Isolé face au Massif de la Serre,
le Mont Guérin est un pôle d'attraction pour
les promeneurs des communes voisines : Frasne,
Moissey et Montmirey-la-Ville dont il occupe la partie
sud du territoire, et qu'il domine, à 320 m d'une
centaine de mètres.
Un sentier qui se détache de l'ancien
chemin, (peut-être voie romaine?) de Moissey
à Montmirey-la-Ville, permet de gravir, à
l'ombre, sans trop de peine, les flancs relativement peu
pentus et de traverser le plateau pour redescendre vers
Frasne ou Montmirey-la-Ville.
En arrivant sur le plateau, le promeneur enjambe,
sans même le remarquer, un léger bourrelet
de terre et de pierres qui marque l'entrée,
moderne, d'un des hauts lieux de l'histoire locale: le
Camp de hauteur néolithique du Mont Guérin.
Ce plateau, aujourd'hui envahi par une
végétation quasi impénétrable
par endroits, fut, il y a plus de 5 000 ans, un lieu
privilégié d'habitat pour des populations,
peu nombreuses, d'agriculteurs et
d'éleveurs.
Ce plateau est bordé sur son pourtour par
un rempart de pierres que l'on peut suivre sur les 2/3 de
son parcours; un oeil exercé peut en discerner
l'origine, à travers des arbustes qui le cachent,
à droite du point d'accès sur le plateau.
Ce n'est plus aujourd'hui qu'un murger de pierres
éboulées de différentes hauteurs,
avec un maximum de 3,65 m à l'extérieur au
sud et de largeur variable ( 4 à 2 m). Le rempart
primitif, dont on ignore la hauteur, mais qui
était plus important au sud et à l'est
où la pente est plus faible qu' à l'ouest
où il dominait des pentes raides avec des abrupts
rocheux, protégeait un camp d'environ 6 ha, dont
les habitations se groupaient contre le flanc
intérieur de l'enceinte ouverte en un seul point,
à l'ouest, c'est à dire près de
l'actuelle statue de la Madone du Mont
Guérin.
Deux sources au pied du Mont, permettaient
l'approvisionnement en eau.
Fouillé au XVIIIe siècle et
classé comme enceinte gauloise, c'est à
deux professeurs jurassiens, MM. Feuvrier et Piroutet que
revint le mérite d'avoir permis d'établir,
par leurs fouilles, la période d'occupation du
site. D'après leurs trouvailles (outils de silex,
meules en arkose, débris de clayonnages des murs
de cabanes, fusaïoles, fibules, poteries etc...) Ils
ont daté l'occupation du Mont Guérin du
Néolithique Final (de -3400 à -2200),
à l'âge du Bronze (-1800 à -800) et
au Hallstatt (= premier âge du Fer, c'est à
dire de -800 ou -750 jusqu'à -450). Cela
représente une longue période d'occupation,
permanente ou intermittente, on ne le sait pas, de
près de 2500 ans, beaucoup plus que ne peuvent
s'en vanter nos villages ou nos villes
régionales.
Comme l'on sait que la colonisation par les
premiers agriculteurs a commencé vers - 5500, il
est fort probable que la création de l'enceinte et
de son occupation soient encore plus anciennes. Des
fouilles plus fines, conduites selon les critères
et les méthodes scientifiques actuelles,
pourraient en apporter la preuve, mais l'enceinte
préhistorique du Mont Guérin est
classée parmi les Monuments Historiques depuis
1913.
Partant du Foyer Logement du Mont Guérin,
l'habitat le plus récent, essayons par un vol dans
le temps de près de 6000 ans, de retrouver
l'habitat le plus ancien, son environnement et sa
population, durant cette période de plus de 3000
ans appelée "néolithique", qui, grâce
à un climat plus doux que le nôtre, et
après une lente évolution, vit l'homme se
transformer de prédateur (chasseur, pêcheur,
cueilleur) en producteur (cultivateur, éleveur,
artisan) inventant des techniques nouvelles et
révolutionnaires sans négliger les
ressources naturelles qu'il apprend à
gérer.
Au Néolithique Moyen, vers 3700 avant
Jésus Christ (autrement dit -3700), le paysage
est, quoique plus boisé, sensiblement le
même qu'aujourd'hui. Les grandes forêts
primaires ont déjà disparu après
presque 2000 ans de défrichements et de mises en
culture intensifs. Les coteaux et les plaines sont
réservés à la culture dans des
petits champs gagnés par écobuage sur la
forêt, qui reprend vite ses droits, car du fait des
techniques rudimentaires, la terre s'épuise
rapidement (en 3 ou 4 ans), et les champs sont
abandonnés au profit de nouveaux
défrichements facilités par les haches de
pierre polie. La culture se fait à l'aide de
bâtons à fouir en forme de spatule, l'araire
n'apparaîtra que quelques siècles plus tard.
La récolte se fait à l'aide de faucilles de
bois dont le tranchant est armé d'éclats de
silex. On récolte blé, orge, pois, vesses,
panais, millet et même le pavot, sans oublier le
lin. L'alimentation est complétée par les
fruits et les baies sauvages, les produits de la chasse
(sanglier, chevreuil, auroch, bison...), et surtout de
l'élevage: porc, mouton, chèvre, boeuf que
l'homme a appris à domestiquer et à
sélectionner.
Dans ce paysage de champs et de bois, où
l'agriculture cyclique exige beaucoup de place, mis
à part quelques habitations isolées, la
population occupe les hauteurs, en l'occurence le Mont
Guérin couronné par son rempart de pierres
sèches, peu élevé et percé
d'une porte à l'ouest. A l'intérieur,
contre l'enceinte, s'alignent quelques maisons (de 20
à 50), chacune abritant une famille.
Ces cabanes rectangulaires, sans cloisonnement
intérieur, sont constituées d'une charpente
en bois supportant un toit de chaume à double pan,
les murs étant bâtis en clayonnage de
branchages enduits de pisé. A part la porte, peu
d'ouvertures, l'évacuation des fumées du
foyer se faisant par deux ouvertures triangulaires au
sommet des façades. A part ces habitations, et
peut-être quelques étables et jardins
potagers, le reste du camp sert de pacage et d'abri au
bétail.
La population peu dense (100 à 200 personnes) est
cependant assez nombreuse pour avoir pu édifier ce
rempart de 2 à 4 mètres de haut et d'une
circonférence de près d'un
kilomètre, qui est un élément de
prestige autant que de défense. Cela implique
aussi une organisation, sociale, peut-être à
deux niveaux, où l'élément
supérieur, clan social ou familial, gère la
vie de la collectivité et les échanges avec
l'extérieur: produits locaux, en particulier les
meules et broyons en arkose (grès feldspathique)
qu'ils extrayaient des carrières du Massif de la
Serre à 1 km au sud, contre des produits
utilitaires ou de prestige: silex de Touraine,
éléments de parure,
céramique...
Cette population, qui jouit d'un climat
agréable et ne souffre pas de la faim, est loin de
l'image de la brute telle qu'on imaginait autrefois
l'homme préhistorique; finies les peaux de
bêtes, sauf en hiver et en complément, on se
vêt de lin tissé orné de franges et
de motifs géométriques de couleur, on se
coiffe de bonnets et de chapeaux en sparterie; même
si le plus souvent on marche pieds nus, on possède
des sandales de cuir.
La céramique, invention néolithique
de formes et de dimensions variées, allant de
l'écuelle à la jarre, souvent
décorée de cordons d'impressions ou
d'incisions ou même d'écorce de bouleau,
sert à la cuisson et à la conservation des
aliments. Les ustensiles en bois ou en os (cuillers,
louches, puisoirs) facilitent le travail de la
ménagère qui est aussi potière,
vannière, ouvrière du textile et du
cuir.
L'outillage lithique se diversifie, s'affine et se
spécialise: grattoirs, racloirs, pointes de
flèche en silex, pointes polies en os, haches et
herminettes en pierre dure polie, emmanchées par
l'intermédiaire d'une gaine en bois de cerf pour
en prolonger la durée.
Les armes de chasse ou de pêche plus que de
défense, car du fait de sa faible densité
de population et en dehors de quelques querelles
ponctuelles, la paix règne, sont l'arc et ses
flèches aux pointes diversifiées selon le
gibier chassé, la sagaie et le harpon
barbelé et son propulseur.
Bientôt, l'attelage par joug des boeufs,
puis l'araire et enfin la roue et le chariot (vers -
3400) viendront accroître les performances de cette
société de productivité,
organisée dans la gestion du travail et de
l'espace.
A leur mort, ces néolithiques trouvent la
paix dans des tombes individuelles ou collectives, dans
des caissons de pierre, sous des dolmens ou des tumulus
comme on en trouve au sud-ouest, sur une autre hauteur
proche, la Roche Tillot, où existait un autre camp
fortifié plus petit et certainement plus
récent.
D'autres camps fortifiés, abritant d'autres
communautés agricoles existaient dans la
région, les plus importants étant celui du
Moulin Rouge à Lavans-les-Dole et celui du Mont
Saint près de Parcey.
Contrairement aux stations néolithiques des
lacs de Chalain et de Clairvaux étudiées
depuis plusieurs années par l'archéologue
Pierre Pétrequin et son équipe, où
grâce à l'immersion en milieu
sédimentaire rare en oxygène, des
témoins archéologiques exceptionnels ont
été conservés, notre région
n'a pas livré de témoignages de la vie
quotidienne des populations qui l'occupaient. Il ne reste
de tangible que l'enceinte éboulée et, ce
qui n'est pas le moins émouvant, la
création et la première organisation de la
campagne que nous avons sous les yeux.
Moissey, juillet 1990 , René
Delmas, archéologue.
N.B. On ne saurait trop recommander une visite au
site archéologique de Chalain où deux
maisons expérimentales ont été
reconstituées et à l'exposition sur le
néolithique à la maison des Lacs à
Marigny, Jura.
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