Selon Edmond Guinchard, auteur
de la Monographie de Moissey, éditée par la
souscription des villageois en 1913, le filon
d'arkose
"accessible" qui est situé au sud du territoire
communal serait à l'origine de l'installation
à demeure des habitants de Moissey. Cette
activité aurait été la principale
fondatrice de ce village.
Ces carrières de pierre
meulière, quoique souvent décrites comme
Carrières de Moissey, se trouvaient en
majorité sur le territoire de Frasne, village qui
s'appela jadis Frasnes-les-Meulières.
On peut lire dans "l'Histoire
de la Franche-Comté" de E. Rougebief de 1851,
que "Moissey possède des carrières de
marbre et de pierres meulières", indication qui
doit être d'importance si on considère que
l'autre village du canton qui est nommé à
la même page, c'est "Montmirey qui est une ancienne
prévôté" alors que de plus, la
présence du Massif de la Serre n'est même
pas mentionnée.
« Plus loin encore
dans l'obscurité des temps, et dès 1358, il
est fait mention des meuliers de Moissey. La trace du
plus lointain moulin de Dole est datée de 1239",
et chaque fois qu'il est question de moulin, il
apparaît le nom d'un meulier de Moissey. Au XIVe et
XVe siècle, nous pouvons même en dresser la
liste » nous a dit l'historien francomtois
Jacky Theurot.
On y extrayait et taillait
d'abord des pierres cylindriques à écraser
le grain ou la terre, les meules. D'où l'adjectif
meulier.
La carrière produisait
aussi de la pierre à bâtir, des bancs
à s'asseoir, des marches d'escalier, des linteaux
cintrés, des bornes "cadastrales", des
pavés à routes, des auges à cochons
et à vaches, des mangeoires pour la volaille, des
corps de puits (souvent demi-corps), des
réceptacles d'eaux de pluies, des rigoles, et
enfin, des sarcophages à
décédés.
A Moissey, toutes les soues
à cochons sont bâties sur le même
modèle : à côté de la
porte, l'auge est dans le mur, et donc accessible des
deux côtés, c'est-à-dire par le
nourrissant et par le nourri. Ces auges, dont il reste de
nombreux exemplaires, sont toutes en moulasse et ont des
dimensions voisines, c'est-à-dire : 60 cm de
longueur, 40 de largeur et 30 de hauteur.
Il faut comprendre que ce
conglomérat très serré,
excepté son rôle de pierre dure à
écraser et broyer, était le matériau
idéal à creuser. Il suffisait d'y aller
avec patience de son burin et de son marteau pour en
faire des récipients inaltérables, non
gélifs parce parfaitement étanches. Et si
la pièce de pierre éclatait sous le burin,
ce devait être bien rare, car telle n'était
certainement pas sa vocation.
En dehors de pièces
creuses, les hommes faisaient aussi des croix, aux bras
élargis, qu'on appelle aujourd'hui
"pattées" avec parfois une petite niche de forme
ogivale destinée à y abriter
vraisemblablement une statuette de la Vierge ou d'un
autre Saint méritant.
Sur les 43 croix pattées
qui cernent le massif de la Serre, le village de Frasne
en compte 7 sur son propre territoire, ce qui oblige
à accréditer sérieusement
l'idée que c'était Frasne qui était
"meulier", plus que Moissey. La carte d'Etat Major de
1889 modifiée en 1913 est limpide sur ce
point : les carrières meulières de
Frasne sont souvent appelées Carrières
Meulières de Moissey bien que clairement
situées sur le territoire de Frasne. C'est par un
effet de la féodalité que le nom de Moissey
ait prévalu sur celui de Frasne.
Nombreuses parmi ces croix sont
celles qui sont érigées sur une belle meule
en position horizontale.
Le banc
d'arkose,
sorte de grès vosgien affleure non seulement
à Moissey et Frasne, mais aussi sur Menotey,
à quelques hectomètres de l'endroit dont
nous parlons, ainsi qu'à
Serre-les-Moulières, située de l'autre
côté du Massif.
Par ailleurs, on retrouve des
éléments de la veine un peu partout, en
particulier sur le lieu dit de l'Ermitage : en
effet, les pierres plates dolmeniques qui composent la
célèbre grotte sont de la même
nature.
Non loin de là, on
retrouve, encore aujourd'hui et très
aisément des sablières du même
conglomérat (quartzeux et feldspathique) mais dont
le liant est bien plus meuble. Ce sable a
été abondamment utilisé dans la
construction des maisons du village comme mortier pour
monter les murs et surtout pour enduire les murs
extérieurs. Il faut se rappeler que jadis,
contrairement aux usages de maintenant, seuls les plus
riches faisaient enduire leur demeure.
Ces sablières sont au
nombre de trois, elles ne sont plus en service, et celle
qui est la plus proche de l'Ermitage a dû
être dynamitée et détruite pour des
raisons de sécurité (à l'article
titré "la
Sablière", on
peut lire une partie de son histoire).
La seconde, assez importante,
est aujourd'hui sur le domaine privé de M. Marcel
Dubuc. Edmond Guinchard écrit en 1913 que "la
carrière appartenant à Madame de Matherot
fournit un sable excellent pour la bâtisse, mais
n'est plus guère utilisée depuis qu'on en a
fermé l'entrée par une barrière,
pour des motifs d'ordre".
Quant à la
troisième, moins profonde, ou moins haute selon
comme on parle, elle a été enclose par des
particuliers qui ont acheté, à plusieurs,
un km2 de forêt à fins de chasse
privée. Ce km2 se trouve à l'angle fait par
le CD 37 et la partie du Chemin de la Poste qui rejoint
la Croix Boyon. La clôture de quatre
kilomètres de longueur et de 3 mètres de
haut a été l'objet de contestations de la
part d'habitants du canton qui militaient en faveur d'un
environnement bon et accessible à tous.
L'idée attendue et qui pourrait faire un jour
jurisprudence, puisque la loi est mal prononcée
sur ce sujet, c'est que la forêt, même
propriété privée, serait
"inclôturable", pour les raisons qu'on devine, de
chasse ou de tourisme pédestre, au moins.
Peut-être un jour, le législateur
considérera-t-il la forêt tout comme l'eau
qu'on boit ou l'air qu'on respire ?
Ces carrières
meulières sont encore aujourd'hui une
véritable curiosité bien que pratiquement
plus personne ne les visite, hormis un cavalier par-ci ou
un chasseur par-là. L'ensemble se tient sur
plusieurs hectares et ne ressemble pas du tout à
l'idée qu'on peut se faire de carrières. Il
s'agit de trous, comme des excavations de bombes, des
trous de forme tronconique -à fond plat de 8
à 15 m de diamètre- et des "terrils",
amoncellements de milliers de chutes de la taille, ce qui
donne, avec une lumière qui semble pleuvoir
verticalement, un paysage très
émouvant.
Ce qui ajoute au mysticisme des
lieux, c'est la présence de la forêt qui
recouvre tout, avec lenteur mais certitude. La
forêt de l'endroit avec ses feuilles mortes et ses
mousses envahissantes jolies comme des cristaux donne
réellement l'impression d'un manteau neigeux, mais
résolument vert, avec ses courbes douces et ses
chutes arrondies.
Ce spectacle grandiose peut
nous faire comprendre le fonctionnement de
l'exploitation. Les carriers travaillaient chacun pour
soi. Tant mieux si la chance les amenait sur un bloc qui
pourrait faire une belle meule ou un beau cercueil. Ils
devaient opérer comme les chercheurs d'or, chacun
pour soi, mais solidaires dans l'adversité, chacun
sa cabane et chacun ses outils, et sûrement tous
pour un lorsqu'il s'agissait de sortir de là le
chef d' oeuvre, le porter sur charrette ou le rouler dans
les chemins creux et défoncés,
carrés et profonds comme des canaux, jusqu'au
chemin de Moissey à Châtenois ou jusqu'au
bord de l'actuelle nationale -qui malgré ce nom
prestigieux, n' est aujourd'hui qu'une
départementale- appelée 475.
Certains historiens ne se
gênent pas pour dire que les sarcophages
d'époque mérovingienne qu'ils ont
rencontrés çà et là -et
même bien plus loin- proviendraient à coup
sûr des carrières dites de Moissey et de
Serre-les-Moulières. L'une ? l'autre ?
Qu'importe. Si ce que dit l'historien est hautement
plausible, ce n'est déjà pas si mal, c'est
déjà un morceau de la
vérité...
Edmond
Guinchard, semble
avoir connu le dernier des meuliers, puisqu'il
écrit qu'il s'appelait Jacques Valot, qu'il avait
cessé son activité en 1909, et que selon
lui, ces carrières ne donnaient plus que des
pierres de pavage.
Quant à Thérèse
Sigonney
-épouse Noël- elle revoit dans sa
mémoire, dans les années 27 ou 28, un grand
de Frasne qui se nommait Larivière et qui allait
travailler à la "Crasse".
Aujourd'hui, les enfants de
l'école du village ont pu découvrir, sur
les indications de Lucien Thomas éleveur-chasseur
célèbre parmi les siens, une belle petite
meule de 80 cm de diamètre et de 15 cm
d'épaisseur, à guère plus de dix
mètres du chemin de Châtenois. Donc une
pièce qui avait été extraite, puis
taillée et déjà un peu
"déménagée".
Que s'était-il donc
passé ici ce jour-là ?
Des historiens notoires ont dit
que ces carrières auraient pu être
abandonnées à la fin du XIXe siècle,
chose qu'on comprendra aisément, si on
considère d'abord que bien des matériaux
coûteux en travail ont été contraints
de se démoder et ensuite que la nouvelle voie de
chemin de fer (1901) a pu contribuer largement à
accélérer l'extinction de nombreuses
activités "autarciques".
à moissey le
29 mai 1990, Christel Poirrier.
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