La tuilerie s'inscrit naturellement dans un contexte
local qu'il sera nécessaire d'étudier pour
aborder, entre autres, la question du statut de
l'atelier. Les données devront aussi être
comparées avec celles des autres sites de
production régionaux. Actuellement une vingtaine
de tuileries est recensée en Franche-Comté
(fig. 175).
Quels que soient les résultats des recherches
complémentaires, le site de Moissey peut
être considéré comme remarquable et
par certains aspects exceptionnel.
L'intérêt du site réside dans sa
richesse, les caractéristiques de certains de ses
vestiges et son état de conservation.
Des conditions naturelles particulièrement
favorables ont permis une bonne conservation des
vestiges. On doit à la montée de la nappe
phréatique au cours de l'Antiquité la
conservation de rares vestiges en bois. La situation du
site, en bas de pente, a entraîné un
enfouissement régulier du site avant, pendant et
après l'Antiquité, qui a non seulement
protégé les vestiges mais a «
fabriqué » une stratigraphie.
L'exhaussement naturel modeste mais continu a permis
la conservation de certaines structures de production
installées à même le sol. Ces
structures comme les aires dallées et les aires de
séchage, simples surfaces sablées, sont
très courantes dans toutes les tuileries
traditionnelles même à l'époque
contemporaine, mais elles n'ont pratiquement jamais
laissé de traces dans les autres tuileries
gallo-romaines .
Outre ces vestiges qui ne sont rares qu'en raison de
leur disparition, le site possède une structure
tout à fait exceptionnelle : le four 6. Ce four,
ou plutôt les quatre fours qui se sont
succédé au même endroit,
présente des caractéristiques techniques
inédites. Le plan de ce four n'est
répertorié dans aucune typologie de fours
de tuiliers, quelle que soit leur datation. En effet,
à partir du four 6.2, il présente la
singularité, de posséder une chambre de
chauffe divisée en deux partie égales qui
ne communiquent pas entre elles. Chacune des parties est
alimentée par un alandier différent ouvert
sur une aire de chauffe différente. Le four
possède donc deux alandiers et deux aires de
chauffe opposés. Cette disposition fait songer aux
fours de potiers à deux alandiers présents
dans le nord et l'est de la Gaule au tournant de notre
ère. Toutefois la comparaison n'est pas
entièrement satisfaisante. En effet, outre leur
petite taille et leur usage spécifique à la
production de poterie, ces fours ne possèdent pas
de sole. Il s'agit de fours à un seul volume. Le
four de Moissey est un four à deux volumes et
à tirage ascendant comme tous les fours de
tuiliers antiques mais avec un double système de
chauffe. Un four de tuiliers gallo-romains
présente peut-être aussi cette
particularité. Il fait partie de l'atelier de
potiers et de tuiliers de Mittelbronn en Moselle (fig.
177 et178). Pour expliquer la présence de deux
alandiers opposés un changement de
côté dans l'alimentation du four a
été invoqué. La découverte du
four 6 de Moissey oblige à réexaminer cette
hypothèse . On doit à la nappe
phréatique la conservation de planchers dans les
aires de service, mais il convient de souligner que
l'installation de planchers en bois dans ces structures
est unique. Cette singularité se double de
l'utilisation massive de hêtre dans l'un d'eux.
Dernière particularité : les conduits qui
percent les murs du laboratoire à leur base. Ces
conduits permettaient peut-être d'améliorer
le tirage. Seuls trois autres fours, à notre
connaissance, possèdent de tels conduits : les
deux fours de la tuilerie légionnaire de
Kaiseraugst en Suisse et le four de Trets dans les
Bouches-du-Rhône (fig 179-182). Toutefois, la
rareté de ce dispositif est difficile à
évaluer car dans la plupart des cas le niveau de
destruction des fours ne permet pas de savoir si ces
conduits existaient ou non.
L'intérêt du site est naturellement
multiplié par la longue durée de son
occupation, d'autant plus qu'il est possible de suivre
l'évolution de cette occupation dans le temps et
dans l'espace grâce à la stratigraphie
complétée par les datations
archéométriques. Nous pouvons ainsi
retracer la vie d'un atelier sur près de deux
siècles et détailler ses productions .
La possibilité d'étudier les tuiles et
de briques d'un site qui a produit sur une longue
durée permet d'affiner considérablement nos
connaissances sur ces matériaux et notamment sur
leur normalisation. Les résultats obtenus
dépassent très largement le cadre
régional. La mise en évidence d'une
production de tegulae qui, du point de vue de leur
technique de fabrication, se rattache davantage aux
productions du sud de la Gaule et aux productions
légionnaires qu'aux matériaux du nord,
ouvre de nouvelles pistes de recherches. La question de
la transmission et de la diffusion d'un savoir technique
à l'époque romaine est directement
posée. Qui étaient et d'où venaient
les artisans qui ont implanté dans la
première moitié du Ie siècle de
notre ère la tuilerie de Moissey ? En
l'état actuel des connaissances, il est
très probable que ces tuiliers n'étaient
pas séquanes, leur origine doit se situer dans une
région plus méridionale.
Fig. 183.-Sites de découverte des tegulae des phases
A et B de Moissey (les cercles ont un rayon de 5, 10 et 15
km) image de Luc Jaccotey et Fabrice Charlier.
Ces tuiles aux encoches avant originales dans la
région présentent l'avantage d'être
très facilement identifiables sur les sites de
consommation. Nous pouvons ainsi sur ce seul
critère proposer une première carte de
diffusion des productions des deux premières
phases de la tuilerie de Moissey (fig. 183). Il est
prévu dans l'avenir d'utiliser aussi les profils
des peignes relevés sur les briques pour
reconnaître les productions de l'atelier.
Si le site de Moissey s'est avéré riche
dès la phase d'évaluation, il l'a
été au-delà de ce que l'on pouvait
imaginer. La masse et la qualité des informations
qui ont été recueillies en moins de trois
mois au cours de la fouille préventive sont tout
à fait considérables. Nous avons
tenté dans ce rapport final d'opération
d'en faire une présentation claire et relativement
exhaustive, mais il est évident que
l'intérêt scientifique du site justifie de
poursuivre les études des données
recueillies.
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