4. le lapin à la
moutarde.
recette pour préparer un bon lapin
à la moutarde,
sans fatiguer le lapin
ni le cuisinier.
Matériel
Un lapin sans vie, préalablement
épluché, énucléé. Une
planche à découper pour poser la bête
pendant la préparation, une spatule à
enduire (en bois d'olivier ou de hêtre), une
boussole pour les questions d'orientation, une carotte
vivante.
La boussole pourra être remplacée par
une montre pour ceux qui maîtrisent bien "comment
remplacer la boussole par la montre".
Temps
On a tout son temps, mais si on veut consommer
à midi, il faut se livrer aux opérations
préparatoires avant midi (utiliser la montre pour
opérer la soustraction "date du repas", moins,
"durée de la préparation", égale,
"date de l'attaque").
Religion
Pour toute religion sauf Sud du monde et Orient.
Pression: 760 millibars.
Pour faire un bon lapin à la moutarde, il
faudra réunir en un seul lieu et en un seul temps,
un bon lapin et de la bonne moutarde (en fait, les
mêmes règles que celles du
théâtre classique). Tout le reste, c'est de
la politique.
Un lapin, ça se trouve n'importe où,
mais surtout pas chez un marchand de lapins, qui sait
trop bien comment les élever au
bénéfice de son bénéfice et
pas à celui du consommateur.
Si quelqu'un qui vous aime dispose de lapins, c'est
à lui qu'il faudra vous adresser. Si pour le
même prix, il vous le remet sans le pyjama, c'est
encore mieux, car selon nous, pour réussir cette
recette, il n'y a pas lieu de se transformer en bourreau.
Car en effet, il faut un lapin sans vie. À
vérifier au moyen d' une carotte vivante; vous la
lui mettez derrière et puis devant, s'il dit que
ça ne sent pas bon, c'est qu'il n'est pas
réellement mort, il simule. Vous pouvez toujours
lui faire observer que c'est son propre pot
d'échappement qui pollue ainsi.
Pour la moutarde, pour la qualité de la
moutarde, il ne faut pas s'en faire, tous ceux qui en
produisent le font dans des usines épouvantables
et vous n'aurez donc le choix qu'entre la mauvaise et la
pas bonne. Mais rien de grave, tout ce qu'on demande
à la moutarde, c'est ce qu'elle sait faire au bout
de 50 minutes de four. Donc, de la Georges ou de la
Jacques, ou même de la Georges-et-Jacques, pourvu
qu'elle vienne d'un Duché de Bourgogne, ça
ira bien. (Un Duché, pas un Comté.
Éventuellement consulter SVP 11 Onze qui saura
vous expliquer la différence).
Car il s'agit bien d'une recette au four. Il existe
une recette concurrente qui porte le même nom que
la nôtre dans laquelle on oblige le lapin à
rentrer en petits bouts dans une cocotte. Ça fait
là aussi un délicieux lapin à la
moutarde, mais dans une procédure qui fatiguera et
le lapin et le cuisinier. Le lapin ne s'en plaindra pas,
mais on ne pourra pas en dire autant du cuisinier.
Le lapin sans vie doit être
débarrassé de ses entrailles et du fruit de
ses entrailles s'il y en a, mais on remettra dans son
internité le coeur et le foie. On ne souciera pas
des rognons qui en principe, sont solidaires de
l'intérieur du dos. Si le fruit de ses entrailles
est béni, il faudra alors prendre l'aiguillage
kasher (se renseigner à la Gare, pancarte
"i").
Une fois le lapin bien déshabillé, on
enduit tout son joli petit corps avec de la moutarde,
comme pour le protéger des coups de soleil. On
peut toujours lui expliquer qu'on va l'emmener se faire
bronzer. Si c'est une lapine, elle va applaudir de toutes
ses pattes, et ce sera toujours un lapin de plus en moins
à ne pas aller se plaindre au syndicat.
Il ne faut pas oublier de lui enlever les mains et
les pieds, car les lapins tout nus ont toujours du poil
aux mains et aux pieds. Un amical coup de sécateur
à volaille fera rentrer tout cela dans l'ordre.
Dernière chose, il faut lui enlever les yeux avec
un épluche-patate (ça s'appelle aussi un
économe), ça fait plus joli. S'il sortait
du four avec ses yeux frits, ça ferait un lapin
aveugle et ça ne mettrait pas grand monde en
appétit.
Une fois tartiné des deux côtés,
l'est et l'ouest, il faut le coucher délicatement
dans un plat ovale fait pour le four, en demi-cercle.
S'il ne tient pas dans le plat, c'est ou on le coupe en
deux (selon l'équateur), mais ça ne fait
pas joli, ou on le contraint, c'est mieux, en tout cas,
ça ne se verra pas (utiliser la boussole si on est
désorienté).
On fait pré-chauffer le four 10 minutes-un
quart d'heure avant, puis on enfourne tout l'arroi :
le plat, la bête et l'enduit. On prend soin de
retirer sa main.
Dans les fours d'aujourd'hui, il y a un hublot comme
dans le bathyscaphe du professeur Picard, à
travers lequel on pourra si on le souhaite faire coucou
à la recette. Il faut dire à la recette,
car pendant tout le temps de la préparation du
lapin à la moutarde, si on est tombé sur un
animal susceptible ou seulement craintif, il sera mieux
de parler à mots couverts, afin de ne pas
l'indisposer. Car si on lui aura arraché les
oreilles en le dépouillant, on n'en aura pas fait
pour autant un lapin sourd, le siège de l'audition
ne siégeant effectivement que dans
l'intérieur du crâne.
Mettez sous tension la sole et le grilloir, c'est
à dire la résistance du dessus et celle du
dessous et faites en sorte que ça dure 50 minutes
si c'est un jeune, 55 minutes si c'est un gros. Si c'est
un jeune gros, c'est qu' il aurait fallu le manger bien
avant.
Thermostat 8.
Défourner au terme du délai imparti.
S'il n'est pas assez cuit, vous lui faites jouer les
prolongations et éventuellement, tirer les
penalties. S'il est trop cuit, il est inutile de le
remettre au four. Il partira un peu en charpie, mais il
n'en sera pas plus mauvais pour autant. D'ailleurs vous
pourrez toujours prévoir une tranche de jambon
pour ceux qui n'aiment pas venir manger chez vous.
Servir sans saler ni poivrer, car la moutarde a
déjà, à elle seule, toutes ces
vertus, dans un plat qui est celui du four ou un autre.
Mais celui du four est bien mieux car ça fait plus
"repas à la campagne". De plus, si on
déménage la bête dans un autre plat,
ça va lui faire un choc thermique certainement
préjudiciable à sa bonté. Car c'est
à la bonté du lapin qu'on reconnaîtra
votre talent. Personne n'évoquera ni l'embouche ni
l'abattage et chacun s'en tiendra à ce qu'il voit
et surtout à ce qu'il mange.
Servir les légumes à côté,
par exemple du chou-fleur ou n'importe quel autre bon
légume, à des convives qui seront
installés en position assise, autour d'une table
de 75 à 78 cm de hauteur.
Renoncer à faire manger cette
préparation à des gens assis par terre, le
lapin à la moutarde n'est pas du couscous.
Avec le lapin à la moutarde, on boit ce qu'on
veut si on a soif, ou si on a l'habitude de boire en
mangeant, ce qui a toujours été
discuté, mais du vin rouge, ou à
défaut, un bon vin de raisin ni trop alcooleux, ni
trop acide, sera le bienvenu.
christel, le 26 décembre 1996,
à moissey.
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