Si on suit de
près l'évolution de la ligne des CFV dans
le canton de Montmirey-le-Château, on peut
remarquer deux branches qui affluent sur la ligne
principale.
L'une très courte
s'est greffée dans le Bois des Clefs (d'Eclay
écrivait-on jadis) sur le territoire de la commune
de Montmirey-le-Château, sur la portion qui court
vers Champagnolot (hameau de Dammartin)
L'autre, plus
conséquente qui s'engage dans les Gorges de
Moissey, à proximité du lieu dit le Moulin,
de longue date propriété des Thomas. Cette
extension est nommée et datée de
"Carrières Militaires 1914-1918". Elle a
été greffée sur la voie
d'évitement et mesure environ 700 m. Dans le
métier du cheminot, on appelle cela un
embranchement particulier.
Les 400 000 prisonniers
allemands de la guerre de 14 avaient été
affectés à des travaux de
difficulté, principalement dans l'agriculture, les
carrières, ou les mines.
Les photos faites par
l'armée, en 1925, aériennes, montrent bien
l'importance qu'ont revêtue ces carrières
d'où on extrayait une Eurite de qualité
à peine acceptable, mais qui se trouvait
acheminée sur des chantiers nés des
dégâts de la guerre.
Si les installations
visibles sur cette photo montrent le caractère
précaire de l'hébergement, il n'en est pas
de même pour ce qui est des installations
techniques qui avaient été menées de
façon à être pour durer :
ateliers, concasseur, fontaine, voie Decauville,
poudrière, adduction de l'eau des
Gorges.
Trois personnes dont la
descendance est bien connue ont été
appelées sur ce chantier qui tournait avec force
de prisonniers, il s'agit de Monsieur
Lamiel,
secrétaire de cabinet ministériel
nommé là pour blessure de guerre, Messieurs
Mayeur
et Honoré Collieux qui assuraient les fonctions de
surveillants.
La voie Decauville (largeur
entre 60 et 70 cm) convoyait la pierre du front de
taille, celui qui précisément rejoignait
celui pour lequel les Carrières de Moissey sont
célèbres; elle était
concassée dans une installation fixe et
bâtie de bonne pierre, que les écoliers
d'aujourd'hui appellent le Château, puis
était chargée sur les wagons du Tacot qui
n'avaient plus qu'à rejoindre la ligne principale,
sur la voie d'évitement de la Gare de Moissey.
Quand le nombre de wagons chargés valait le
dérangement, la 030 Corpet-Louvet ou la Pinguely
venaient chercher le convoi pour l'acheminer,
principalement du côté de la
Haute-Saône et l'Est.
On peut voir encore des
vestiges des bâtiments en planches dans l'ancienne
scierie
Béjean,
actuellement dépôt succursale de
Jura-Transports, et un baraquement à
côté de la menuiserie d'André
Guillaume. René Collieux en a installé un
contre le pignon de la maison où vivent
aujourd'hui les époux
Négro.
Jean
Nicolin rapporte
qu'on lui a dit que le hangar de Maurice Besson qui
touche Xavier Bontemps serait couvert avec la toiture du
concasseur.
Ces carrières
semblent avoir été ouvertes dès 1917
et avoir duré bien au-delà de la fin de la
Guerre puisqu'elles auraient été maintenues
à des fins "ballastières" au profit de la
Compagnie des C.F.V. de Haute-Saône. En tout cas,
la photo aérienne de 1925 montre sinon une pleine
activité présente, au moins une
activité très
récente.
Les fouilles sur ce site
sont émouvantes, car faciles et fécondes.
La végétation s'est mise bien sûr
partout où elle a pu, mais sous le tapis
végétal, en particulier sur les plans
horizontaux et empierrés, les monuments sont
intacts.
C'est ainsi que
périodiquement, les enfants des écoles
découvrent un grand bâtiment qui devait
être un atelier d'entretien, avec forge. Ils ont
fouillé en 1969, puis la jungle a repris sa place.
Ils ont fouillé à nouveau en 1996, ils
n'ont eu qu'à soulever les entrelacs de racines,
de terre et de mousse pour découvrir les choses,
telles qu'elles avaient été
abandonnées autour des années
1925.
Cet endroit est magique. Il
rappelle les civilisations précolombiennes
disparues et avalées par la
végétation. Des générations
de gamins du village l'ont hanté. Sa
poudrière, de plus en plus
dégradée depuis les années 1960, a
servi de refuge pendant la 2e guerre mondiale et de
grotte pour les galopins de riverains.
A droite on voit encore
toutes les plates-formes qui ont accueilli de nombreux
bâtiments en planches. Il reste encore tout debout
la fontaine-lavoir affectée aux hommes de mains.
Ce bac qui mesure 220 cm sur 700, était
alimenté par une prise en amont et une conduite en
grès qu'on peut facilement suivre jusqu'au
ruisseau. Ce point d'eau à usage collectif
était connu sous le nom de "Fontaine des
Joyeux".
Les prisonniers de guerre
qui travaillaient-là avaient de la chance,
puisqu'ils avaient à pied d'oeuvre de l'eau qu'on
disait presque médicinale, pour ne pas dire
miraculeuse. Cette eau avait une telle bonne
réputation que toutes les ménagères,
en tout cas un grand nombre, se rendaient jusqu'aux
Gorges pour y faire leur lessive, malgré
l'éloignement et les pentes, dans un endroit en
aval du camp militaire, exactement à 10 m du
premier pont, c'est-à-dire dans la fourche faite
par le chemin des Meulières et la voie
métrique qui s'enfonçait dans le
défilé.
C'est la cité
disparue, et comme toutes les cités disparues, on
peut la retrouver en l'état.
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