préambule
Je suis venue la première fois avec mon
frère et ma mère, Jeanne Mandin dite
Jeannette, dans une colonie gérée par
monsieur le curé Grandvaux et sa servante Melle
Ida. Ma mère en tant que monitrice était
chargée de les aider dans cette tâche. Mon
père était prisonnier de guerre en
Allemagne (5 ans), dans une usine d'armement à
Munich.
Nous sommes ensuite revenus à Moissey
où nous étions alors logés dans une
maison (voir photo en bas de la page). Ma
grand-mère et mes deux cousins étaient avec
nous.
Comment ai-je repris contact avec Moissey me
direz-vous ?
C'est très simple. Mon mari et
moi-même étions passés dans votre
village en 2003 et à notre retour j'ai
consulté le Web pour voir, si par hasard, nous
trouverions quelque chose sur celui-ci. Surprise ! Nous
avons trouvé un site très
intéressant, très documenté et parmi
les intervenants se trouvait une personne ayant
participé à la colonie à laquelle je
fais référence ci-dessus, elle venait de
Paris. C'était Mme Christiane Beuvart, née
Roy. Nous lui avons adressé un courrier ainsi que
la photo que nous vous avons remise lors de notre
passage. Très gentiment, malgré sa maladie,
elle nous a adressé une longue lettre nous
précisant qu'elle se trouvait au 3ème rang
à gauche sur cette photo. Mon frère et moi
sommes au 1er rang à gauche. Elle parlait aussi de
la méchanceté de Mlle Ida, ce que j'avais
pu moi-même constater lors de mon séjour
dans cette colonie. Elle précisait
également que Monsieur Grebot pourrait
peut-être nous dire si c'était bien Monsieur
Viénot qui habitait en face de la maison où
nous logions. Nous comptions aller voir Mme Beuvart en
juillet 2004 mais malheureusement elle
décédait peu avant. Voici la conclusion de
sa dernière lettre :
"En attendant peut-être de se
connaître si Dieu le veut, je vous adresse ma
profonde amitié".
Depuis quelque temps déjà nos
enfants souhaitaient que nous écrivions nos
souvenirs d'enfance afin que, nous disparus, ils puissent
garder une trace de nos jeunesses respectives. C'est
chose faite et je vous adresse un petit extrait
concernant mes souvenirs de Moissey. J'espère ne
pas me tromper dans ce que je rapporte, mais
j'étais si jeune et jamais je n'ai osé
demander à ma mère plus de
précisions sur cette période.
l'été
43 à la colo de la cure de
moissey
Je ne sais comment, mais
nous sommes allés un jour à Moissey dans le
Jura. Maman avait obtenu un emploi de monitrice, de
colonie ou quelque chose de semblable. Nous nous sommes
retrouvés dans cette colonie dirigée par un
dragon faisant office de bonne du curé
(5ème rang à gauche sur la photo). Air
revêche et cheveux tressés en gros macarons
fixés sur les oreilles. Je devais avoir environ 5
ans, mon frère 3. De cette période j'ai
gardé le souvenir d'une pâtée faite
de farine de maïs appelée "gaudes", que mon
frère et moi-même devions avaler, non sans
peine d'ailleurs. Nous n'aimions vraiment pas cela. Une
corvée de bois me laisse aussi de bien douloureux
souvenirs. Je fus chargée, comme mes camarades de
la "colo" d'ailleurs, de la corvée de bois. Nous
entassions sur nos bras le plus grand nombre possible de
bûches. Pour ma part cela n'allait pas bien loin vu
ma hauteur, mais ce fut suffisant pour que je ne voie
plus où je mettais les pieds. La resserre à
bois se situait derrière l'immense
cuisinière, et ce qui devait arriver, arriva !
Haute comme trois pommes je m'avance vers la remise
à bois et oh ! surprise, et quelle douloureuse
surprise, Melle Ida avait posé à terre une
poêle où frémissait de l'huile bien
chaude. Imaginez le résultat : chaussure,
chaussette brûlées et mes jolis petits
orteils du pied gauche transformés en affreux
boudins (peut-être pas aussi noir, mais quand
même). Résultat, balade en poussette pendant
un mois, séance de perçage de cloques,
pommade et bandages serrés. Les soins se passaient
au fond du jardin pour éviter d'affoler de mes
cris toute la colonie.
dans la maison de
delphine thomas [AB 135]
Pour quelle raison
sommes-nous retournés à Moissey ? Peut
être pour échapper aux bombardements sur
Paris. Ma grand-mère, Monique et André,
cousins, cousine, furent du voyage. Nous étions
logés dans une grande bâtisse avec une cour
fermée par de grandes grilles donnant sur la route
principale. C'était, sans doute, une maison
trouvée par ce brave curé du village. J'ai
d'ailleurs eu l'occasion de montrer à votre
père (), lors d'un passage dans la région,
l'endroit où nous logions ; il était
resté bien présent dans ma mémoire.
Il faut dire que nous avions souvent très peur
lorsque les Allemands, montés sur de petits
chevaux, venaient faire une halte pour cueillir le raisin
qui courait le long de la clôture et s'y cramponner
lorsqu'ils étaient ivres. Un jour ils vinrent
frapper à la porte. Grand-mère et maman ne
devaient pas être fières. Cette
dernière ne s'est pas démontée et
leur a dit que son mari était prisonnier, qu'elle
n'avait pas d'argent et qu'ils trouveraient asile et
couvert au château. Ouf ! A l'arrière de la
maison se cachaient souvent des résistants. Quand
il y avait danger, ils s'enfuyaient par le fond du
jardin. Quelles auraient été les
représailles si les Allemands avec trouvé
cette cache ? Vous pouvez imaginer la peur qu'on pu
ressentir, bien des fois, ces deux femmes seules avec 4
enfants en bas âge.
Dans cette maison il
n'était pas rare de voir passer, le soir, des
petites souris qui couraient d'un placard à
l'autre.
Pour des questions de
survie, nous allions aussi aider au ramassage des pommes
de terre à la ferme voisine (famille Schorsch, le
nom je m'en souviens, l'orthographe moins). Pour
améliorer l'ordinaire, maman glanait celles qui
restaient après le ramassage. J'étais de
corvée et pour me récompenser, elle
m'offrit une jolie robe faite de tissu d'un joli vert
avec impression de petits curs
légèrement brillants. Quelle joie ! Nous
allions aussi à la cueillette des cerises noires.
C'était plus drôle et nous pouvions remplir
le panier et aussi notre ventre. Nos lèvres et
vêtements étaient maculés de jus
noir, et nous devions avoir aussi, de temps en temps, les
intestins un peu dérangés, mais
c'était si bon !
En face de la maison vivait
un très vieux monsieur, (toujours en rapport avec
mon âge bien sûr). Il prêtait des
livres et rendait de menus services. Maman et
grand-mère aimaient bien ce "petit monsieur
Viénot ". Il me semble ne pas me tromper quant
à son nom. Cette amitié réciproque
était pour elles d'un grand
réconfort.
Nous les enfants nous
jouions, insouciants des dangers. Et pendant ce temps les
adultes vivaient autrement cette guerre. Des
résistants furent tués au Mont Roland,
près de ce petit village jurassien, sans doute
dénoncés par des âmes charitables. Je
me souviens qu'un jour il y eut un grand moment
d'allégresse lorsque quelqu'un a crié. "
Les Allemands sont partis". Dans l'euphorie du moment les
drapeaux français furent accrochés aux
fenêtres pour fêter
l'événement. Ce fut de courte durée,
l'information était erronée, et les
premiers camions allemands réapparurent en haut du
village. C'est fou comme l'information et les actions
peuvent être rapides dans de telles circonstances.
Les drapeaux furent retirés précipitamment.
Quelles auraient été les
conséquences si l'ennemi était entré
dans une ville pavoisée aux couleurs
françaises ?
Nicole
Mandin-Michaut, courrier adressé à
moissey.com
le 8 mars 2005.
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