... à côté de l'école du village de moissey ...

le Glou

simple nouvelle fabuloïde

1967

le glou.

 

...quand l'île du jeudi pointait son nez écrasé dans la mare de la semaine. Jeudi, ils croyaient que c'était le jour des jeux, le jour des arbres, le jour des champs. Mais dans ce gros nez écrasé, il y avait deux belles narines. En réalité, le jeudi avait été, bien avant eux, consacré au culte de Jupiter, le patron des dieux d'avant et qui ne rigolait pas avec la discipline, du moins pas souvent.

C'était le noyer communal qui gardait l'école de ses branches renfrognées et de son tronc pas commode, qui était, vers l'automne, l'objet le plus convoité. Au bas, c'étaient des vieux qui allaient à godasses bégayantes et à gestes ravalés dans l'espoir de détourner les trois noix que le vent venait de désombiliquer du ciel. Chaque matin, tel veuf avait épié le vent, l'arbre à noix et telle autre veuve, puis le midi arrivait, traînait puis repartait et c'étaient des mômes par grappes qui montaient à l'abordage.

Quand sonnait l'heure d'aller s'instruire, si tous les galoupiots n'étaient pas à la porte de l'école, c'est qu'ils scrutaient -pour les plus dociles- le tapis de terre battue qui dormait sous le noyer, ou -pour les plus indépendants- qu'ils fricotaient avec les branches les plus émancipées.

Les noix d'ici c'était l'or des gosses. Elles passaient de mains en poches et de caches en cartables; tout le monde en cherchait et personne n'en mangeait, car ces noix-là, c'étaient de très grosses noix, qui en valaient cinq petites. On les polissait dans la poche, on les caressait, on les étreignait quand la vie y obligeait : elles faisaient partie de la bête. Quand on changeait de culottes, il fallait bien prendre soin de "rechanger" les noix.

C'étaient des noix américaines.

oOo

 

Ce jeudi-là donc, le maître d'école qui descendait la rampe entre l'école et la poste, surprit une volée de lardons qui s'égaillèrent à la vitesse-moineau loin du Pérou des noix, sauf un, le Glou, qui s'était trop haut perché pour déménager-ficelle. Le maître, qui dans de telles occasions en disait bien plus qu'il n'en pensait, lui clama en riant : "tu vas bien te casser une jambe, mais je ne sais pas laquelle!"

"Ça m'étonnerait" répondit ce piaf de Glou encore entre la terreur et l'étonnement... "depuis le temps"!

"Tu verras ce que je te dis" reprit le maître qui ne voulait pas faire semblant d'admettre que la morale est vaine. "Tu verras", ajouta-t-il d'un sourire entendu.

Le maître était bien emprunté, car lorsqu'il était petit, on lui avait toujours seriné que la grimpe aux arbres, ça cassait les jambes. Et selon lui, il n'y avait rien de plus mal fondé, mais il fallait bien transmettre le flambeau, au risque de s'entendre remarquer au terme de trente-sept annuités et demie au service de l'école laïque, que des jambes cassées, on en n'avait jamais vu la queue d'une.

Lui aussi, il avait toujours une noix dans la poche.

oOo

 

Le Glou était un petiot pas trop rusé à sa table d'écolier, mais dans sa campagne d'origine, il avait réponse à tout et était un grand adepte de la méthode expérimentale. Surtout, il était très aidé par le fait qu'il n'avait peur de rien, car ses géniteurs l'avaient doué d'une inconscience de gros diamètre. A la ferme de ses parents, depuis des années, les vaches avaient peur de lui car il les rossait régulièrement, et le plus souvent à tort.

Il avait deux petits yeux foncés au fond d'orbites profondes et osseuses qui flanquaient un nez courbe et pointu. Son regard un peu claudicant lui donnait un air moins malin que sincère.

Le Glou n'était pas son vrai nom. Ce petit garçon qui retirait du côté de l'orphelin espagnol jouissait d'un nom et d'un prénom comme tout le monde et que d'ailleurs je souhaite taire car il est encore vivant, pas très réussi, mais encore là. Tout le monde l'appelait le Glou, et ceci, selon un de ses oncles, parce qu'il avait une tête de glou.

Le maître, lorsqu'il lui parlait, ne disait jamais "le glou", mais à son regard, on voyait qu'il le pensait. Le maître souvent disait moins que ce qu'il pensait, ou parfois plus, mais jamais exactement. La parole est rarement ajustée à la pensée.

Alors le Glou entreprit une désescalade déterminée et méthodique, afin de signifier à son instituteur que, bien qu'il ne le crût pas, lorsqu'on lui parlait aimablement un jour de congé, il savait se montrer plus intelligent qu'un jour d'école. Il redescendait comme les alpinistes, trois points assurés, le quatrième à l'ouvrage.

Son interlocuteur était déjà loin quand il se laissa choir des basses branches, avec un pet de fesses qui coïncida pleinement avec la réception sur ses sandales.

Puis il compta les noix qu'il venait de sortir de ses poches.

oOo

 

A l'école, le lendemain matin, vendredi, jour de la rédaction, dès huit heures et demie, le maître prit une belle craie vierge pour rédiger le sujet :

 

"Un jour, tes parents t'ont mis en garde contre un accident qui finalement t'es arrivé. Raconte sur un ton qui ne sera pas forcément tragique". Le maître lisait en même temps qu'il écrivait et il envoya, toujours le nez sur son tableau et d'une voix forte, au glou qui devait sommeiller :

"Je ne sais pas ce qu'en pense Monsieur C., le roi de la jungle de chez nous..."

- Il est pas là, Meussieu, déclara un de ses collègues, servile et obligeant.

- Ah bon? Et quelqu'un sait pourquoi?

 

La même voix poursuivit :

- Il est tombé du noyer de la commune et il s'est cassé la jambe...

- Et quelqu'un sait laquelle ?"

oOo

 

 fin

(o,O)

v

(...................)

fin

 

 moissey, le 30 octobre 1989, christel poirrier.

Extrait de Façons agro-scolaires.

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