elle avait le culte des roses et la
barrière qui séparait sa
propriété du jardin était un immense
rideau de rosiers dont les fleurs odorantes
étaient un éventaire de magnifiques
couleurs très variées, mais je cueillais
des roses et les portais à ma grand-mère
Mme Lasnier-Renaud, qui, dans son âge
avancé, avait quitté Pesmes pour habiter
chez Mme Robert, sa fille.
page 5
L'an 1905, nous habitions dans une
partie du Rez-de-Chaussée au château,
l'autre partie était occupée par Mme Amiot
(la grand-mère des enfants Aubert), elle
était pauvre et se nourrissait de gaudes; elle
vivait dans la petite tour, cuisait ses gaudes sur un
petit poêle à bois, mon frère et moi,
bien que n'étant pas privés à la
maison, nous nous rendions chez la mère Amiot pour
la cuisson des gaudes et notre joie était de
gratter le fond de la cocotte pour déguster ce
qu'on appelle la rasure.
La messe de Minuit. Mme Amiot ne la
manquait pas, elle disait "y vais à lai messe de
minneu", elle parlait patois. Ce soir-là,
réunion pour le Tarot, Mr
Béjean, Mr Guillaume,
Guelle d'Offlanges etc... Mais je guettais Mme Amiot, le
froid sévissait, la neige tombait en gros flocons
et cette bonne vieille m'apparaissait, bonnet blanc,
pélerine main droite sa canne, main gauche sa
lanterne, elle marchait tout doucement pour éviter
de glisser et pour arriver à l'église,
entendre la bonne parole du cher Abbé
Brûlot, il fallait affronter la ruelle des
chevaux.
Le lendemain, c'était la
découverte des sabots, dans la cheminée,
tous les petits enfants de Moissey n'oubliaient pas de
les y mettre, bien souvent ils n'y trouvaient que 2
oranges et 4 papillotes, mais le Père Noël
était passé, c'était
l'émerveillement.
Je revois ma maison natale,
étant née en 1906. Je n'ai connu que les
trois tours, la grande cour carrée, de chaque
côté les galeries soutenues par
d'énormes piliers, les grandes caves
voûtées [en réalité,
l'espace sous les galeries, non creusé],
côté droit une petite écurie pour les
boeufs qui charroyaient les grands chênes abattus
en forêt de Serre, pour les traverses et le bois de
chauffage (certaines arcades étaient encore
murées et toujours à droite, il y avait une
immense grange, un côté pour notre
réserve de bois, une partie pour les
chaudières qui servaient pour faire la bue et
stériliser les cèpes (il yen avait en
quantité en forêt de Serre, les f.......s,
les haricots verts, dans cette pièce un grand
alambic, mon père (possesseur de vignobles
importants) faisait tirer le marc, le kirsch et
même la mirabelle, il y avait de nombreux arbres
dans le parc derrière le château; nous
avions des ruches, et dans la tour côté sud
donnant sur le jardin et le puits (découvert par
papa) il y avait des fissures, une meurtrière
où les abeilles avaient essaimé, le miel ne
manquait pas...
du côté gauche, il n'y
avait qu'une tour, habitée en bas par Mme Amiot,
les piliers soutenaient les arcades, les galeries (dans
les galeries, une belle chapelle, la galerie du fond
servant d'étendoir).
Je dois dire que les eaux-de-vie
étaient soutirées par le père
René Gaillard, voisin de Mr Penneçot.
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En bas de la chambre à four,
là, mon frère (Albert Lasnier) en
s'introduisant dans le four, explora et trouva les
oubliettes avec des ossements humains.
A côté de la chambre
à four, il y avait une pièce ouverte,
l'entrée était une arcade soutenue par des
piliers, c'est là, que pendant les périodes
de pêche, nous prenions le repas du soir, car mon
père, pêcheur invétéré
revenait chaque soir de Montrambert, il pêchait
dans l'Ognon, au Moulin, à la traîne, il
plaçait des lignes de fond. Les plats
impressionnants de poissons frais se préparaient
là, afin d'éviter les odeurs dans la
maison.
Papa était un grand chasseur,
réputé, il faisait le coup du roi en tuant
deux bécasses à la fois. Je le vois revenir
un hiver, il neigeait, sur ses épaules 2
marcassins: l'Action Jurassienne lui avait
consacré un article, c'était je crois, en
1918, il avait blessé un sanglier, qui se
traîna vers un étang, notre chien Salambo
suivit le sanglier risquant de tuer son chien,
délibérément il sauta dans
l'étang recouvert d'une couche de glace, son
couteau à cran d'arrêt ouvert et poignarda
le sanglier, cela fit du bruit dans la
région.
Mon père, un hiver, tua une
laie à la bauge, ce devait être pendant la
guerre [la 39-45], il avait été
demandé à la scierie par son ami Firmin
Béjean et avait quitté l'armée. A la
bauge, la laie laissait 3 petits sangliers rayés
jaune et noir, mon père revint avec les petits
dans les bras, l'un fut adopté par Sirdey
[Roger ?] de Montmirey-la-ville, l'autre par
Guelle d'Offlanges. Nous gardâmes le 3e que maman
appela Azar; elle l'éleva au biberon et aux
gaudes, il devint superbe (et très voleur: il
allait chez l'épicier Charles
Grebot [le
père de Bernard] et
s'enfuyait avec des paquets de chandelles dans la gueule,
le suif servait à graisser les fissures des
tonneaux avant les vendanges.
C'est Mr Dourlot, capitaine en
retraite à Offlanges, qui abattit notre sanglier
qui s'était enfui à Offlanges,
Arsène Ardin, facteur, se trouvait là et
vint nous prévenir, nous fûmes
consternés ayant une adoration pour cette
bête. Et Mr Dourlot faillit perdre sa retraite car
il avait tiré du gibier en temps prohibé
(maman plaida sa cause).
Autre histoire. Mon frère avait
un épervier toujours perché sur son
épaule, et lorsque mon frère allait chez le
boucher acheter la tête de mouton pour pêcher
les écrevisses au Moulin de Frasne, l'Epervier se
jetait sur un quartier de viande et Mr
Tomczyk [le père
d'Yvonne] poussait les
hauts cris, très fâché (il y avait de
quoi).
J'ai connu 3 bouchers à
Moissey: Philibon, Donzel et Tomczyk.
Nos deux renards apprivoisés,
une nuit, pénétrèrent dans la
voilière et saignèrent 24 poules.
page 7
Nous avions 3 chiens de chasse,
Salambo, Reveillo et Phanar. Ils furent enterrés
au pied d'un rosier, dans la volière.
Je reprends la description du
Château, au Rez-de-chaussée, un grand salon,
les murs recouverts de boiseries sculptées du
XVIIIe siècle, une immense cheminée
surmontée d'une glace ancienne et d'un d'un
chapiteau représentant un gladiateur. Avant la
dernière guerre, des Américians vinrent
visiter le château, achetèrent les boiseries
du salon, la glace etc... (mon père étant
en difficulté d'argent), ils proposèrent de
démolir les galeries et d'acheter les
énormes piliers. Mon père
refusa.
Avant 1961, la belle Tour
d'entrée s'effondra. Le Dr Preney, en
décembre 1961, fit l'acquisition du château
mais le reconstruisit avec ses tuiles anciennes et les
poutres admirables (une dentelle, une enchevêtrure
de bois sculptés, étant très
onéreux, le Docteur renonça).
Maman était persuadée en
grattant un débris de pilier, retrouvé par
le Dr Preney, avoir remarqué gravé dans la
pierre une date l'an 870 ?
Pour accéder au
cimetière, aux terrains, aux vignes
derrière le château, il fallait contourner
tout le pays, prendre la route d'Offlanges, mon
père autorisa les habitants du pays, très
gênés par ce long trajet et les personnes se
rendant au cimetière très souvent, mon
père leur permit d'emprunter l'allée du
château, de suivre la belle allée
très ombragée (il y avait des arbres
magnifiques, très vieux, puis de traverser le parc
bordé de très nombreux
cerisiers).
La
maison du notaire [AB 266, devenue école
communale] fut vendue en
1927 ainsi que le superbe mobilier, maman ayant
assisté à cette vente me décrivit
des verres en cristal avec des pieds en argent
massif.
Si mes souvenirs sont exacts, c'est
Mr
Telliet, maître-carrier
qui acheta [NDLR: loua vraisemblablement] la
maison Besson. En décembre 1961, nous prîmes
Rendez-Vous, mon frère et moi, avec Mr et Mme
Preney et Me Girardier, la vente fut conclue au profit du
Dr Preney.
J'ai oublié de mentionner que
mon père avait acquis l'autre moitié du
château au Baron Picot d'Aligny, c'est ma
grand-mère Mme Renaud Lasnier qui régla cet
achat en 1911. [en 1920]
[Trois
extraits de la lettre de M. Picot d'Aligny en date du
22 mai 1920, qui vend sont "demi-château"
à Albert Lasnier.
Mon cher
Lasnier,
- Dans le cas
où le notaire aurait peur que l'enregistrement,
en face du prix beaucoup plus élevé de
mon achat (il y a 16 ans à peu près) ne
nous crée des ennuis, vous pourriez lui
demander d'y glisser une ligne indiquant qu'il y a les
réparations à faire.
- Vous savez que
j'ai pour locataire le Dr Simeray et Mme Mercerot:
j'espère que vous vous arrangerez avec
eux.
- Je regrette un
peu la chapelle et les jolies voussures qui s'y
trouvent: je compte sur vous pour les maintenir dans
leur intégralité: elles constituent pour
les amateurs la partie de valeur de ma moitié
de château.
Baron
d'Aligny]
page 8
Le Tacot. Pour se rendre à
Dole, il fallait prendre le Tacot. Pour mon
baptême, en janvier 1907, ma tante le prit pour
aller faire des achats à Dole, surtout les
dragées, mais la neige qui tombait dru
s'était amoncelée sur les rails du
côté d'Archelange et ma tante dut passer une
nuit glacée en attendant les secours.
Firmin Béjean occupait la
laiterie de Moissey, proche de la gendarmerie, qui
appartenait à ma grand-mère Renaud Lasnier
qui la légua à Mme Robert sa fille. Pour en
revenir à Mr Béjean, chaque jour il
attelait ses gros chiens à une petite voiture,
allait récolter le lait dans les fermes de Moissey
et aux pays les plus proches, je revois sur la petite
voiture les grands bidons de fer; le beurre se faisait
dans sa laiterie, le fromage blanc, la crème, le
caillé transformé en mettons et
entassé dans des pots de grès, on laissait
pourrir, pour faire la Cancoillote, très
prisée à l'époque.
La grande spécialiste,
c'était la mère Bon. Ce que j'ai vu: la
journée elle mettait ses pots sous
l'édredon, sur son lit, pour
accélérer le pourrissement, puis elle
fondait ce produit avec du beurre, un peu de vin blanc,
coulait dans des bols afin de vendre. La mère Bon
partait tous les jeudis à Dole, dans le Tacot,
elle avait une petite charrette, les gens passaient
commande, pour 10 sous, le soir elle revenait avec les
courses, c'était pratique, car il n'y avait pas de
bus, et à l'époque, pas d'autos.
Plus tard, les deux premières
autos furent dans les familles Béjean et
Thomas,
ces deux familles furent très très
gentilles pour nous, en nous transportant qui à
Dole, qui à Dijon, et puis, ce furent de grands
compagnons de chasse de papa. Que de gibier, au
château, sangliers, lièvres, perdrix,
ramiers, bécasses. Le Baron d'Aligny invitait papa
à ses battues, il avait une meute (mon père
préférait suivre le gibier avec son chien,
il n'aimait pas les battues et détestait le
braconnage).
Je vais joindre à ce
griffonnage quelques photos, je vous prie de m'excuser,
j'ai un doigt de la main droite presqu'inutilisable,
j'écris au fil de mes souvenirs, la
secrétaire de mon second fils pourrait à la
rigueur me taper ces écrits à la machine,
mais mon fils est souvent appelé à
l'étranger pour ses conférences (IRM,
scanner, enfin pour les appareils modernes) la
secrétaire est très occupée.
J'espère que vous pourrez déchiffrer (le
griffonnage, quelle horreur). Je vous remercie pour
l'opuscule de Blanche
[Devassine] et votre
charmante lettre. A bientôt, Bravo! Bon courage!
à bientôt. Marinette Debreuille.
Les pages qui arrivent maintenant
font partie d'un second envoi.
page 9
Moissey 1910. Les inondations.
J'étais petite, mais je me
souviens, le canal [le ruisseau du Puits Baudry,
encaissé entre deux murs, séparant le
domaine By et le château] débordait, les
jardins étaient inondés, la pluie qui
s'abattait sur le pays était torrentielle, les
caves très inondées, surtout celle du Dr
Simeray, il fallut bien des jours avant d'y avoir
accès.
En 1911, le Baron Picot d'Aligny
vendit sa partie de château à mon
père (je vous adresse une lettre à ce
sujet, du Baron). Mon père continuait sa
profession de marchand de Bois, achetant dans la Serre
où il y avait des chênes très vieux
et superbes, achetant dis-je des coupes; il faisait
abattre les gros chênes par des bûcherons du
pays (Cointot, Aupy, Vernier dit Pageot, le mari de la
Julia) ensuite les arbres étaient
débités en traverses (par des scieurs de
long, Italiens et très bons techniciens). Mon
père était fournisseur pour la SNCF, le
reste, des chênes transformés en bois de
chauffage, moules, cordes etc...
Chaque année, 4 femmes du pays
venaient, munies de leurs cardes, refaire nos matelas,
Marie-Louise Derriey, Joséphine, Julia, Thasie
Pitot-Belin, maman les installait dans le grand salon aux
magnifiques boiseries, un bon feu de bois brûlait
dans l'immense cheminée, car à
l'époque, il y avait deux grandes portes
vitrées, l'une donnait sur la cour, l'autre sur le
parc (les douves étaient comblées, on
pouvait accéder facilement au parc planté
de nombreux arbres fruitiers, 8 pruniers, 4 poiriers, une
dizaine de cerisiers, puis une partie plantée de
pommiers de différentes espèces qui
étaient délicieuses et qui n'existent plus
(particulièrement les reinettes grises, de
nombreux merisiers pour les conserves et plusieurs
néfliers).
Dans la tour nord, aux belles poutres,
logeaient des oiseaux de nuit, c'était là
mon lieu de refuge, je passais parfois des heures
à les regarder, je comptais les chouettes, il y en
avait 40 ! elles dormaient, puis d'autres rapaces,
je pense des chats-huants, des tiercelets (nous en avions
apprivoisé un, devenu très fidèle et
très carnivore); la nuit, les chouettes chassaient
chuintaient, parfois elles donnaient des coups de bec sur
les volets, maman disait que c'était un mauvais
présage, il y avait des nids de vipères au
pied de la tour.
Puis il avait un chenil, mais l'hiver,
les chiens dormaient à la maison.
Dans l'immense basse-cour attenante au
château, côté jardin, il y avait
poulaillers, clapiers, avec des poules, des dindes, des
lapins, puis une soue. Je me souviens de deux porcs que
maman avait surnommés Pyrame et Thisbé,
c'est le père Pitot-Belin, le mari de Thasie, qui
les soignait.
page 10
Le saigneur du pays (ce
devait être [Joseph]
Cointot) saignait ces cochons,
il y avait les grillades, le boudin (qu'on offrait) puis
la viande mise dans un grand saloir en grès. Dans
la cave voûtée, salée et
assaisonnée.
La choucroute faite par maman
était dans une grande cuve en bois, il fallait
bien manger l'hiver et tous les gens du pays
prévoyaient, les hivers étant rudes en ce
début de siècle.
Derrière le château, il y
avait de grands sapins (ils furent abattus) donnant de
l'ombrage sur les toits; l'hiver, les sapins recouverts
de neige étaient merveilleusement beaux, et
lorsque le vent soufflait très fort,
c'était des orgues, une merveilleuse symphonie
nous enchantait, quel chagrin lorsqu'ils nous
quittèrent.
La lumière. Nous nous
éclairions avec des lampes à
pétrole, pour la cave, avec des lampes "Pigeon" et
des bougies. L'arrivée de
l'électricité fut un grand
événement, les habitants du château
en profitèrent les premiers. Quelle joie pour mon
père et ma mère qui lisaient beaucoup
(surtout maman). Je revois ces livres, J.-J. Rousseau,
Zola, Hugo, Balzac, les livres de lycée de mon
père (que sont ces livres
devenus ?).
La soeur de papa, Mme
Robert Yves jouait du piano et
papa de la flûte; tous les dimanches, tante Robert
tenait l'harmonium et faisait chanter les jeunes filles
de Moissey.
Champs Rouges. Mon père
possédait une propriété: les Champs
Rouges, joignant le bois de Frasne, achetés
à Mr
Charles Odille, propriétaire à Moissey et
à son épouse Mme Stéphanie
Tramut, vers 1918. Ces terres
furent réquisitionnées par l'armée
et devinrent un champ de tir. nous fûmes
dédommagés; mon frère en nettoyant
grosso modo fit des découvertes: une
quantité considérable de douilles en
cuivre.
Plus tard, nous vendîmes "champs
rouges" à Mme Germaine Collieux [la
mère de René Collieux].
La guerre de 14. Le QG
réquisitionna la salle de séjour du
château et la grande tour de l'entrée pour y
loger 40 militaires, les soldats avaient faim. Maman leur
donnait des noix et des fruits; la population de Moissey
avait peu à manger, c'était le pain KK,
c'est-à-dire le pain noir, la sacharrine. Maman
avait eu par Mme Henry l'épicière, un pain
de sucre, elle en cassait un petit morceau chaque matin.
Albert Patin faisait au four et il nous donnait parfois
une petite miche de pain blanc, ainsi que Mme Collieux,
en reconnaissance à maman.
Le
camp des Prisonniers Allemands était situé
aux Gorges, les pauvres, ils avaient faim.
Je me souviens, en 1914, pour la
déclaration de guerre, les cloches
sonnèrent "le glas". Les hommes partirent, papa
à Besançon, puis en Alsace. Il refusa le
grade de sous-lieutenant, il voulut rester simple soldat.
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Papa ne resta pas des années
à l'armée, car Firmin Béjean avait
abandonné ses laiteries, avait monté une
scierie, proche de la gare du Tacot, papa lors de cet
achat, avait répondu pour lui et grâce
à ce service, Mr Béjean put le faire
revenir comme utile à la scierie (en fait, il ne
s'y rendait pas !).
Ce fut l'époque où les
sangliers chassés des Ardennes vinrent se
réfugier dans la Serre. Plus tard, avec Guelle
d'Offlanges, papa fit des carnages.
Les émigrés du nord de
la France arrivèrent, les gens du pays les
logèrent, maman donnait donnait du bois pour le
chauffage et des fruits.
Tous les soirs, les gens du pays
allaient prendre connaissance du communiqué
affiché à côté de la cure, en
face de la statue du Dieu de Pitié. Il y eut des
disparitions, des morts ! Les pauvres mères
pleuraient leurs fils (le monument érigé
vers la place du Dieu de Pitié en donne la
preuve). [22 tués].
Après ces dures années,
vint l'armistice en 1918, les cloches sonnèrent
à toute volée. Je revenais de
l'école et devant l'église il y avait un
char sur lequel était un grand tonneau de vin et
le vigneron, je crois qu'il s'appelait Bralet distribuait
à tout venant des verres de vin.
Pour l'inauguration du Monument aux
Morts de la Guerre, Melle Lissac et Monsieur
Guinchard, les instituteurs,
réunirent leurs élèves autour du
monument et nous chantâmes "Petit Drapeau",
c'était émouvant.
En fait, Moissey était devenu
un pays agricole, beaucoup de vignes furent
arrachées à cause du phylloxéra,
beaucoup de vignes furent arrachées, certains
propriétaires en possédaient encore, tel
mon père, au Mont Guérin, à
Créchot etc... mais j'ai vu des terres
plantées en blé, avoine, orge, maïs,
betteraves; mon oncle, Mr Robert possédait une
oseraie [plantation d'osiers] qu'il louait pour
l'élevage des bovins.
La laiterie Béjean n'existant
plus, il y en eut une, installée en bas de la
ruelle des chevaux, en face du petit bureau de tabac de
Mr Darcy ou Mr Ardin. Le soir, à partir de 18 h
30, les fermiers portaient leurs bidons de lait. La
laiterie, j'y ai connu Jeanne
Mignot [la maman de Lucienne Brischoux née
Rovet] vendant le lait, ce
qui restait passait dans l'écrémeuse, puis
la crème était barattée pour la
fabrication du beurre, le petit lait destiné aux
cochons, que les fermiers appelaient Gauri.
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Les adolescents se réunissaient
devant la laiterie pour rire, chanter et se raconter
leurs exploits. Les dimanches, c'était le bal au
café, en face de la poste, ce café et ce
bal étaient surnommés "La Gugu", il y avait
là un superbe piano mécanique, les jeunes
glissaient une pièce dans la fente d'une partie du
piano, mazurkas, polkas, valses et même tangos. Ce
piano, une pièce de collection à
présent.
Il y avait aussi, au mois de mai, la
fête annuelle, la Saint Gengoult. Les musiciens de
Pesmes installaient sur la toute petite place leur bal et
leurs estrades, c'était, si mes souvenirs sont
exacts les Dubois, ils jouaient dans des
cuivres.
Il y avait des manèges, des
chevaux de bois, les gosses étaient ravis. Pour
nous, la fête se passait souvent chez l'oncle
Robert à la rue basse. Joséphine Derriey et
la Julia étaient mobilisées, pendant deux
jours, pour faire les brioches et les tartes, il y avait
la chambre à four qui avait toujours
existé, il y avait toujours au menu des brochets
pris par papa, du vin jaune de Château
Châlon.
Les loisirs. Il y en avait peu. Au
printemps, les mousserons, au Mont
Guérin,
L'été, la récolte
des framboises dans la forêt de la Serre, il y en
avait des quantités,
Le ramassage des escargots,
La cueillette des cerises. Je dois
dire que les enfants Lasnier passaient les soirées
chez l'oncle Robert, avec les jeux de l'oie, des ombres
chinoises,
Les champignons "marasmes des
Oréades" [faux mousseron ou cariolette]
dans les prés,
Les cèpes dans les bois et des
quantités de petites fraises des bois,
Les écrevisses du Moulin de
Frasne,
Le glanage lorsque les blés
étaient rentrés,
Le grappillage après les
vendanges,
Les jeux dans la cour de
l'école [AB 436],
Parfois un petit cirque sur la
place,
Les fêtes annuelles des pays
environnants où les jeunes se rendaient à
bicyclette,
Et chaque jour, le PASSAGE
du TACOT, à la
Gare !
fin
moissey, le jeudi 7
mai 2015.