tout près du village de moissey, l'histoire de l'art

dans les bois communaux de la forêt de la Serre

"l'Ermitage"

par Edmond Guinchard, 1913

voir aussi le menu "Ermitage"

autres articles sur "le patrimoine cantonal"

voir surtout sa monographie de moissey, 213 pages, née en 1913

la monographie Guinchard

la monographie d'Edmond Guinchard
0. Edmond Guinchard, instituteur et monographe.
1. Idée d'ensemble de la commune, pages 7 à 12.
2. Géographie physique, pages 13 à 22.
3. Géographie administrative, pages 23 à 36.
4. Géographie économique, pages 37 à 54.
5. Faits historiques-temps anciens-moyen-âge, p 55-103.
5bis. Faits historiques, temps actuels, p 103 à 138.
6. L'église de Moissey, pages 123 à 156.
7. Les écoles de Moissey, pages 157 à 175.
8. La forêt de la Serre, pages 175 à 188.
9. Hommes remarquables, pages 189 à 200.
10. Traditions populaires et légendes, pages 201-209.
11. Conclusion, et Table des matières, pages 211-215.
la monographie d'Edmond Guinchard

Le photographe de l'époque emmenait toujours avec lui une personne, la femme à l'ombrelle, qu'on voit sur de nombreuses cartes postales du début du XXe siècle.

 

En suivant le Chemin de la Poste, après avoir traversé la route d'Amange à Moissey, on trouve à environ 1 200 mètres de cette dernière un petit sentier sur la gauche, qui conduit le voyageur au pied d'une roche escarpée connue sous le nom d'Ermitage.


Cette retraite a environ 15 mètres de longueur, 8 mètres de largeur et 7 mètres de hauteur. Elle comprend un rez-de-chaussée et un étage superposé.

Le rez-de-chaussée est composé de trois pièces voûtées : une grande au milieu de 2,50 m de large sur 2 de hauteur moyenne; deux plus petites, de chaque côté, larges de 1,50 et 1m, hautes de 1,50 environ.

L'étage a quatre pièces également voûtées : deux grandes, au milieu, dont les largeurs moyennes sont de 2,20 et 3 m, avec une hauteur uniforme de 2 m; puis deux plus petites, de chaque côté, d'une largeur moyenne de 1 m, sur 1,40 de hauteur.

Le rez-de-chaussée et l'étage avaient certainement pour fond, à l'origine, le massif même de la roche. Les eaux ont commencé le travail de destruction; une fente s'est produite d'abord et peu à peu, le monument s'est détaché de la roche mère. L'ouverture qui se voit aujourd'hui et qui va de la base au sommet de la grotte, a la forme d'un parallélogramme très allongé de 12 mètres de longueur sur une largeur variable qui atteint 2,50 m en un certain point.

Tandis que le monument se désagrège par le fond, tourné à l'est, il se détruit en même temps par la façade. Depuis une quarantaine d'années déjà, des piles ont cédé au premier étage et ont été remplacées en deux endroits par des étais en maçonnerie. Il y avait en effet à l'étage, des baies servant à l'éclairage et à la communication des pièces entre elles; ces ouvertures se sont élargies sous l'action des eaux, de la gelée -sans parler des dégradations dues à certains visiteurs- et la solidité des parois latérales a été de ce fait considérablement compromise. On peut prévoir que d'ici peu d'années le plafond du monument -banc de roche d'un poids considérable- s'écroulera, n'étant plus soutenu que par des soubassements de plus en plus faibles. Le rez-de-chaussée seul, avec ses trois travées voûtées, est donc appelé à durer.

Ce rez-de-chaussée a une grande entrée cintrée de 2,60 m de hauteur à la clef de la voûte, sur 3,80 m de largeur. On peut supposer que la cavité était et qu'elle a été simplement agrandie et aménagée par la main de l'homme. Des traces de pic, verticales et obliques, espacées de cinq centimètres en moyenne, sont visibles d' ailleurs dans les trois pièces du bas; au premier étage, on relève peu de ces traces; il n'y en a pas aux voûtes. Cette grotte est donc en partie artificielle.

La roche constitutive est, dans son ensemble, formée de strates parallèles, à feuillures superposées; c'est un grès quartzifère, le grès vosgien de l'étage inférieur du trias. Ce grès, friable, trop facile à désagréger, est composé de petits cristaux de quartz et de feldspath agglutinés par un ciment siliceux; il constitue la roche nommée arkose. On y voit des colorations rouges dues à des infiltrations ferrugineuses et, de loin en loin, quelques gros cristaux de quartz et des traces de mica.

La roche d'arkose s'étend d'ailleurs sur la plus grande partie de la Forêt de la Serre : l'Ermitage est situé presque à la pointe extrême d'un massif qui se poursuit fort loin au sud dans les bois de Châtenois et d'Archelange, au vallon des Vaux, puis au sud-ouest et à l'ouest dans une partie des bois de Gredisans, Menotey et Frasne. Le même massif reparaît dans une partie des bois d'Offlanges, de Montmirey-le-Château, Brans, Thervay, au nord de la Serre.

Devant le monument règne une plate-forme, aménagée certainement par la main de l'homme, car elle détruit la pente générale du versant. Elle a une vingtaine de mètres de développement sur une douzaine de mètres de largeur. A une distance de 30 mètres de la grotte, sort une source d'eau limpide ne tarissant jamais.

Cette source forme de suite un joli ruisseau d'eau courante qui traverse la forêt en se dirigeant du côté du Pré des Vaux. Le paysage a beaucoup de grandeur, grâce à l'ombrage des hêtres séculaires que la commune de Moissey se garde de faire couper.


L'origine de la grotte de l'Ermitage est jusqu'ici bien discutée. Les uns, comme Monnier, veulent la considérer comme un monument druidique, à cause de l'existence d'un oeil-de-boeuf pratiqué au rez-de-chaussée et destiné à jeter un rayon de jour dans la pièce de gauche; cette fenêtre est, disent-ils, absolument conforme à celle des dolmens observé aux environs de Vesoul, ainsi qu'à Courgenay, près de Porrentruy, et dans d'autres lieux encore. D'autres s'accordent à dire que sa construction date seulement du XVIe ou du XVIIe siècle : c'est peut-être un jugement bien téméraire. Nous ne pouvons rien affirmer; mais il est certain que l'Ermitage est très ancien.

MM. Feuvrier et Fèvret ont fouillé cette grotte et l'opération ne leur a rien donné qu'une série de foyers superposés, à l'étage inférieur, sans aucun objet. Une étude minutieuse des traces laissées par des outils pourrait peut-être servir à la dater : c'est l'opinion de M. Feuvrier.

Comme cette grotte est connue sous le nom d'Ermitage, on peut de prime abord y voir la solitude d'un anachorète chrétien. Rousset dit : « Si l'on compare la forme de l'Ermitage de Moissey aux grottes qui servirent de retraite aux premiers solitaires de l'Occident, on leur trouve tant de points de ressemblance qu'on en conclurait facilement que ce réduit fut occupé dès le Ve ou VIe siècle par des ermites. Il fallait un zèle bien fervent pour venir planter la croix dans une contrée où les superstitions druidiques se maintenaient dans toute leur vigueur, favorisées qu'elles étaient par les sombres ombrages de la forêt de la Serre ». Une particularité est frappante dans tous les cas; c'est que l'ouvrage avec ses nefs voûtées, aussi bien au rez-de-chaussée qu'au premier étage, semble affecter la forme et la disposition d'un édifice religieux. « L'étage supérieur servait, dit Rousset, d'église». Le rez-de-chaussée aurait donc servi de logement aux ermites ?

On remarque en plusieurs endroits des traces de chaux et de plâtre, preuve indéniable que la retraite de l'Ermitage a été habitée. On découvre aussi de petites niches, cavités de forme ronde ou allongée, creusées dans la roche et paraissant destinées à servir de resserres à provisions?

Mais sur les prétendus ermites, on ne sait rien ou peu de choses. Le dernier soi-disant ermite s'appelait Guilley. Il aurait, fort âgé, quitté l'Ermitage en 1694, après la mort de son compagnon, pour venir habiter une maison de Moissey, sise ruelle du Croutot, dans une petite cour, à gauche en montant, où il mourut à son tour vers 1697. Jusqu' à cette époque, l'Ermitage aurait était habité par deux ermites qui, tous les dimanches et fêtes, venaient entendre la messe à Moissey et faisaient la quête dans l'église? C'est du moins ce que rapporte une note datée du 1er janvier 1850 et écrite de la main même du docteur Claude-François Guillaume, médecin à Moissey, lequel avait vu, à la fin du XVIIIe siècle, disait-il, des châssis de fenêtres et de portes aux diverses ouvertures, ainsi que des enduits de plâtre sur les parois intérieures des différentes pièces. (La note est écrite au dos d'un portrait qu'on croit (?) être celui de l' ermite Guilley).

Mais quel était au juste le caractère de ces ermites ? Etaient-ils des moines réguliers ? Rien ne l' indique; on incline plutôt à croire que c'étaient des reclus volontaires, mendiants et errants, qui avaient choisi cette retraite pour vivre à leur guise, à l'écart de la société. Ils venaient peut-être tout simplement demander l'aumône à la porte de l'église.

On a dit aussi que la grotte de l'Ermitage avait été dédiée à Saint Hubert. Cependant aucun chroniqueur ne peut assigner à ce fait une époque déterminée. La tradition n'aurait-elle pas simplement voulu dire que ce site a toujours été fréquenté par les disciples de l'évêque de Liège, c'est-à-dire les chasseurs ?


Les Bons Cousins Charbonniers.

On est mieux documenté sur le point suivant : l'Ermitage a servi, entre les années 1840 et 1850 principalement, de lieu de réunion aux membres de la "Vente des Bons Cousins Charbonniers de la Serre". C'est là qu'étaient reçus les adeptes et qu'étaient célébrées les cérémonie aussi innocentes que mystérieuses prescrites par les statuts de l'association.

« Cette association était née, dit Marquiset, dans des temps assez reculés, du besoin qu'avaient éprouvé les hommes, contraints par position de vivre dans les bois, de se rapprocher et de se secourir mutuellement; ils avaient emprunté à l'art de la carbonisation du bois, leurs emblèmes, leurs cérémonie, leur vocabulaire symbolique ». Les assemblées, qui, en dehors de la vente des bois proprement dite, avaient souvent pour but quelque oeuvre de bienfaisance, étaient surtout des rendez-vous de bons vivants réunis pour consommer gaiement en commun des victuailles et des boissons, comme le font aujourd'hui, en renouant une joyeuse tradition, les groupes et sociétés qui viennent visiter l'Ermitage.

Rappelons pour mémoire que les Bons Cousins Charbonniers, dont les associations à formes secrètes se rencontraient alors dans les grandes masses de forêts de la France entière, n'avaient rien de commun, quoi qu'on en ait dit, avec la puissante société politique des Carbonari. Leurs rassemblements n'en ont pas moins été interdits au commencement du second Empire. Nous trouvons même dans l'annuaire Monnier (année 1850, page 297) la note suivante :

« le 1er novembre 1792.

On trouve consigné dans les délibérations du Comité de surveillance de Lons-le-Saunier que les divisions haineuses qui affligent cette commune sont attribués aux Bons Cousins Charbonniers. Selon leur institution, dit la délibération, les Bons Cousins ne devraient se rassembler que dans les bois et nous voyons pourtant qu'ils se réunissent dans la ville pour jouer, et qu'ils tiennent registre de leurs délibérations. Chez un peuple libre, toute corporation qui n'a pas pour objet le soutien de la république ne saurait être soufferte.» Dans le même volume, page 365, nous lisons ensuite :

« 15 mai 1793.

Suppression de la société des Bons Cousins Charbonniers de Lons-le-Saunier, dont l'existence tolérée par l'administration, échauffait la bile des patriotes ».

Mais en général, les Sociétés de Bons Cousins ont duré jusqu'en 1850. Celle de la Serre aurait même, nous a-t-on dit, tenu des réunions clandestines jusque vers 1865.

Aujourd'hui, beaucoup de promeneurs se donnent rendez-vous à l'Ermitage. Chaque année, pendant la belle saison, de nombreux dolois viennent le visiter, y font des repas champêtres, et se reposent ensuite sous les hêtres ombreux. C'est la promenade favorite des habitants de Moissey et des environs, qui y conduisent leurs invités. Il serait à souhaiter que le site fût mieux aménagé et qu'on pût trouver là des rafraîchissements et quelques provisions de bouche dans une petite buvette bien installée.

Il serait désirable surtout que la "Société pour la Protection des Sites et Paysages de France", ou le Touring-Club, ou toute autre association analogue, s'intéressât à cet édifice de l'Ermitage, unique en son genre dans le Jura, sinon en France. La commune de Moissey seule, avec ses modestes ressources, ne peut pas assurer l'avenir du monument situé sur son territoire.

En attendant, les visiteurs feraient bien de s'abstenir de jeter çà et là, autour de la grotte, les débris de toutes sortes provenant de leurs repas. Les enfants peuvent se blesser sur les tessons de bouteilles et les boîtes métalliques vides qu'ils n'aperçoivent pas toujours en prenant leurs ébats. D'autre part, c'est un désordre, -pour ne pas dire une malpropreté,- qui choque l'oeil et enlève au paysage une partie de son charme.

L'Ermitage de la Serre, qui occupe un site pittoresque en l'un des points les plus élevés de la forêt, à l'intersection de plusieurs vallons boisés, est sans contredit un des plus remarquables du Jura par son antiquité et sa forme. Il mérite d'être mieux connu et surtout d'être conservé.

"monographie de moissey." par Edmond Guinchard pages 181 à 187. Paul Audebert, imprimeur-éditeur, Dole, 1913.

voir surtout sa monographie de moissey, 213 pages, née en 1913

la monographie Guinchard

la monographie d'Edmond Guinchard
0. Edmond Guinchard, instituteur et monographe.
1. Idée d'ensemble de la commune, pages 7 à 12.
2. Géographie physique, pages 13 à 22.
3. Géographie administrative, pages 23 à 36.
4. Géographie économique, pages 37 à 54.
5. Faits historiques-temps anciens-moyen-âge, p 55-103.
5bis. Faits historiques, temps actuels, p 103 à 138.
6. L'église de Moissey, pages 123 à 156.
7. Les écoles de Moissey, pages 157 à 175.
8. La forêt de la Serre, pages 175 à 188.
9. Hommes remarquables, pages 189 à 200.
10. Traditions populaires et légendes, pages 201-209.
11. Conclusion, et Table des matières, pages 211-215.
la monographie d'Edmond Guinchard

portail de moissey.com
e-nous écrire