la
gendarmerie
Il y a à Moissey des
immeubles qui ravissent et dont la simple beauté
ne peut pas être égalée ou
améliorée. Mais il y en a un qui
étonne, pour le moins, par sa facture purement
urbaine, implanté en pleine campagne, c'est la
Gendarmerie à cheval. Sa forme et sa hauteur nous
feraient croire qu'il a été
érigé récemment. Il n'en est rien,
cet immeuble, déjà recensé sous une
forme bizarre en 1824 (date de l'achèvement de
l'Atlas parcellaire cadastral, dit cadastre de
Napoléon), s'est trouvé repris et
remanié jusqu'à obtenir l'allure qu'on lui
connaît [AB 94].
les deux
tours
La première (dit-on par
hypothèse) mouture, enfin celle qui
précéda le bâtiment actuel pourrait
remonter très loin dans le temps. Le
bâtiment n'était pas en H mais plutôt
en L, et de plus, l'espace entre lui et la rue basse
contenait deux autres immeubles, eux-mêmes
agrémentés de tours (2) qui les
desservaient, une chacun. On voit encore la seconde tour,
déjà abîmée, sur la vue
aérienne de 1925. Cette tour a perdu son chapeau
et l'eau a certainement continué ses
ravages.
La tour qui a persisté
et qui est bien partie pour persister ad vitam aeternam
(puisque le propriétaire, la gendarmerie
nationale, l'entretient), desservait trois niveaux qui
avaient chacun une hauteur sous plafond assez modeste,
à en juger l'espacement des trois portes entre
elles. Pour avoir soupçonné que cette tour
conduisait à une cave, la visite nous a blanchi le
chou puisque le sol, au niveau du terrain ambiant, est
minutieusement dallé. Mais on ne peut pas
s'empêcher d'être obligé de penser que
ces escaliers tournants, en pierre de Moissey ou de
Sampans, conduisaient au "sous-sol". Le chapeau montre
une charpente sur-dimensionnée, avec des bois de
chêne "dix fois trop forts" pour leur destination;
et juste sous ces bois horizontaux, les traces d'un vrai
pigeonnier qui a dû être installé par
un gendarme, utilisant la seule petite lucarne de
l'édifice, tourné vers la montagne de la
Serre. Notons tout de même que ces bois sont
adaptés à la couverture de pierres,
[loses, lauzes, laves] encore présentes
aujourd'hui, d'un poids considérable.
ce
que nous disent les papiers
L'immeuble, vraisemblablement
une ferme qui n'en finit pas d'une théorie de
granges, d'étables, de bûchers, de
résidences lapinières, de poulaillers a
été vendu à M. Yves Robert en 1894,
par un M. Le Grand de Mercey, propriétaire
demeurant en Saône-et-Loire.
Le procès verbal
d'installation, signé de Odon Joseph Loisey, maire
en exercice (et beau-frère de Pierre Lefranc,
sénateur inhumé à Moissey) et de
Ferréol Boucon, capitaine de gendarmerie, certifie
que "la brigade à cheval de gendarmerie,
créée à Moissey par décision
ministérielle du 1er juillet 1891, a
été installée aujourd'hui [1er
juillet 1899] dans la maison affectée à
son casernement et appartenant à M. [Yves]
Robert qui en a passé bail pour 18 années
consécutives".
Ce même bail a
été reconduit en 1917, ce qui a conduit
l'occupation locative jusqu'en 1935. En 1935,
l'état a choisi d'acquérir l'immeuble,
jusqu'à nos jours [en 2008].
De 1891 à 1899, la
gendarmerie à cheval était installée
dans la rue haute, dans la propriété de la
famille de Maurice Besson, AB 247.
une petite visite pour
essayer d'y comprendre quelque chose
Le vendredi 12 juillet 2008,
l'Adjudant Daniel Pradel, commandant cette brigade depuis
2002, nous a montré quelques documents
notariés et nous a fait visiter le
rez-de-chaussée et le grenier.
le
rez-de-chaussée
Si en 1824, le plan du cadastre
nous montre que l'immeuble a tout d'un bâtiment
d'exploitation agricole, en 1899, il a été
entièrement refait, sur d'autres plans, tout en
respectant la limite septentrionale de l'ancien immeuble.
L'immeuble, sous la forme qu'on lui connaît, a
été modifié entre 1824 et 1899,
peut-être même entre 1894 et
1898.
Les modifications ont
été très importantes. Le
bâtiment central et l'aile Nord ont gardé
leurs fondations et une partie de leurs murs, pour le
reste, le long de la rue basse, c'est du tout neuf. La
partie basse du bâtiment central est à
moitié enterrée dans le sol, à
niveau d'un côté et enterrée de
l'autre. La plupart des pièces de cet endroit sont
appelées caves, et effectivement, il y
règne une température de cave. C'est
d'ailleurs ici que subsistent encore les deux "chambres
de sûreté" une pour homme, l'autre pour
femme.
Dans le grand garage à
bicyclettes qui ouvre sur la rue basse, destiné
initialement aux chevaux car à quelques
mètres de l'abreuvoir de la rue basse, on est en
croisées d'ogives, dont le départ est en
pierre, jusqu'à 1 m du sol et tout le reste en
briques normalisées (genre 5 x 10 x 20 cm). Dans
le milieu du bâtiment central, on retrouve des
jambages et des arcs en plein cintre comme on en trouve
dans la rue du Dieu de Pitié, qui annonce des
dates comme 1615 et 1617. De là à dater ce
bâtiment "originel" du début du XVIIe
siècle, il n'y a qu'un pas. Les culots des
nervures des croisées d'ogives ne ressemblent pas
à ceux de la maison Miroudot ni à ceux de
la Maison Paroissiale, dite par ailleurs maison de Marie
Gaillard. Certains sont ornés d'un coeur en
relief. Partout dans l'ensemble visité, aucune
trace d'occupation chrétienne comme on trouve
abondamment ailleurs dans le village. Dans le reste du
village, les rares dates sont toutes
agrémentées, d'une croix en forme de signe
plus (+) entre les chiffres, et bien sûr des
initiales christiques (IHS) ou mariales (MA) ou
même les deux. Ça et là, des motifs
floraux, l'un à 5 pétales sur un manteau de
cheminée, deux autres à 8 pétales
sur les "corbeaux" qui soutiennent le seuil au-dessus de
l'escalier monumental à deux
volées.
La gendarmerie à cheval
a été éteinte par décret en
1937, mais Eugène Bigotte nous dit que l'usage de
la bicyclette a été adopté
dès 1890, jugée bien plus commode que
l'entretien régulier des chevaux, par les brigades
qui en ont vu l'intérêt. Chaque brigade
avait une grande liberté d'adopter les moyens de
locomotions qui lui siéraient le plus.
Il nous alors semblé que
cet immeuble n'avait pas été construit, (ou
rénové) à destination d'une
congrégation. La forme de l'ensemble
rénové, en H avec la barre
surbaissée, rappelle fortement le plan
adopté au moment de la construction des Ecoles
Normales d'Instituteurs et d'Institutrices construites
sous la IIIe république, et souvent même
bien avant, généralement au cours du
deuxième quart du XIXe siècle. Celles du
Jura, à Lons-le-Saunier, ont été
édifiées, en 1865 pour les garçons
et 1870 pour les filles.
les
combles
La visite du grenier n'apporte
aucun élément qui puisse dater ou
préciser la destination de l'immeuble. De
nombreuses les fermes ont été
remplacées par des entraits
sur-élevés, en sapin, alors que dans les
couvents Miroudot ou Marie Gaillard, on voit encore des
bois de soutènement placés à
l'envers des pièces de charpente de marine (en
somme, les "côtes" d'un vaisseau à
l'envers).
alors ?
On pourrait tenir pour certain
que cet immeuble a été rénové
en vue de loger une collectivité. S'il est logique
d'écarter l'idée de congrégation,
les hypothèses restantes sont peu nombreuses: une
école, un hôpital et pourquoi pas une
gendarmerie ? Le promoteur devait avoir des finances
solides pour la construction d'un immeuble qui
possède un nombre impressionnant de pièces
(14 pièces à feu au
rez-de-chaussée-sur-élevé), de
portes, de fenêtres, des
mètres-carrés de toiture en belle
quantité.
le 13 juillet 2008,
christel poirrier
pour
conclure
Lorsqu'on examine attentivement
les parcelles sur lesquelles a été
construite la gendarmerie actuelle, on comprend bien
qu'il s'agit d'un bâtiment neuf qui a
été érigé sur des fondations
anciennes, du moins pour ce qui concerne le corps
principal et l'aile Est. On croit comprendre que M. Yves
Robert a fait cette acquisition [en 1894]
à seules fins d'en faire une gendarmerie. Il a,
avant 1889, abondamment rencontré les
autorités militaires afin de réaliser
à leur demande un bâtiment qui conviendrait
parfaitement à sa destination. Ainsi on comprend
bien ce que cette construction, de type Haussmannien,
fait à cet endroit-là. Cette gendarmerie,
à l'échelle de l'histoire, est toute neuve,
puisqu'elle a fêté son 110e anniversaire en
1989, en même temps que nous avions
fêté le bi-centenaire de la
révolution.
le 7 septembre
2008, christel poirrier
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