village de moissey

Jean Fidèle d'Aligny, le résistant

par André Besson, historien et écrivain dolois

texte publié dans la Voix du Jura, au 60e anniversaire de la libération du Jura

images argentiques de José fils de Jean d'Aligny, numériques de Christel Poirrier

1944

Jean Fidèle Picot de Moras, baron d'Aligny 1907-1945

prologue

d'Aligny, le résistant, par André Besson

prologue

 Il y a soixante ans, à quelques semaines de la Libération, était arrêté à Peintre, par la Gestapo, un grand résistant jurassien, originaire de Montmirey-la-ville, M. Jean d'Aligny. D'abord conduit au camp de Struthof en Alsace, le résistant fut déporté dans la sinistre mine de Schömberg, au Wurtemberg, avant de disparaître, corps et âme en mars 1945 lors des événements qui marquèrent la fin du IIIe Reich. Jusqu'à ce jour, l'histoire émouvante du baron Jean d'Aligny n'avait jamais fait l'objet d'aucune étude. A partir d'un interview de son épouse que j'avais réalisée en 1955, puis de documents plus récents fournis par son fils M. José d'Aligny, j'ai pu écrire cet article et sortir de l'oubli des mémoires, le nom et l'action de ce pur héros de la résistance.

d'Aligny, le résistant, par André Besson (1)

 

le premier réseau

 Issu d'une très vieille famille francomtoise puisant ses racines à Montmirey-la-ville dans le Jura, Jean d'Aligny est né à Paris le 18 février 1907.

Après de brillantes études à l'Ecole Polytechnique, le jeune homme entre aux "Assurances Générales sur la Vie" (aujourd'hui Compagnie AXA) dont il devient le secrétaire général.

A la mort de son père André d'Aligny, survenue en décembre 1938, Jean prit sa succession et fut élu Conseiller Général du canton de Montmirey. En 1946, lors de l'hommage rendu à sa mémoire, le doyen du Conseil Général du Jura dira:

"Dès le début de son mandat, Jean d'Aligny prit place dans les commissions où siégeait son père, notamment celle des finances où il était particulièrement apprécié. Travailleur acharné et infatigable, il avait pris pour devise le mot "Servir", aussi était-il appelé à remplir un rôle important au sein de notre assemblée départementale..."

En août 1939, Jean d'Aligny est mobilisé comme capitaine aviateur de réserve au GAO 508, dans un état-major interarmes. Après la défaite, il est démobilisé et reprend ses fonctions à Paris dans sa compagnie d'assurances. Son épouse et ses enfants s'installent en 1942, au château de Montmirey-la-ville qui a été occupé en 1940 par les Allemands.

Dès cette époque, le Jurassien est en contact avec son cousin germain, François de Menthon, résistant de la première heure et se livre à des opérations de renseignement pour un de ses réseaux. Le Colonel Ballet, l'un de ses camarades de combat, dira de lui en s'adressant à ses enfants:

"Bien que votre cher papa eût été un pacifiste qui haïssait la guerre, puisqu'il fallait se battre, il décida de la faire jusqu'à la limite extrême de ses forces. Animé d'un patriotisme ardent et éclairé, il se rangea délibérément du côté de ceux qui se sont battus jusqu'à la victoire, refusant de voir dans l'armistice, une excuse de renoncer à la lutte!"

d'Aligny, le résistant, par André Besson (2)

 

arrêté comme otage

Hélas! L'occupation ne va pas s'achever sans que le courageux résistant n'ait à subir des représailles de la part des nazis qu'il combat. Parce que l'ennemi sait qu'il est le cousin germain de François de Menthon (qui fait partie du Comité d'Alger créé par le général de Gaulle), le 4 avril 1944, Jean d'Aligny est arrêté à Paris comme otage après l'exécution pour haute trahison de Pierre Pucheu, ministre de l'Intérieur de Vichy.

La capitaine d'Aligny est d'abord interné à la caserne des Tourelles dans le XXe, en compagnie d'autres personnalités: Edgar Pisani, André Viénot, le général de Larminat, le Trocquer, de Courcel, Louis Weiss...

Le 20 mai, les otages de Tourelles sont transférés au Mont Dore, dans le Puy-de-Dôme, Jean d'Aligny s'emploie alors à organiser leur évasion. Grâce à lui, 47 d'entre eux parviennent à s'enfuir.

Aussitôt libre, le Jurassien s'empresse de rejoindre le maquis de Marchal dans le Cantal, où il participe à des opérations contre l'occupant. Il obtient enfin une permission bien méritée pour venir voir son épouse et ses enfants.

Fin juillet 1944, il se cache chez des amis à Esbarres en Côte d'Or et, à bicyclette, de nuit, vient au château de Montmirey-la-ville, bien que cette demeure fût placée sous surveillance depuis son évasion.

Lors de sa dernière visite avant de reprendre sa place au maquis, à l'issue de sa permission, Jean d'Aligny est arrêté à Peintre, à 5 km seulement de chez lui, le 30 juillet 1944, par une patrouille allemande. Celle-ci ratisse le secteur, car la veille, deux collaboratrices ont été exécutées par la résistance locale à Chevigny, un village proche.

Trouvé porteur de faux documents d'identité, le capitaine d'Aligny est aussitôt arrêté puis transféré à Dijon, dans les sinistres locaux de la Gestapo. Il ne parlera pas. Il sera transféré en train le 22 août 1944, vers le camp de Struthof en Alsace. Durant son voyage, il griffonnera sur une minuscule feuille de papier cet ultime message:

"Prière prévenir Baronne d'Aligny de Montmirey-la-ville que je pars aujourd'hui 22 août, pour un camp de concentration en Alsace. Bon courage, à bientôt, Jean".

Cette lettre ramassée sur la voie ferrée par un cheminot dijonnais sera transmise à Mme d'Aligny qui recevra aussi par la suite, une petite montre pendentif enlevée à son mari par les Allemands lors de son arrivée à Struthof.

d'Aligny, le résistant, par André Besson (3)

 

le déporté de Schömberg

 Le 1er septembre 1944, le résistant d'Aligny, désormais déporté n° 22701, est conduit dans les mines de Schömberg (Wurtemberg) d'où l'on extrait du schiste destiné à la fabrication d'essence synthétique. Il s'agit d'un véritable bagne où les ouvriers meurent de fatigue et d'inanition après seulement 7 à 8 mois d'un labeur inhumain. Les nazis ne se préoccupent guère de ces pertes. Les victimes sont aussitôt remplacées par d'autres malheureux déportés du Struthof. Jean d'Aligny va vivre durant six mois dans cet enfer qu'un de ses camarades rescapés a décrit ainsi:

"les privations, les durs travaux, les coups ne nous furent pas épargnés. Mais si notre séjour fut pénible, ce fut surtout du point de vue moral, en raison des brimades toujours imposées avec un raffinement de bêtes féroces par nos gardiens. Elles furent, pour l'ami que nous pleurons, très dures à supporter. Jean le fit avec un stoïcisme et un calme digne d'admiration. Le soir, nous pensions ensemble que, malgré tout, nos bourreaux n'auraient pas raison de notre volonté et que nous tiendrions jusqu'au bout."

Cet espoir en l'arrivée des alliés, en la délivrance prochaine, va être vain pour Jean d'Aligny. Bien qu'il n'ait que 38 ans et soit d'une robuste constitution, son physique ne résiste pas aux coups, à la fatigue, à la faim. Très affaibli, le résistant jurassien est désigné le 10 mars 1945, pour être évacué avec 14 autres déportés malades, vers le camp de Bergen-Belsen, près de Hanovre, 800 km plus au nord.

Le train qui emporte ces pauvres gens est composé de wagons tombereaux ouverts, recouverts de barbelés pour éviter les évasions. Le froid intense, la neige, qui sévissent durant ce terrible hiver 1944-1945, va coûter la vie à tous ces malheureux seulement vêtus de leur mince costume rayé de déporté. Aucun d'eux ne survivra et leur trace se perdra à tout jamais dans le grand silence du néant.

L'Abbé Van Hecke, l'un des compagnons de misère du Jurassien dans le camp de Schömberg, qui assista au départ du convoi maudit, écrira à sa veuve, après son rapatriement: "Pour Jean, sa famille, son épouse, ses six enfants, c'était son grand souci, c'était aussi sa peine... Il offrait pour eux toutes ses souffrances et communiait aussi souvent que j'avais des hosties. Il ne s'est jamais plaint, sa patience, sa confiance en Dieu étaient inaltérables. A la trace de leur père, ses enfants ne pourront récolter qu'honneur et sainteté".

d'Aligny, le résistant, par André Besson (4)

 

une attente insoutenable

 Puis vint le 8 mai 1945, la fin de l'horrible guerre mondiale qui avait endeuillé tant et tant de familles européennes. Pour celle de Jean d'Aligny, comme pour beaucoup d'autres, un fol espoir naquit lors de la libération des camps de la mort. Tous espérèrent le retour de leurs proches.

Un jour de juin 1945, les services de la Croix Rouge informèrent Mme d'Aligny qu'un convoi de déportés arriverait gare de Lyon à Paris le lendemain. Dans ce train, sur la liste des rescapés, figurait le nom de Jean d'Aligny. A cette nouvelle, une immense joie étreignit son épouse et ses enfants. Un proche parent du résistant libéré se rendit à la gare pour l'accueillir...

Hélas! Le rescapé n'était pas celui qu'on croyait, mais un homonyme, M. Jean d'Aligny, originaire de Toulouse.

On devine la cruelle déception éprouvée ce jour-là par la famille et les amis du déporté jurassien.

L'attente se prolongea encore de longs mois, puis un jour parvint à Montmirey-la-ville, un extrait de jugement prononcé en avril 1946 par le Tribunal d'Instance de Dole, déclarant Jean d'Aligny mort pour la France le 10 mars 1945 à Schömberg, à l'âge de 38 ans.

Malgré les innombrables démarches entreprises par son fils, M. José d'Aligny, auprès de la Croix Rouge française et allemande, des forces anglaises qui libérèrent le camp de Bergen-Belsen, auprès du ministère des déportés, de la Deutsche Bahn..., le corps de l'héroïque résistant jurassien ne fut jamais retrouvé.

Seule une modeste plaque élevée à l'entrée du village de Peintre, où il fut arrêté, rappelle aujourd'hui la mémoire de Jean d'Aligny, ainsi qu'un cénotaphe dans le cimetière de sa famille, à Montmirey-la-ville.

par la rédaction de la Voix du Jura (n° 3114, du jeudi 29 juillet 2004)

André Besson, historien-écrivain

 André Besson n'a cessé, depuis 1946, d'enquêter sur les événements tragiques de l'occupation et de la résistance. Il a publié de nombreux ouvrages consacrés à la seconde guerre mondiale, "Nos années d'espérances" Editions Cêtre à Besançon, "Les maquis de Franche-Comté", "Les trente jours de Berlin", "Juste avant l'aurore", Editions France-Empire, Paris. Tous ces livres sont disponibles en librairie, ou à défaut, chez l'auteur, tél 03 84 82 26 43.

1944

Joseph dit José (né 1935), Hélène (née en 1936), Jean tenant dans ses bras le nourrisson André (né en mai 1944), devant lui Gaby (née en 1941), Simone (née en 1939) et Eliane (née en 1933). Sur cette image, Marie, l'épouse de Jean, ne figure pas, c'est elle qui tient l'appareil.

1944

Septembre 1941, au baptême de Gaby, à la sortie de l'église d'Aurillac (la mère de Marie habitait au Château de Fabrègues, à 3 km d'Aurillac). Les adultes, de gauche à droite: un oncle, Marie d'Aligny, une nourrice qui tient le bébé, Jean d'Aligny et son frère Henry. Les enfants sont Eliane, puis Joseph dit José, les deux petites filles en blanc sont Simone et Hélène.

1944

Le maquis de Brize et le théâtre des opérations.

©IGN-France

1944

A gauche, stèle commémorative de l'arrestation à Peintre, à droite, inscription parmi les morts pour la France, avec son frère François.

1944

La dernière demeure des Picot de Moras, barons d'Aligny.

1944

Stèle de Jean Fidèle Picot de Moras, baron d'Aligny, Montmirey-la-Ville

voir quelques photos prises à Montmirey-la-ville pendant les années 39-45, prêtées par José fils de Jean.

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