Marcelle Miroudot, est née
le 9 octobre 1897, à Moissey, fille de
Jean-Baptiste Miroudot et de Jeanne Françoise
Guillaume.
La Marcelle Châtelain est une
célébrité du village, et à
plusieurs titres.
C'était une femme simple, laborieuse,
pas médisante même si on l'aidait,
c'était une femme de devoir, elle avait
épousé un homme, Pierre Châtelain,
qui, après la grande guerre, est devenu
très malade, et pour finir, l'a rendu veuve
très tard,
enfin, c'est elle qui a habité la
partie la plus remarquée du couvent Saint-Antoine,
dans la rue du Dieu de Pitié, comme fille et jeune
fille, puis comme veuve. Cette maison (AB 202) à
elle seule est une grande leçon pour les
enfants.
Marcelle a quitté sa maison "couvent", la
maison Miroudot, lors de son mariage et a vécu
dans la maison de son mari (Pierre Joseph
Châtelain), dans la rue basse. Puis, devenue veuve
sous l'occupation, elle est retournée dans la
maison de son enfance, l'hospice Saint-Antoine.
Marcelle Châtelain n'avait fait aucune
concession aux temps modernes. Quand on lui
suggérait d'acheter ceci ou cela, elle
répondait immanquablement :
"A mon âge, mais je n'y songe
guère".
Pendant trente ans, nous l'avons entendu
réagir ainsi, trente durant lesquels elle
disait :
"Demain, peut-être que je serai
morte"
"On me mettra au Puits Baudry" [nom de la
décharge près du
cimetière].
Ou parfois elle professait sur le ton de
l'érudit:
"On ne sait ni qui vit, ni qui meurt".
Sa spécialité, c'étaient les
proverbes et les dictons météorologiques.
Tôt le matin, elle allumait son feu, on entendait
le goui fendre le petit bois sous son porche et craquer
le fagot, puis elle se plantait à l'angle de la
rue haute et de la rue du Dieu de Pitié, et elle y
allait d'un commentaire, à voix très haute,
sur le temps qu'il ferait le matin et même
l'après-midi.
Pour les jours où elle pensait qu'il n'y avait
pas lieu d'allumer sa cuisinière, elle
disait:
"De toute façon, j'ai ma lampe à
alcool!"
Si on excepte le fait qu'elle avait à
partir de l'année 1963, l'eau sur l'évier,
elle vivait comme on vivait à la fin du XIXe
siècle.
Marcelle Miroudot est née à Moissey le
9 octobre 1897, de parents cultivateurs et c'est hors de
la période de son mariage (c'est-à-dire,
jeune fille, puis veuve) qu'elle a vécu dans la
fameuse maison à la tour "hexagonale" en
réalité, pentagonale (voir dessin),
l'endroit le plus pittoresque du village.
La très grande pièce qui servait de
séjour aux frères antonins avait
été cloisonnée en deux pour faire
à droite en entrant la chambre, avec un lit, une
armoire, deux chevets, deux chaises, un crucifix. A
l'étage, cloisonné lui aussi, un petit
atelier de vigneron avec des outils qui remontaient
à Mathusalem. A la cave, un maître pressoir
de fière allure avec sa vis énorme et sa
pierre de réception rainurée. Devant sa
porte, enracinée de toute son épaisseur
dans la terre, une meule énorme née dans
les carrières voisines de Frasne.
Marcelle Châtelain
occupait dans la rue du Dieu de Pitié, le tiers de
ce qu'il est convenu d'appeler un couvent, le tiers
"Ouest" (AB 202). Croisées d'ogives au
rez-de-chaussée, plafonds à la
française à l'étage, escaliers en
pierre rouge de Moissey pour aller de l'un à
l'autre, bien abrités dans une tour fraîche
et couverte de loses.
Le tiers du milieu (AB
203) appartenait à la Titine Dubief (née
Ernestine Durot), à droite d'un porche
distributeur, avec rez-de-chaussée en ogives et
étage avec plafonds en planches. Ce segment du
milieu ressemblait à un endroit
résidentiel, on y voit encore des nervures d'ogive
entaillées pour laisser passer un baldaquin ou un
placard de même taille. Un appentis sur la rue, qui
a été démonté en 1967,
possédait une pierre d'évier et donnait sur
le caniveau.
Le tiers "Est", ou
supérieur (AB 204) a abrité pendant
très longtemps la Thérèse Durot,
vigneronne et agricultrice, restée
célibataire pour cause de guerre de 1914.
Le
rez-de-chaussée avait été
affecté à la remise des grains, et s'il
restait des traces d'habitation, elles devaient bien
remonter au milieu du XIXe. Thérèse
Durot habitait à l'étage un appartement
aussi simple que celui de sa voisine Marcelle
Châtelain. Ce module ne ressemble pas aux deux
autres. Peut-être aurait-il brûlé.
Les plafonds des deux niveaux étaient
construits en corbes, c'est-à-dire en
chênes cintrés, taillés en section
trapézoïdale, qui accueillaient, entre
deux, des pierres assemblées sur chant et
faisant "clefs de voûte" entre deux
bois.
A la cave, une belle tonne
parallélépipédique
vitrifiée, et deux sapines énormes
témoignaient d'une activité vinicole
jadis intense.
Avant les surs Durot, les
segments du milieu et de l'Est avaient été
occupés par le Docteur Claude Sireguy, qui avait
fait communiquer entre eux les étages de ces deux
propriétés, en surélevant le
plancher de l'étage de AB 203. Au-dessus du
milieu, il accueillait ses patients, et la salle
d'attente était entièrement
boisée.
Ces trois morceaux allaient
ensemble. Ce qui plaide en faveur de cette
hypothèse, c'est leur intercommunicabilité
qui ne se voit pas depuis la rue, mais qui est
réelle. Lorsque les porches de Marcelle
Châtelain et Thérèse Durot
étaient clos avec de grosses portes de sapin, ces
morceaux étaient accessibles entre eux par des
escaliers, des caves, ou des portes dans les murs
mitoyens.
Nous ne sommes pas loin de
penser qu'une quatrième maison faisait partie du
tout, il s'agirait de la belle maison carrée
à quatre pans (dite maison des Chaniet) qui se
dresse juste derrière : la présence
d'un puits commun et surtout, la présence de
macarons sculptés sur les manteaux de
cheminées, tous à caractère
religieux.
En outre, il est permis de
penser qu'un jour, la rue du Dieu de Pitié
n'existait pas, et que les jardins cadastrés (AB
192 et 193) avaient pu servir de cimetière ou
à la congrégation ou comme de
cimetière d'appoint à celui de
l'église qui serait devenu trop exigu.
Des corbeaux sur la
façade indiquent qu'un jour lointain, cet ensemble
n'avait pas d'étage et qu'ils servaient à
soutenir des chéneaux de bois.
Ces trois appartements ont
vraisemblablement été réunis et
séparés au cours des temps. Les preuves de
l'unité sont limpides et toujours visibles, mais
celles de la séparation aussi :
chaque maison avait sa grosse
cheminée, son four à pain, sa chambre
à goutte, sa pierre à évier, son
teck à porcs (AB 435 pour la maison AB 204; sur AB
207 pour AB 203, et sur la cour de AB 202). Ces trois
tecks, nous les avons connus en 1966, mais ils ont tous
été démontés par des paysans
voisins ou amis qui avaient besoin de cailloux pour
construire autre chose et ailleurs.
Une consolation est que Marcel
Verrier (AB 486) a conservé le sien, à un
seul pan, en excellent état, à quelques
mètres de là.
Après la guerre de 1914,
le module du milieu a servi à jouer des
piécettes de théâtre et à
projeter du cinéma.
Les loisirs au début du siècle
étaient simples :
"Je pense bien que j'ai pris le Tacot, ben il
allait pas vite. C'était surtout pour acheter des
outils. Autrement, on avait tout qu'il fallait, c'est le
caïffa qui vendait tout ça. Le Caïffa,
c'était une épicerie ambulante, comme
aujourd'hui le Casino, et il passait toutes les semaines
avec sa charrette à bras, où c'était
écrit "Au planteur de Caïffa".
Une fois, avec mon mari, on est allé
à la fête à Dole. Oh, ben Dole, c'est
une grande ville, c'est bien plus grand que
Moissey.
Moissey n'est pas chef-lieu de canton! C'est
Montmirey-le-Château !
On ne s'amusait guère, il fallait piocher
les vignes et s'occuper de not' vache. Pour la fête
on dansait, il y avait un manège. Pour Noël,
on allait tous à la messe de minuit et puis en
rentrant, on mangeait comme un dimanche".
Puis plus tard :
"Avec mon pauvre mari qu'était
paralysé, je ne pensais guère à
faire la fête. C'est comme ça, c'est
ça la guerre. Maintenant, on est bien tranquille.
Enfin on ne sait pas ce qui peut nous arriver, on ne sait
ni qui vit ni qui meurt".
La religion, (les anciens avaient de grandes
préoccupations métaphysiques) :
"La messe j'y crois, je suis bien obligée
d'y croire, car d'après vous qui c'est qui a fait
le monde ? Il faut bien que quelqu'un ait fait le
monde. L'église, j'y crois mais j'y vais pas,
j'suis trop vieille. Pourtant, il y a quelque chose qui
me chagrine, c'est la résurrection, c'est comment
les cadavres esquintés comme ils sont, ils peuvent
redevenir vivants. Puis si tout le monde ressuscite,
où que c'est qu'on va tous les
mettre ?
Quand, j'étais petite, quand il y avait de
l'orage, avec ma sur, ma mère nous habillait
et on descendait à la cave, jusqu'à ce que
ce soit fini. C'était comme ça".
Elle était toujours bonne avec autrui, enfin
presque.
"Monsieur Guinchard, c'était un bon
instituteur, il était sévère, mais
il fallait travailler".
"Monsieur Désandes, [le maire]
c'est un bon maire, il a de l'instruction. Il avait une
bonne place dans l'armée."
"L'autre folle, elle dit que tout est trop cher,
mais je me rappelle, un poulet valait 4 sous, le pain 1
sou, c'était pas donné. Il fallait
travailler dur".
Les souvenirs arrivent, parcellaires, mais
précis :
"Ma sur, elle est morte, la médecine,
c'était pas comme maintenant. Il y avait le
docteur Sireguy, il habitait chez vous [AB 203 et AB
204]. Il y avait une salle d'attente toute
boisée à l'étage [AB 203],
bien avant qu'y habite le père Coco.
Quand j'étais gamine, dans la niche, il y
avait un Saint-Antoine et son cochon, donc il se pourrait
que not' maison soit l'ancien couvent
Saint-Antoine".
[parler du Puits Baudry, four, pressoir,
alambic, écuries, fumier, poules,
caves]
moissey, été
1987.
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