Le dimanche 3
septembre 1944.
Ce fut pour nous la première journée
qui marqua le début de la libération.
Depuis quelques jours déjà, les Allemands
en retraite sillonnent les routes. La Résistance
qui jusqu'ici n'a mené qu'une action
réduite, s'emploie à harceler
l'ennemi.
Ce dimanche 3
septembre,
jour anniversaire de la déclaration de la
guerre, fut marqué par un incident qui aurait pu
mal finir.
Une voiture des FFI était arrêtée
en haut, à l'entrée Nord du village, en
face de chez Marcel Guillaume, quand des voitures boches
font apparition dans la direction de Dole et ouvrent le
feu sur les FFI qui, pour éviter des
représailles sur le pays, se replient sans tirer.
Les Boches ne s'en tiennent pas là, et en
redescendant le village, ils tirent sur tous les passants
qui peuvent se trouver dans la rue. On entend les coups
de mitraillette depuis le centre du village, les coups se
rapprochent et finissent bientôt pas nous
atteindre. Mon père, au salon de coiffure, sort
vite pour fermer les volets, mais il est mis en joue par
un sale boche qui lui lâche une rafale de dix
balles qui s'aplatissent autour de lui, contre le mur,
sans faire de victimes, mais bien qu'une balle "ait
passé" entre les jambes de mon père,
perçant derrière lui la porte
d'entrée. Moi j'étais en train de
m'habiller dans ma chambre pour aller à la messe,
en voulant regarder par la fenêtre, je fus pris par
une rafale de trois balles qui percèrent mon
plafond au-dessus de ma tête et une brisa un
carreau. En face de ma chambre, le Boche balance une
grenade dans la maison du maire, (Ernest Odille,
père de Madame Turchetto) dans une pièce,
pulvérisant l'armoire à glace. André
Guillaume, un peu curieux lui aussi, sort sur le seuil de
la porte de son atelier de menuiserie, et il est
chaleureusement accueilli par trois ou quatre rafales de
mitraillette soit quatorze balles, mais aucune ne
l'atteint. La rage des Boches s'arrête et ils
reprennent la route de Dole sans laisser de victimes, par
miracle. Après ces quelques instants
troublés, les jeunes du pays gagnent le bois par
crainte de représailles. Les Boches ont pourtant
mis le feu à une voiture qui brûle en haut
du village. Mais après quelques heures, tout est
calme.
Le lendemain matin, lundi 4
septembre,
les colonnes défilent toujours sur la route de
Besançon. Les avions alliés mitraillent
sans esprit les convois, on les entend depuis ici
ronronner et piquer en mitraillant sur l'autre versant de
la Serre. Notre route n'est pas tellement visée,
mais pourtant, aux Quatre Fesses un avion pique sur un
convoi. On ne sait si les Allemands sont atteints mais
une femme du café des Quatre Fesses est
tuée, Blanche Sigonney. Ici, on voit des Boches
isolés qui se sauvent à pied en rasant les
maisons. Dans la nuit du lundi au mardi, les tanks et
blindés remontent sur Gray, des coups de feu sont
tirés du bois de Frasne, la colonne stoppe devant
chez nous et sur la place. Le maire Ernest Odille et
André Ardin sont réveillés et
emmenés pour être témoins des larcins
que les Boches veulent commettre. Ils prétendent
qu'un soldat allemand a été tué.
Evidemment, les deux otages ne le voient pas, aussi pour
mettre le feu, il faut supposer ce crime, les Allemands
les conduisent à la ferme Sigonney. Quarante
Boches entourent déjà la maison, pendant
que l'officier et un soldat pénètrent
à l'intérieur avec deux bidons d'essence et
donnent dix minutes par faveur pour que les
propriétaires sauvent le bétail. La maison
Sigonney est fouillée, retournée. Le maire
implore mais l'officier montre qu'il n'y a plus que
quelques minutes. Le maire discute, plaide, et supplie
tant, que ces braves cochons finissent par céder.
Mais ils laissent un sale souvenir en emportant dix mille
francs et des papiers. André Ardin m'a
relaté ces faits. Il est minuit, depuis ma chambre
derrière les volets, j'entends les Boches
baragouiner dans la rue et la colonne repart. Impossible
de dormir car la course en retraite continue.
Le mardi 5
septembre,
vers six heures du matin, un convoi s'arrête et
remise les tanks, véhicules dans les ruelles, les
cours, les granges : il y en a plusieurs dans notre
cour. Vont-ils faire de la résistance, tout le
monde en a peur. Plusieurs Boches vont réveiller
les gens du quartier pour avoir du café et exigent
des lits pour dormir, mais un ordre arrive de partir et
brusquement la colonne repart sans laisser
d'adresse.
Le mercredi 6
septembre
fut plus troublé, on devait voir un grand
hangar plein de foin, de gerbes et de paille brûler
en deux heures. Deux FFI d'un groupe voisin sont
tués sur notre terre de Moissey.
Les jeudi 7 et vendredi 8
septembre,
c'est toujours le même défilé,
les Allemands se sauvent à pied, en vélo,
en remorques, en carrosses, en tombereaux à purin
et même en corbillards volés sur leur
passage. Ils ne font pas les malins, malgré la
rage qui se devine sur leurs gueules, mais ils se
taillent. Nous on biche...
Le midi, je sors de la cave pour tirer à
boire, en sortant de notre cour, je suis presque nez
à nez avec un officier boche à pied, qui se
barre aussi, comme s'il couvrait la retraite des autres.
J'ai eu une grande frayeur. Il tient un révolver
de gros calibre collé contre sa cuisse, le canon
vers le sol. Moi, mon litre de rouge entre les mains, je
stoppe sur place, le Boche a vu que j'ai eu peur, mais
lui, je ne l'ai pas effrayé. J'ai pensé que
mon compte allait être vite réglé,
mais je pense après, qu'il était
pressé de rentrer chez lui. Ouf!
Le samedi 9 septembre
enfin,
on annonce que Dole est libérée et par
là, Moissey aussi. Fausse alerte. Michel, gendarme
FFI qui allait en mission de reconnaissance, est
tué à Montmirey-le-Château et vers 12
h 30, les Boches reviennent et foncent sur Dole avec 14
camions-mitrailleuses, des soldats, couchés sur
les ailes des camions, ils vont jusqu'à Jouhe,
où il y a un accrochage avec les FFI. Dans la
soirée les Boches se replient après avoir
infligé de lourdes pertes aux FFI et perdu
eux-mêmes pas mal d'hommes. Ils prennent position
à Moissey. Avec Rose Ineig, je me trouve en me
sauvant par le chemin des vignes, face à un petit
canon anti-char que les Boches mettent en place, il y a
des bidons d'essence dans le passage de Fort-Griffon. Ils
attendent un motif ou un accrochage pour foutre le feu.
Nous gagnons le bois par les vignes. Nous allons nous
planquer à l'ancienne poudrière, je n'ai
pas eu le temps de dire quelque chose à mes
parents; lorsque nous entrons dans la grotte de la
poudrière, nous trouvons une trentaine de
personnes qui ont fait comme nous et qui sont là
pour passer la nuit. Le soir, tout est calme.
Les Boches décrochent en direction de Gray et
vers dix heures du soir, une grosse déflagration,
le pont de Pesmes "est sauté".
Ils sont de l'autre côté, pour nous, on
ne les reverra plus. C'en est fini du cauchemar!
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