Pour (faire) atteindre cet
objectif, tout de même assez ambitieux, il faut se
munir des éléments dont la liste
paresseusement s'exhibe et s'étire sous votre
regard culinairement moelleux..
Matériel
une
cuisinière, une jardinière ou une
épouse,
une cuisinière, une
gazinière, ou une plaque de
cuisson,
un gros
Tupperware,
un couteau d'ogre. (Il
suffit de trouver un ogre qui vous prêtera
volontiers son grand couteau).
Ingrédients pour
la marinade.
Des ails, des bulbes (voir la
cuisine aux trois bulbes, chez le même auteur), des
herbes en branches, des branches en herbes, des fleurs en
boutons, des asperges en tiges, des salades en bourgeons,
des pommtaires en tubercules, des carottes en racines
pivotantes, du persil en barbe, du thym, du laurier, du
poivre, et des clous de girofle (pas de marteau, pourtant
utile dans une autre de nos recettes pour construire des
meubles).
De l'huile, pour faire mariner,
étanche et bien couvert par dessus, du vin blanc
sec (il existe du vin sec, et ce n'est pas d'aujourd'hui,
mais aujourd'hui, il en faut 150 cl pour un cuissot de 25
hectogrammes) et deux décilitres de
vinaigre.
Attention, le ministère
de la Marine prétend ne pas être
habilité à vous seconder dans une telle
entreprise. Ce ministère prétend au
contraire qu'il est chargé de manager le troupeau
de marins de France.
Ingrédients pour
la bête.
Un cuissot de gros gibier, sans
les poils. (Votre attention, des malins s'amusent
à faire faire des dictées de
Mérimée où les excellents font des
fautes, en particulier on vous demande de savoir
distinguer cuisseau de cuissot. Le cuissot est le gigot
d'une grosse bête, alors que le cuisseau est une
petite cuisse d'animal commun, veau, chèvre...)
moyen de ne pas l'oublier cuissot, grot gigot et
cuisseau, petite cuisse de veau, facile,
non ?
Compagnie.
Il faut de la compagnie pour
cette recette, car c'est une recette compagnicole (qui
signifie "vivre en compagnie")
Cuisson.
20 minutes par livre. Bien
sûr, on peut aller chercher le cuissot dans sa
bibliothèque, mais ce n'est pas la recette
rustique proposée.
Qualités
mentales.
Un mental fort pour faire face
à toute la recette de A à Z (disons, pour
être plus simple, de Alpha à
Oméga).
Qualités
intellectuelles.
Une mémoire en bon
état, ou une mémoire à peu
près, afin d' être sérieusement en
mesure d'inoublier le cuissot. Pour ceux qui n'auraient
pas la tête pour, pourraient se munir de
mémo-prothèses, c'est-à-dire
appareils à capturer (copier) des images, des
sons, des odeurs.
Pour ceux qui se sentent tout
petits, choisir l'autre version de la recette,
c'est-à-dire "un cuissot oubliable",
édité par la concurrence.
Qualités
philosophiques.
Pas d'options marquées.
Un bon petit athéisme de principe, ou bon petit
agnosticisme, en tout cas une bonne laïcité
sociale comme il est besoin en ce changement de
millénaire.
Autres
ingrédients.
Dans une musette, placer un bon
saucisson, un bâtard de pain complet, deux
bouteilles de Beaujolais, un Opinel taille 10, quelques
petits cigares, une boîte d'allumettes ou un
briquet à gaz ou pas. Un tire-bouchons (avec ou
sans s, bien qu'il y ait deux bouchons inscrits au
concours).
Circonstances
optimales.
Un dimanche matin d'automne,
partir à quatre ou cinq personnes, vers les neuves
heures, prendre depuis Moissey sortie "Est" le CD 37 qui
conduirait volontiers à Amange s'il le fallait, et
s'arrêter sur le premier parc à Quatrelles
qui vous accueille sur votre gauche. S'assurer que vous
êtes seuls, que votre compagnie ne se
mélange pas avec une autre, une autre qui n'aurait
pas de musette... garnie (les clochards ne sont pas tous
sous les ponts).
Aviser la première coupe
(de bois) que vous rencontrez, regarder de tous les
côtés, sortir les fusils de leur
étui, puis les rededander dans l'étui
(rededander : remettre dedans, c'est-à-dire,
dedander à nouveau).
La compagnie devra se composer
d'un vétéran (à poil gris) qui sait
tout et qui surtout le professe, de deux jeunes chasseurs
avec des CAP de production (un à poil pie brun de
l'Est, l'autre blond), un étudiandiant en psycho
(à poil noir), et un Monsieur Brun de Tarascon,
c'est lui qui portera la musette, car c'est
celui-là qui n'a ni de permis de chasser ni de
fusil, et qui aurait même en douce une carte de
militant du front contre la chasse. Une Madame Brun pour
se dédouaner d'une autre idée
répandue sur le machisme des hommes et des
chasseurs, qui serait l'épouse de Monsieur Brun et
la confidente d'un des jeunes chasseurs.
Le vétéran devra
avoir un peu un air de pope, au moins la barbe,
l'étudiant en psycho devra zozoter un peu, les
deux ouvriers devront porter une admiration sans bornes
vers le pope, et Monsieur Brun, qui fera bien
d'appartenir à la fonction publique, au moins pour
la représenter, devra garder en tout cas son
devoir de réserve. Par exemple lorsque le pope
dira qu'il a lancé une balle de golfe
jusqu'à Villers-les-Pots en Côte d'Or, il ne
devra pas le traiter de menteur, mais reconnaître
qu'il y a des hommes forts parmi nous, au moins
lui.
Une fois la pompe
amorcée, l'Alphonse Daudet (ou le Paul
Arène, on ne sait pas, car plus on avance et moins
on sait) va vouloir en raconter des extravagantes, par
exemple, comme Pagnol, qu'il a tué trois sangliers
d'un coup. A ce moment-là, la compagnie est
prête à s'asseoir, la magie est
allumée et le fonctionnaire qui représente
l'état pourra proposer qu'entre deux coups de
fusil, on goûte le saucisson avec ce pain
exceptionnel, et ce Beaujolais qui est lui-même
tout étonné de se voir en plein milieu de
cette belle clairière qui trône en plein
bord du centre de la forêt.
Il y aura des souches
splendides, puisqu'on sera dans une coupe qui a
déjà un an d'âge, donc bien
vidangée, des souches superbes pour s'asseoir
dessus et pour commencer à disposer le Quatreures.
Le pope dira d'où devraient venir les oiseaux,
puisque ce serait la saison de la passe. L'un des jeunes
ouvriers dirait "t'es sûr". Ce jeune-là,
avec sa tignasse queue de vache serait le neveu de
l'autre, et ça expliquerait sa féale
accommodance. D'ailleurs, le pope en imposerait tout
naturellement puisque que ce serait un homme qui saurait
tout mais qui n'aurait pas appris dans les livres
justement. Et c'est pourquoi son savoir aurait ce
côté d'admirable, venant justement de
partout sauf des livres. Et il dirait au fonctionnaire
qui serait de l'éducation nationale, "si tu sais
que ce qu'il y a dans les livres, moi je peux t'en
apprendre" et le fonctionnaire serait consentant, parce
qu'il saurait bien que c'est justement pas dans les
livres que le déliceux de la vie est écrit.
(On peut dire autrement, c'est dans les livres que la vie
n'est pas écrite... Dans les livres, il y a la
fallité mais pas la
vérité).
En vrai, le pope, il en saurait
plusse qu'il n'en aurait appris, et de plus, il en dirait
nettement plus qu'il n'en saurait. Les Quatrautres
seraient plusse épatés que le pope aurait
prévu... Ainsi, le pope, il n'y aurait pas moyen
de l'arrêter, sauf quand on lui dirait qu'on
entendrait l'angélus de
Tarascon-la-Ville.
Évidemment, le pope
serait de Tarascon-la-Ville. Nécessairement.
Enfin, il serait natif de Moissey, mais il aurait
épousé sur Tarascon-la-Ville, pour tout de
même ne pas verser dans les vieilles histoires de
consanguinité, je marie ta sur et toi mon
frère etc...
Le pope appellerait tout le
monde "Philibert" et son neveu appellerait Monsieur Brun
"Filibaire", car en orthographe, il serait plutôt
"bon moins" que "bon plus".
« Alors Philibert,
caisse quilla dans ta musette ? »
alors tout le monde
s'asseoirait plus ou moins, Monsieur Brun poserait, au
point de concours des médiatrices, le saucisson,
l'Opinel Sacré et la planchette de foyard,
sacrée elle aussi. Afin que la première
bouchée de saucisson fasse école dans la
bouche des chasseurs-gustateurs, Monsieur Brun
surseoirait quelques minutes au service du pain, jusqu'au
moment où l'étudiandiant se demanderait ce
qu'il peut bien y a avoir dans des bouteilles
marquées Beaujolais, le nom d'une région de
France. Comme la Beauce ou la Brie, sauf que là,
c'est Beaujolais. Pas vilain, comme mot, Beaujolais.
Ça peut attirer un étudiandiant qui aurait
un peu l'esprit critique, pas que
héréditairement.
Sans tirer à la courte
paille, ce serait le blond qui ouvrirait les bouteilles
parce que justement, comme sa mère serait maire,
il se vanterait de bien savoir ouvrir les bouteilles.
Alors les Cinqautres le lui laisseraient croire, et c'est
lui qui ouvrirait les bouteilles. La vie est si simple
quand on ne la complique pas.
Au bout d'un Quardeure, quand
le pope aurait expliqué comme cette bonne
amie-là elle n'avait pas fait long feu dans ses
bras ou comme il avait failli massacrer quelqu'un qui
avait failli le regarder de travers ou encore comme il
avait assommé un sanglier de cinq cents kilos rien
qu'en lui disant "Halte, Toi le Cochon, tu es ici dans le
bois de Cronges, tâche de..." ça y est, le
voilàyerait assommé. Le sanglier mâle
d'une demi-tonne n'aurait jamais pu entendre la suite de
la phrase qui était "tâche de ne jamais
l'oublier". Le pope terminerait la plupart de ses phrases
par "Villers-les-Pots" afin que l'auditoire comprenne
bien.
L'étudiandiant à
cheveux noirs ensuite attraperait la bouteille le
premier, puisque "c'est celui quidi-quillet", et il
déclarerait d'une façon très
dominicale "c'est bon le Beaujolais" et la bouteille
passerait de l'un à l'autre, et le Saucisson
passerait aussi, et l'Opinel Sacré aussi, puis le
pain passerait un peu. Guère.
Au bout d'un temps, on serait
toujours à la passe aux oiseaux migrateurs, et on
serait couchés pour mieux les voir passer, avec
les fusils bien au fond des étuis. Le soleil
taquinerait le monde et le monde ne lui en tiendrait pas
rigueur, car le soleil serait tellement beau et la
clairière tellement belle.
Au bout d'un temps, le soleil
serait encore beau, la clairière lumineuse et la
vie toujours belle. On s'allumerait un petit cigare et on
parlerait à voix basse...
Des anges laïcs
traverseraient le ciel, invisibles et rapides, et
essaieraient de piquer des ronds de sos ou des miettes de
pain. Le silence aiderait à percevoir des bruits
de la nature, des pets, des rots, des ronflements sans
qu'on sache si ce serait des bruits de gibiers ou de
chasseurs.
Au bout d'un autre temps, long,
il ne resterait plus qu'à remettre la main sur
l'Opinel Sacré et les Bouteilles Païennes
(vacantes).
Madame Brun, dirait, "c'est
comme ça que j'aime la chasse".
Puis quand l'angélus de
Tarascon-la-Ville se déchaînerait, ou celui
de Tarascon-le-Château, il n'y aurait qu'à
remonter dans les bagnoles et déclarer en
rentrant, on n'a rien vu, pas d'oiseau, pas de lapin,
même pas un sanglier. Pas d'alcootest.
On remonterait dans les
bagnoles avec un peu de Beaujolais dans les veines. C'est
sûr qu'en l'an 1999, ce n'est plus aussi simple,
car il faut maintenant être à la fois
"chasseur" et "sous Quatre Dixièmes de gramme
d'alcool pur dans la tuyauterie". Ce qui n'est pas
donné à tout le monde.
Re-Circonstances
optimales.
Il est clair que si la
procédure précédemment
décrite n'a permis de rapporter aucun gigot d'un
mammifère allure cochon, il faudrait
réitérer, jusqu'à ce que
succès s'ensuive.
Enfin, rendre
exécutoires les sentences.
Dès qu'on a le cuissot,
le faire cuire et le manger, à plusieurs, avec un
vin qu'on aura soi-même récolté sur
le coteau d'Offlanges, ce qui fait l'objet de la
recette : "Comment boire du vin
d'Offlanges".
fin
(O,+)
v
(--------------)
fin
à moissey,
le dimanche 1, le lundi 2, puis le mardi 3 août
1999, christel poirrier.
Avertissement.
(Habituellement, on avertit au
début, parce qu'un lecteur averti en vaut deux.
Qu'un lecteur n'en vaille qu'un ne sera
déjà pas si mal, et permet ainsi d'avertir
après, puisqu'avant est inutile).
Toute ressemblance avec
des personnes ayant existé et m'ayant
emmené à la chasse avec elles est une
splendide coïncidence, puisqu'il s'agit
de
Michel T., chasseur
à Tarascon-la-Ville,
Didier T. son neveu le
jeune ouvrier à la chevelure queue
d'vache,
Régis B., le
blond et fils du maire de
Tarascon-la-Ville,
Bruno B., noir de poil,
qui fait l'étudiandiant,
le village de
Villers-les-Pots dans son propre
rôle,
de l'Opinel
Sacré taille 10 dans le rôle du
couteau,
de l'auteur et de son
épouse dans le rôle ébahi des
époux Brun,
et la coupe
affouagère, parcelle n° 18 des bois
communaux, dans le rôle de la
clairière.
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