village de moissey

la tuilerie gallo-romaine de Moissey de plus près

fouilles du lundi 23 juillet 2001 au 5 octobre 2001, parcelle ZA 49.

le RFO de Fabrice Charlier

Rapport de Fin d'Opérations (août 2005)

textes et images de Fabrice Charlier, directeur du chantier.

VIII. Août 2005

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33.

août 2005. Enfin, la vérité toute nue

 

Nous avons lu pour vous (et pour nous) le pavé de Fabrice Charlier, deux cents pages (cinq demi-livres de poids = 1,250 kg). Il ne peut pas être présenté au grand public non pas parce qu'il est technique (bien sûr, c'est une odyssée, bien qu'on n'ait recours que quatre fois au dictionnaire), mais parce que chaque page, chaque paragraphe ou chaque ligne renvoie à des coordonnées (x, y ET z) du terrain qui ne disent rien à personne, sauf aux gens qui ont travaillé sur le chantier.

La conclusion de Fabrice Charler est l'aboutissement d'un long monologue documenté, détaillé, hypothésé et particulièrement prudent, je dirais même scrupuleux. Détaillé, on n'imagine pas à quel point... et il faut le voir pour le croire.

[Christel Poirrier]

Voici les extraits les plus significatifs et les plus compréhensibles de la conclusion générale du rapport final de fouilles de Fabrice Charlier (textes et illustrations)

conclusion: la chronologie [Fabrice Charlier]

 

Le découpage en sept phases chronologiques est relativement schématique mais il constitue un cadre de travail pratique (fig. 174). Nous avons renoncé à affiner davantage ce découpage afin que la part d'interprétation des données y soit la plus limitée possible. Les résultats de l'analyse stratigraphique et le découpage proposé s'accordent avec le mobilier découvert. La poterie étant rare sur le site, il serait abusif de dire qu'elle confirme la chronologie, disons plutôt qu'il existe une bonne cohérence entre les deux. Selon les connaissances actuelles, les caractéristiques des matériaux de construction en terre cuite confirment l'analyse stratigraphique ou sont parfaitement cohérentes avec elle.

 

illustration [Fabrice Charlier]

Deux points essentiels restent à examiner : le calage de la stratigraphie en chronologie absolue et le passage d'une phase à l'autre. Les résultats des analyses dendrochronologiques se sont avérés fondamentaux dans la distinction des aires de service sud des fours 6.2 et 6.3. Cette distinction a permis d'établir un parallélisme avec la stratigraphie de l'aire de service nord et ainsi de comprendre la succession des fours 6.1, 6.2, 6.3 et 6.4. Les analyses dendrochronologiques livrent trois dates, une pour chacun des trois premier fours. Ne sachant pas si ces bois correspondent à la construction des fours ou à des réaménagements, les dates de 41-42, 76 et 123 ne coïncident pas nécessairement avec le début des trois premières phases du site. Les rares formes de poteries identifiables qui proviennent de la couche dépotoir 1111 (déposée au cours des phases A et B) sont généralement considérées comme des marqueurs de la première moitié du Ier siècle. Le site antique existait en 41-42, mais son implantation remontait peut-être à quelques années ou à quà Besançon montrent que les dimensions des tuiles semblent avoir connu une évolution très progressive durant les deuxelques dizaines d'années auparavant. Le module des tegulae ne nous renseigne pas à ce sujet. Certes leurs longueurs correspondent à certains exemplaires d'époque augustéenne des sites du nord-est de la France, mais les études menées premiers siècles. Cela est confirmé par le fait que les longueurs des tuiles de la phase B sont identiques à celles de la phase A .

Certaines US ([Unités de Stratigraphie] de la phase B reposaient sur des couches interprétées comme des colluvions qui scellaient la phase A, nous estimons donc possible que le site ait été inutilisé pendant un certain temps entre les deux phases. Ce type de stratigraphie se retrouve entre toutes les phases du site, sauf entre les phases E et F. Les couches de colluvions sont parfois très limitées dans l'espace et en épaisseur mais il est impossible d'évaluer leur volume initial. Il serait excessif de considérer que ces colluvionnements traduisent de réels abandons du site. Nous croyons plus crédible de considérer que le site ait connu des périodes d'inactivité dont la durée est impossible à déterminer (une, deux ou vingt-cinq années ?) et après lesquelles il était nécessaire de reconstruire une grande partie des infrastructures. Les tegulae des deux premières phases sont à la fois trop identiques entre elles et trop différentes des exemplaires contemporains régionaux pour qu'on puisse supposer qu'il existe une longue interruption entre les deux phases. Il nous paraît même très probable que certains tuiliers ont travaillé sur le site au cours des deux phases.

La datation archéomagnétique réalisée sur le four 6.4 nous donne un terminus post quem particulièrement large pour sa dernière cuisson : 8-186. La datation dendrochronologique la plus tardive permet de réduire cet intervalle à 123-186. Sachant que la phase G se place d'après les poteries et les datations archéomagnétiques des fours 4 et 5 fin IIe-IIIe siècles, les phases D, E et F doivent se situer dans la deuxième moitié du IIe siècle. La durée de fonctionnement des fours de tuiliers 7 et 18 aurait été moins longue que celles des différents fours 6. La qualité de construction moindre du four 7 et surtout du four 18 par rapport aux fours 6 ne peut pas contredire cette hypothèse. Nous plaçons donc la fin de la phase F au passage des IIe et IIIe siècles.

Si nous supposons que les interruptions d'activité qui ont dû se produire entre les six premières phases du site ont pu être très brèves, nous n'avons aucune idée sur les modalités du passage de la phase F à G, de la production de macotecs [ndlr: matériaux de construction en terre cuite] à la production de poteries. En raison de la présence d'une canalisation d'eau contemporaine, nous manquons d'observations stratigraphiques entre le secteur II, où sont concentrés les fours de tuiliers, et le secteur I, où sont implantés les fours de potiers. Les datations archéomagnétiques sont larges : 142-296 pour le four 4 et 122-383 pour le four 5. Ces grands intervalles s'expliquent par la variation des valeurs prises par l'inclinaison du champ magnétique terrestre autour de 200. Après avoir chuté depuis 600 avant J.-C., les valeurs de l'inclinaison remontent vers 200 (fig. 5 du rapport d'analyse archéomagnétique du four 5, cf. annexe scientifique). Des valeurs identiques peuvent donc correspondre à des datations situées de part et d'autre de 200. Les deux fours de potiers de Moissey correspondent exactement à ce cas. Compte tenu des différentes phases précédentes qui se situent dans la deuxième moitié du IIe siècle, l'activité des potiers doit se dérouler au cours du IIIe siècle. Nous le plaçons arbitrairement dans la première moitié de ce siècle ; cette datation est cohérente avec la poterie découverte dans les US de la phase G. La chronologie relative des fours 4 et 5 n'a pu être établie sur le terrain. S'ils ont fonctionné tous les deux au IIIe siècle, comme nous le supposons, les valeurs de l'inclinaison du champ magnétique terrestre enregistrées sur ces fours accordent au four 4 une probabilité plus grande d'être le plus ancien des deux.

1. On peut imaginer aussi qu'un réemploi important durant la phase B de tuiles fabriquées au cours de la phase précédente rende imperceptibles les différences métriques des tuiles des deux phases.

conclusion: l'atelier de potier [Fabrice Charlier]

 

L'atelier de potiers paraît beaucoup plus modeste que les installations des tuiliers. Il est vrai que la production de poteries a été plus limitée dans le temps et il est probable qu'une partie de l'atelier se situe en dehors de l'aire fouillée. Ce fait explique peut-être que nous n'ayons pas mis au jour de dépotoir. On peut aussi supposer qu'une partie des ratés de cuisson était rejetée dans la rivière qui coule à quelques mètres des fours.

Seuls deux fours et un drain ont été fouillés. Les fours ne présentent pas de caractères particuliers.

Il est regrettable que le très faible nombre de tessons découverts ne permette pas de déterminer la gamme de production. En effet, à une probable production de poteries communes, s'ajoute peut-être celle de poteries métallescentes. Moissey serait le septième atelier recensé à avoir fabriqué ce type de poteries en Franche-Comté (fig. 176, Charlier 1994, p. 23-25 ; Joly 1999). Il sera difficile d'en savoir plus sur cette production, cela est dommage d'autant que la production des autres ateliers régionaux est relativement mal connue. À l'exception de l'atelier de Luxeuil, les données sont issues de fouilles partielles ou de simples prospections et sont donc souvent limitées.

illustration [Fabrice Charlier]

conclusion: la tuilerie [Fabrice Charlier]

 

La tuilerie s'inscrit naturellement dans un contexte local qu'il sera nécessaire d'étudier pour aborder, entre autres, la question du statut de l'atelier. Les données devront aussi être comparées avec celles des autres sites de production régionaux. Actuellement une vingtaine de tuileries sont recensées en Franche-Comté (fig. 175).

Quels que soient les résultats des recherches complémentaires, le site de Moissey peut être considéré comme remarquable et par certains aspects exceptionnel.

L'intérêt du site réside dans sa richesse, les caractéristiques de certains de ses vestiges et son état de conservation.

Des conditions naturelles particulièrement favorables ont permis une bonne conservation des vestiges. On doit à la montée de la nappe phréatique au cours de l'Antiquité la conservation de rares vestiges en bois. La situation du site, en bas de pente, a entraîné un enfouissement régulier du site avant, pendant et après l'Antiquité, qui a non seulement protégé les vestiges mais a «fabriqué» une stratigraphie.

L'exhaussement naturel modeste mais continu a permis la conservation de certaines structures de production installées à même le sol. Ces structures comme les aires dallées et les aires de séchage, simples surfaces sablées, sont très courantes dans toutes les tuileries traditionnelles même à l'époque contemporaine, mais elles n'ont pratiquement jamais laissé de traces dans les autres tuileries gallo-romaines .

Outre ces vestiges qui ne sont rares qu'en raison de leur disparition, le site possède une structure tout à fait exceptionnelle : le four 6. Ce four, ou plutôt les quatre fours qui se sont succédé au même endroit, présente des caractéristiques techniques inédites. Le plan de ce four n'est répertorié dans aucune typologie de fours de tuiliers, quelle que soit leur datation. En effet, à partir du four 6.2, il présente la singularité, de posséder une chambre de chauffe divisée en deux partie égales qui ne communiquent pas entre elles. Chacune des parties est alimentée par un alandier différent ouvert sur une aire de chauffe différente. On doit à la nappe phréatique la conservation de planchers dans les aires de service, mais il convient de souligner que l'installation de planchers en bois dans ces structures est unique. Cette singularité se double de l'utilisation massive de hêtre dans l'un d'eux.

L'intérêt du site est naturellement multiplié par la longue durée de son occupation, d'autant plus qu'il est possible de suivre l'évolution de cette occupation dans le temps et dans l'espace grâce à la stratigraphie complétée par les datations archéométriques. Nous pouvons ainsi retracer la vie d'un atelier sur près de deux siècles et détailler ses productions .

La possibilité d'étudier les tuiles et de briques d'un site qui a produit sur une longue durée permet d'affiner considérablement nos connaissances sur ces matériaux et notamment sur leur normalisation. Les résultats obtenus dépassent très largement le cadre régional. La mise en évidence d'une production de tegulae qui, du point de vue de leur technique de fabrication, se rattache davantage aux productions du sud de la Gaule et aux productions légionnaires qu'aux matériaux du nord, ouvre de nouvelles pistes de recherches. La question de la transmission et de la diffusion d'un savoir technique à l'époque romaine est directement posée. Qui étaient et d'où venaient les artisans qui ont implanté dans la première moitié du Ier siècle de notre ère la tuilerie de Moissey ? En l'état actuel des connaissances, il est très probable que ces tuiliers n'étaient pas séquanes, leur origine doit se situer dans une région plus méridionale.

 
Fig. 183.-Sites de découverte des tegulae des phases A et B de Moissey (les cercles ont un rayon de 5, 10 et 15 km) image de Luc Jaccotey et Fabrice Charlier.

 

Ces tuiles aux encoches avant originales dans la région présentent l'avantage d'être très facilement identifiables sur les sites de consommation. Nous pouvons ainsi sur ce seul critère proposer une première carte de diffusion des productions des deux premières phases de la tuilerie de Moissey (fig. 183). Il est prévu dans l'avenir d'utiliser aussi les profils des peignes relevés sur les briques pour reconnaître les productions de l'atelier.

Si le site de Moissey s'est avéré riche dès la phase d'évaluation, il l'a été au-delà de ce que l'on pouvait imaginer. La masse et la qualité des informations qui ont été recueillies en moins de trois mois au cours de la fouille préventive sont tout à fait considérables. Nous avons tenté dans ce rapport final d'opération d'en faire une présentation claire et relativement exhaustive, mais il est évident que l'intérêt scientifique du site justifie de poursuivre les études des données recueillies.

 

2. Il ne faut pas confondre les aires dallées de Moissey avec le fond de bassins dallés qui sont mis au jour assez fréquemment dans des ateliers de potiers ou de tuiliers (mais absents à Moissey). En effet sur des sites arasés seul le fond des structures excavées est conservé, il ne reste donc de certains bassins que leur fond dallé.

4. À notre connaissance, seules deux autres fouilles de tuileries gallo-romaines ont fourni autant d'informations. Il s'agit de la fouille de l'atelier de production mixte de Sallèles-d'Audes (Aude) et de celle de la tuilerie de Savins en Seine-et-Marne (Marcoult 1999). Ces ateliers ont été fouillés pendant plusieurs années dans le cadre de fouilles programmées.

Vue aérienne du site tuilier. (Voir en plein écran)

Vue aérienne du site tuilier. (Voir en plein écran)

Cet homme qui ressemble à Montesquieu sur les beaux billets de 200 F est Monsieur Fabrice Charlier. Voyez le même en plein écran.

moissey.com

autres pages sur la tuilerie gallo-romaine de Moissey

0. La tuilerie gallo-romaine article de presse (Le Progrès, 28 octobre 2000)

I. L'ouverture des fouilles de la tuilerie gallo-romaine, le 23 juillet 2001, suivi de Christel Poirrier

II. Les fouilles de la tuilerie gallo-romaine, août 2001, suivi de Christel Poirrier

III. Les fouilles de la tuilerie gallo-romaine, septembre 2001, suivi de Christel Poirrier

IV. Les fouilles de la tuilerie gallo-romaine, octobre 2001, suivi de Christel Poirrier

V. Le site gallo-romain de Moissey: novembre 2001, suivi de Christel Poirrier

VI. Le site gallo-romain de Moissey: les affaires de décembre 2001, suivi de Christel Poirrier

VII. Le site gallo-romain de Moissey: conférence à Moissey de Fabrice Charlier, le 7 juin 2002

VIII. la tuilerie gallo-romaine, bientôt tous les secrets, par Fabrice Charlier lui-même, août 2005

Restitution de constructions de tuiles romaines, sur l'Aire du Jura, avec Fabrice Charlier, tuilologue

Le devenir de la tuilerie, les enjeux d'octobre 2001 (billet d'humeur cantonal)

Ceux de l'enfance remercient ceux de l'AFAN

le parcours archéologique de Fabrice Charlier (1990-2001)

La première maquette moisseyaise d'un four tuilier, par Ivan Perrin, parent d'élève

La maquette du four tuilier à deux alandiers, par David Buliard, élève du CM2

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