au clocher
1977.
Rendre la monnaie, expression qui passe pour
désigner une revanche, ne signifiait à
l'origine que rendre ce que l'on devait à un
débiteur qui avait trop donné pour payer.
Puis l'usage a consacré le sens contemporain,
c'est-à-dire, rendre un coup pour un coup, du
même tonneau même si ce n'est pas de la
même année. On dit volontiers aujourd'hui,
rendre la monnaie de sa pièce.
Au mois de mai 1977, la municipalité du
village avait décidé de redonner à
son église l'éclat qu'elle avait il y a
trente ans, puisque tous les demi-siècles, il faut
rendre aux choses les atours de leur naissance, sinon,
elles risquent de passer pour des antiquités
millénaires.
Notre maire à tous, le Léon, de son
vrai nom Léon Désandes, commandant
retraité de l'armée de l'air, option
terrestre, était tout simplement aux anges,
puisqu'il allait enfin être celui par qui
l'éclat arrive, la réfection du clocher:
son beffroi, ses cloches et sa flèche octogonale
ardoisée allaient, à nouveau et enfin,
rebriller sur ce paysage de collines
inféodé de loin à notre
métropole.
Moissey était le seul village du canton qui
avait l'honneur d'être transpercé par la
route nationale qui allait de Lons-le-Saunier à
Pesmes. Quiconque de la région doloise ou
lédonnienne voulait rallier le cercle Polaire
arctique et tous ses vassaux se devait de traverser
Moissey.
Même celui de la région
Alpes-Provence-Côte d'Azur qui voulait aller
à Paris en passant par Pesmes était
"obligé" de passer par Moissey, c'est dire. Ce qui
faisait dire aux railleurs de Léon "Mois-sey,
c'est-moi".
Des railleurs, il n'en manquait pas, puisque le maire
Léon qui avait fait un long petit séminaire
manipulait la latinerie classique aussi bien que la
religieuse, ce qui n'enchantait pas ceux qui n'avaient
que frôlé ou décroché le
Certificat d'Etudes Primaires.
Ce midi du mois de mai était inondé
d'une forte intensité lumineuse qui tombait du
ciel, d'une brise de principe et d'un silence reposant.
Je sortis de classe à 11 h 30 et me
précipitai à la maison pour
m'équiper de trois de mes boîtes à
photos, deux 35 mm et un 6x6. Au moment où
j'empruntai la rue, je tombai sur un innocent de presque
mon âge, Pierre, qui après s'être
enquis de mon projet, me proposa de m'assister: grimper
dans le clocher et ensuite sur la flèche avec mes
trois appareils se serait présenté pour le
moins difficultueux.
En moins d'une minute, il débaucha deux de ses
coreligionnaires qui transitaient dans la maison de ses
parents, et nous voilayâmes quatre au lieu d'un
pour faire des images panoramiques du village depuis la
galerie du clocher.
La flèche de l'édifice était
enserrée dans un joli grillage de chevrons,
jusqu'à la pointe, et finalement, le plus
risqué avait été d'emprunter les
mauvaises échelles du beffroi qui permettaient de
se rendre d'un palier à un autre.
Vers treize heures, toutes nos pellicules avaient
été exposées, et grâce
à ces volontaires de rencontre, j'avais
moissonné trois fois plus que prévu. Ils
avaient bien compris ce que je leur avais demandé
et avaient soigneusement appliqué les consignes
techniques dites.
La joie débordant l'âme, je
décidai de redescendre, car il me fallait manger
un petit coup et retourner retrouver mes disciples du
cours moyen et élémentaire.
Seulement, arrivés dans le beffroi, mes
collègues d'occasion eurent une idée moins
lumineuse qu'acoustique: à la vue de ces belles
cloches endormies, ils se mirent à
réveiller tout le beffroi et dispensèrent
dans l'espace moisseyais des sonneries de cloches
complètement exotiques.
Une, deux, trois sonneries atypiques, puis comme ils
étaient trois, ils se titularisèrent de
chacun une cloche, et sans souci d'harmonie, ils finirent
par inquiéter la population, qui savait bien que
le chantier était fermé entre midi et
deux.
Tout le maire Léon jaillit de sa Rue Haute,
courut jusqu'à l'église, m'aperçut,
me considéra, m'inculpa et boucla la porte du
porche qui conduisait au beffroi, qui était
restée entrouverte et la clé dessus. Ravi
de sa trouvaille, il attendit que je retourne à la
galerie supérieure, pour jeter depuis le bas
"qu'est-ce que c'est que cette bande de jeunes cons qui
fait clocher les cloches". Je répondis "qui font",
c'est un vrai faux-singulier.
J'eus beau lui crier que je n'y étais pour
rien, il m'assura que j'étais maintenant
enfermé et que pour tout ce que je lui
raconterais, il ne voudrait pas le savoir. Ma
considération pour mes photographes occasionnels
commençait à bien s'éroder, car plus
je les traitais d'irresponsables, et plus ils
rigolaient.
Mon maire qui avait parfaitement compris la
situation, tout autant qu'il avait parfaitement compris
son erreur "judiciaire", continua à feindre ma
culpabilité et retourna chez lui. En chemin, il
rencontra Nicole, mon adjointe à l'école et
mon épouse au village (au théâtre, on
dit "à la ville") qui se rendait justement dans sa
classe, puisque l'heure de l'école
approchait.
Il lui annonça gaiement, "j'ai enfermé
votre mari dans Mon clocher... Figurez-vous qu'il est
avec d'autres énergumènes à taper
sur nos cloches, en plein repos de l'ouvrier. Alors je
les ai tous bouclés".
Ce disant, il ostensait la sainte grosse clé
dans sa main gauche et invoquait -tout en le
désignant- le ciel de son index droit, disons de
la main droite.
"Mais vous êtes fou, c'est l'heure de
l'école" lui dit-elle sans sourire. "Je ne veux
pas le savoir! Tant pis pour eux, tant pis pour
lui"...
C'est dès qu'elle lui parla de prévenir
l'inspecteur primaire que le Léon se rendit compte
qu'il fallait qu'il close sa représaille sur le
champ...
Quand je déboulai par la petite porte de la
tourelle, ré-ouverte depuis quelques minutes, je
m'enfuis à mon école sans rencontrer
quiconque...
oOo
Au mois de juin 1977, à quinze jours environ
de cette prise d'otages, un soir d'école, vers 18
h 30, un vendredi, alors que je retournais en classe
reporter une pile de cahiers de rédactions, quelle
ne fut pas ma surprise de voir que le salon de lecture,
une pièce annexe de la communale, était
allumé, un trousseau de clé oscillant sur
la serrure, à l'extérieur, de la porte
d'entrée. Quel ne fut pas mon plaisir!
Il était là, le Maire de Moissey,
occupé à relever le compteur
électrique pour rédiger la statistique
quotidienne de la consommation de courant. Je
m'arrêtai sur le palier de cette porte, je fis un
pas en arrière, puis un pas en avant, puis je
donnai bruyamment un tour de clé dans un sens,
puis un dans l'autre, et je me cachai à
deux mètres de là.
Mon "oiseau" comprit tout en une demi-seconde, car
j'entendis tambourinner à la vitre avec des
imprécations, dont une qui revenait sans
cesse : "Qui c'est qui vient de fermer la porte
à clé ?".
Au terme de trois minutes de son agitation, et de ma
patience, j'arrivai comme un sauveur en lui
lançant, "Ah, mais vous allez me casser un
carreau!".
-Ah c'est donc vous qui m'avez enfermé , vous
vous croyez malin, vous croyez que...
Et comme il doutait abondamment de ma bonne foi, je
l'interrompis, en ouvrant la porte (qui n'était
pas fermée à clé...) en souriant de
toute ma satisfaction:
"mais pourquoi donc
voudriez-vous
que je Vous enferme dans Mon école,
Moi ?"
fin
(o,O)
v
(...................)
fin
moissey 1977, et, le 7 février
2002, christel poirrier.
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