un cochon à
amange
amange, + 1999.
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le phare de la pensée au XXe
siècle, huile sur bois, 46 x 55
cm
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Mon odyssée avec Van Gogh commence en
classe de 5e, quand je vois une photo des tournesols dans
un vase de cuivre. Ça ne m'émeut vraiment
pas.
Dans les années qui suivent, j'apprends comme
il en a bavé, comme il a été exclu
d'un cours de dessin pour incompétence.
Le temps passe, je le retrouve à
l'école, mon école, là où il
y a des reproductions destinées aux
écoliers. C'est encore des bouquets, les
tournesols, auxquels il faut ajouter les iris.
J'ai trente-cinq ans quand je me mets à la
peinture sur bois, je travaille au couteau (petite
truelle), je fais de gros empâtements, pour finir,
je cochonne pas mal mon boulot. Je produirai quand
même plus de 30 toiles. Exactement, pourquoi le
cacher, 35.
Plus tard, je tombe sur des dessins. Certains
éditeurs publient, sur la même page, le
dessin et la peinture du même sujet. Les dessins
sont essentiellement faits pour correspondre avec sa
famille, principalement son frère
Théodorus, vraiment une bonne pâte
celui-là d'avoir ainsi supporté un frangin
qui était aussi "joliment" dans la marge.
Il est arrivé que certains dessins soient
encore bien plus éloquents que les toiles
correspondantes. Comme qui dirait que le dessin est le
brouillon d'une future toile, mais grâce au talent
du dessinateur, ce brouillon dépasse la toile en
couleurs.
Il me revient que Jean-Marc Reiser avait
apporté chez René Goscinny le brouillon
d'une planche. Ses collègues croyaient que le
boulot était achevé. Reiser a dit
"voilà un scénario", Goscinny lui a
répondu, "c'est parfait comme ça, je
prends". Pour finir, Reiser a fait carrière rien
qu'avec ses brouillons. Reiser est le seul
impressionniste du dessin que j'aie
rencontré.
Depuis que j'ai commencé la peinture, j'ai
acheté des livres sur le Vincent, des livres de
peintures, d'autres de dessins, d'autres qui publiaient
les lettres qu'il échangeait avec son
frère.
A peu près à la même
époque, je m'était procuré les
lettres de Saint-Exupéry à sa mère.
Quand quelqu'un me plaît, je fouille dans sa vie,
car la biographie et l'oeuvre "couchent " ensemble. De la
même façon, je suis entré dans
l'intimité de Claude-Nicolas Ledoux (Salines
d'Arcs-et-Senans), de Victor Hugo, Alphonse Daudet,
Marcel Pagnol, Arthur Rimbaud, Dom Bedos (facteur
d'orgues du XVIIe) Emir Kusturica, Guy Béart et
aussi Nana Mouskouri
(je sais, c'est pas du
même tonneau, mais on ne sait pas comment ça
fonctionne tout cela).
A l'âge que j'ai, je dissocie bien la
peinture de la photo (pour ce qui est des buts), et
j'arrive à comprendre quelques fois, pas toujours,
pourquoi certaines oeuvres picturales sont universelles,
tout en continuant à me méfier des peintres
reconnus, que je rencontre au musée des beaux-arts
à Dole. Dole est une plaque tournante culturelle
et des expos sont organisées qui viennent des
quatre coins de la France.
Quand même, dans ma tête (on dit
volontiers aujourd'hui, dans ma tête), et au plan
artistique, je fais bien la différence entre les
artistes qui travaillent (qui suent) et ceux qui n'en
panent pas une. Ceux dont je me méfie le plus sont
les poètes-musiciens-peintres contemporains. Je
reste assez classique, en musique, en littérature,
en peinture. Chuis même vieille France en...
tout.
Pour clore avec cette question, je dirais que
les impressionnistes nous ont libérés du
classicisme (admirable, mais ne donnant pas
d'émotion) en nous faisant vibrer. Ceux-là,
je les aime tous, à des degrés divers, et
mon ambition aurait eu été (passé
surcomposé) de leur ressembler.
oOo
A l'examen des travaux de Vincent, il semble qu'il
avait peint dans l'urgence, à grands coups de
pinceaux, avec des couleurs osées, telles qu'elles
sortaient du tube. Et si dans sa peinture le dessin ne
brillait pas, c'est parce qu'il était
phagocyté par les pigments et par la façon
dont ils étaient appliqués.
Dans sa période sombre, il avait peint sombre,
comme on pouvait se représenter la Hollande, puis
arrivé en Provence, il a peint "lumière",
la force de la lumière, comme s'il avait
été illuminé. Ce qu'il a d'ailleurs
été.
Après que j'aie eu vu et
dépouillé (ce passé
sur-composé me colle à la peau) toute sa
production, je me suis lancé dans la peinture, sur
des panneaux de bois dits "agglomérés",
pour économiser sur l'entreprise. Et je me suis
retrouvé en quelques saisons à la
tête d'un cheptel d'au moins un trentaine de
toiles, presques toutes en format 10 F,
c'est-à-dire, en 55 x 46 cm. Mais à la
différence de mon maître, je travaillais au
couteau, sorte de petites truelles très mignonnes,
qui permettent d'apporter l'enduit juste à la
quantité voulue.
J'avais produit une cinquaine (environ 5) de toiles
en grand format, avec pour modèle la Tour de
l'Hospice des Antonins et je m'étais amusé
à faire des images, orangées, vertes,
bleues, ce qui pouvait étonner un peu. Un jour
d'exposition artisanale, j'avais exposé une
demi-douzaine de mes oeuvres dans le caveau municipal. A
ceux qui avaient tiqué, j'avais dit, "vous avez
déjà fait crever Van Gogh, vous n'allez pas
remettre le couvert 100 ans plus tard". Puis
Silence.
oOo
Amange est un petit village juste de l'autre
côté de la Serre, ma montagne à moi.
Le CD 37 avait été percé justement
pour relier Amange à Moissey et
réciproquement, vers 1850. Le second Empire de
Badinguet avait donné un énorme élan
dans l'aménagement du territoire, routes, canaux,
voies ferrées, eau publique... et même
Hôpitaux Psychiatriques, appelés
familièrement HP départementaux.
Amange était un autre trou, connu pour son
vieux château ruiné qui abritait une
importante colonie de chiroptères, ces bêtes
qu'on appelle familièrement des chauves-souris. Et
puis, les soeurs Bernardin s'étaient
installé un atelier de peinture, Atelier du Loup
Garou, en mémoire de Gilles Garnier, un ermite
retiré en forêt et qui avait eu la
réputation de manger les enfants, en tout cas
c'est pourquoi il avait été condamné
en 1574 après Jésus-Christ, par le tribunal
de Dole.
M'étant rapproché de ce village pour
des raisons culturelles, j'avais été
sollicité pour participer à une exposition
de Talents Locaux, dans la nouvelle salle du Foyer Rural
d'Amange. J'avais vainement protesté contre cette
invitation, mais les soeurs Bernardin voulaient que les
peintres locaux fissent nombre. J' avais fini par leur
faire l'amitié de céder.
Les soeurs Bernardin n'étaient pas soeurs,
mais belles-soeurs et elles avaient l'avantage de
s'appeler Bernardin parce qu'elles avaient
épousé, chacune de leur côté,
les frères Bernardin, qui n'étaient pas
bernardins, mais bien frères.
oOo
Ce dimanche matin de printemps, j'étais venu
installer mes croûtes parmi d'autres. Il y avait
là tout ce qu'on pouvait espérer et
même redouter. Depuis quelque temps, des peintres
d'ici en mal de notoriété, donnaient ci et
là des cours à des ménagères
en cours de désoeuvrement, et bien sûr, leur
promettaient le bonheur d'exposer...
Il y avait les abstraits, nombreux, les recopieurs de
cartes postales ou de photos, des prosélytes du
calendrier des postes, des mosaïqueux, des
pâteuses à sel, des mères Noël
qui présentaient des bouts de bois, des
écorces et de la mousse, recouverts de peinture
dorée ou argentée.
Mes travaux tranchaient sur l'ensemble, avec "la
Sainte Famille" un ensemble de deux bouteilles de
camping-gaz et une cocotte-minute de 4,5 litres, la
"Naissance du Monde" représentée par un ail
qui occupait toute la toile, la "Nativité"
était une bougie allumée, "le Phare de la
Pensée" avait une aura de toute clarté
issue d'une lampe de camping, et enfin plusieurs
exemplaires de la Tour Belle de l'Hospice des Antonins,
réalisée d'une façon très
personnelle avec des teintes oniriques, disons allusives,
mais qui ne dévoyaient pas le sujet.
Bref, je n'étais pas fier, (mais pourtant fier
de ne pas l'être) et j'étais content d'avoir
fait ce que je voulais faire, ce qui est un de mes
fondamentaux dans la vie. On me reprochait de faire des
casseroles et des fleurs, des bonbonnes de gaz et des
cocottes-minute... et quelques maisons. Pour les
portraits, c'était hors de question, il fallait
faire le nez, ce qui est une entreprise bien
ambititieuse, le teint du visage et la couleur des
cheveux, c'était un autre combat. Il paraît
qu'on apprend ça aux Beaux-Arts. J'avais
fréquenté l'Ecole Municipale de Dessin de
Dole, en 4e et en 3e, les jeudis matins au Collège
de l'Arc, pour échapper aux 4 h d'étude.
Dans une salle grande comme un terrain de tennis, nous
étions une petite dizaine à occuper le
temps, sous l'oeil bienveillant d'un couple
d'enseignants-artistes qui s'appelaient à
l'époque M. et Mme Coron.
Le besoin de peindre effleure toujours un jour ou
l'autre ceux qui ont constaté l'approximation des
plus grands, l'approximation quand ce n'est pas
l'imposture. Naturellement, ça ne coûtait
pas beaucoup d'essayer. Pour ce qui est de plaire
à ceux qui n'ont jamais tenu un pinceau..., et
même aux autres, il ne fallait pas y penser. Enfin,
les critiques ne sont pas peintres et les peintres ne
sont pas critiques. Et les vaches ne sont pas si bien
gardées que ça.
oOo
Il était 11 h 30 de ce dimanche quand les
badauds virent déboucher de la porte
d'entrée, le président du Foyer Rural, le
maire d'Amange, les soeurs Bernardin et... le
Sénateur Pierre Jeambrun. Le Sénateur
Jeambrun avait été longtemps le bras droit
d'Edgar Faure (et le gauche, tant Edgar était
ambidextre). C'était un homme
expérimenté, argenté du poil, dans
un costume qui lui tombait bien, la classe. Bien
sûr, ils allaient tous nous faire un petit
discours, mais avant, ils firent le tour de la salle qui
était carrée et garnie sur les bords. Il y
avait aussi la femme du maire d'Audelange qui
s'était découvert du talent et produisait
comme une usine. Elle s'employa à refiler au
Sénateur, pour 50 F, une "croix pattée" au
milieu d'un champ de pâquerettes, faite à
l'huile sur un petit châssis. Ce à quoi elle
parvint rapidement d'ailleurs...
Le petit groupe de beau linge progressait et chacun
essayait de pondre des annotations les plus pertinentes
qu'il put, quand il arriva dans mon coin. J'exposais dans
un coin.
C'est justement à cet endroit-là que le
Sénateur eut, en contemplant mon travail, une
inspiration soudaine... et il lança, d'une voix
bien trop forte:
C'est Qui encore le Cochon qui se prend
pour Van Gogh ?
J'étais juste derrière sa veste
de costume gris, et j'ai chanté:
C'est moi !
fin
(o,O)
v
(...................)
f
in
christel poirrier, moissey, le 30
novembre 2012.
mon cahier d'histoires
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