m'sieu
école de moissey, janvier
1996
C'était lorsque que j'étais
maître d'école, dans un village avec des
habitants, un clocher et une petite école.
Car j'ai eu une vie de maître d'école
dans ma vie. Quand je dis dans ma vie, je ne veux pas
évoquer celle qui est la mienne aujourd'hui, mais
mon existence à travers d'autres corps et au
milieu d'autres siècles. Nous sommes immortels,
c'est écrit; en tout cas, c'était convenu.
Je parle d'une vie que j'ai faite dans la seconde
moitié du vingtième siècle.
Sur la Terre. La terre est séduisante, avec
ses déserts et surtout ses oasis. J'ai pas la
place ici pour dire comme la Terre est belle, et
même désirable...
Au Cours Moyen, c'est-à-dire avec des enfants
de dix ans, il me prit un lundi le besoin de parler de la
mort. En effet, nous venions, la semaine d'avant, de
perdre un président de la république pas
comme les autres. Nous savions que nous allions le
perdre, puisque son heure était pratiquement
venue, mais le moment venu, presque le peuple entier dut
reconnaître qu'il s'agissait bien d'un
président pas comme les autres. D'abord, il
était plus intelligent et, il n'était pas
ancien élève de l'ENA, et grâce
à justement ces deux qualités,
c'était un humaniste comme on n'en rencontre
habituellement pas dans la classe politicarde.
Et puis, il avait régné pendant
quatorze ans sans que les laborieux de mon espèce
n'aient eu à essuyer aucune humiliation, ce dont
j'aurais voulu le remercier tout particulièrement.
Hélasse, il a mouru avant.
Le défunt, tout intelligent qu'il fût,
avait déclaré naguère que lorsqu'il
partirait, ce ne serait pas à jamais car il
croyait, avait-il dit, aux choses de l'esprit. Je ne sais
pas si, ici, le mot chose est le plus
approprié.
Les enfants, eux, aiment bien savoir que ce n'est pas
fini, quand la vie, -elle, dit-on- est finie. C'est pour
cette raison bien sûr parmi d'autres que les trous
du culte ont si peu de mal à les attirer et les
intégrer dans des idées aussi
rassurantes.
Juste avant la leçon que j'aimais baptiser du
doux nom d'entretien, vers 14 heures, j'avais
confié à une blondinette du premier rang
qu'il fallait que je suspende à 14 h 20 pour que
je puisse aller mettre en route mon magnétoscope.
Canal allait passer cette année un Pierre et le
Loup en images numériques. Nous avions convenu que
la petite m' extrairait à 14 h 16, ce qui me
laisserait du délai pour l'aller et le
retour.
Débarrassé de ce souci, car m'en
étant reposé sur autrui, je pris
l'entretien par les cornes, devant tout le monde. Comme
un matador.
Les enfants étaient au courant de tous les
grands on-dit de la planète. Après la mort,
c'était la mort, ou après la mort on ne
savait pas et surtout, après la mort, on s'en
foutait. Moi à 51 ans et eux à 10, aucun de
nous ne se sentait réellement concerné par
la question.
On ne pouvait pas ressusciter après tout ce
qui pouvait arriver comme malsoins et torturades,
brutaleries et barbarements, mais pourtant, tout ne
pouvait pas finir comme ça entre nous. La plupart
de ceux qui s'étaient penchés sur la chose
étaient en vérité bien
empruntés, quand l'un d'entre eux trouva habile,
pour qu'enfin on en vienne au fait, de me demander,
à moi, la solution de l'énigme.
Alors je pris mon élan et je déclarai
que, selon moi, dans les grandes questions obscures que
se posait toute l'humanité, il était clair
que si tout n'avait jamais commencé, tout n'aurait
jamais de fin. Je confiai à l'assistance, cette
attentive arène, que vraisemblablement, dans tout
l'univers, tout devait être cycle, que bien que ce
fût difficile à concevoir, cette
théorie me semblait être la seule à
bien tenir debout, si tant on peut dire qu'un cercle
tient debout.
Cette explication semblait satisfaire à peu
près tous ces petits cerveaux, en tout cas, je
poussai jusqu'à demander si quelqu'un voyait une
autre explication qui soit quand même
plausible.
Je m'adressais cette fois à la foi de ces
petits et j'allais en profiter pour
décréter comme toutes les fois
étaient respectables.
Je voyais les esprits bouillonner à l'endroit
où se rencontrent habituellement les deux
sourcils, et je laissais les secondes s'égrener
paisiblement en redoutant aussi qu''arrive la
contradiction.
Une demi-minute avait déjà passé
quand un doigt téméraire et
déterminé déchira en se dressant le
silencieux tohu-bohu des cervelles enfantines. Bien
sûr, mon visage s'éclaira plus qu'il
n'aurait dû, et d'un geste plissant de mon front,
je donnai la parole à l'esprit que j'avais
deviné devenir éminent.
La petite prit la parole, calme, les yeux bleus et
grand-ouverts, et me dit, intrépide :
« M'sieu, il est 14 h
16 ! »
fin
Moissey, le 20 janvier 1996, Christel
Poirrier.
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