à côté du village de moissey, mais dans ses bois communaux, parcelle n° 18

comment inoublier le cuissot de sanglier

simple nouvelle forestière, (mais sanglière)

Christel Poirrier

 

comment inoublier le cuissot de sanglier.

recette pour le préparer de façon à s'en rappeler toute sa vie, c'est-à-dire,

l'inoubliable cuissot.

 

Pour (faire) atteindre cet objectif, tout de même assez ambitieux, il faut se munir des éléments dont la liste paresseusement s'exhibe et s'étire sous votre regard culinairement moelleux..

 

Matériel

une cuisinière, une jardinière ou une épouse,

une cuisinière, une gazinière, ou une plaque de cuisson,

un gros Tupperware,

un couteau d'ogre. (Il suffit de trouver un ogre qui vous prêtera volontiers son grand couteau).

 

Ingrédients pour la marinade.

Des ails, des bulbes (voir la cuisine aux trois bulbes, chez le même auteur), des herbes en branches, des branches en herbes, des fleurs en boutons, des asperges en tiges, des salades en bourgeons, des pommtaires en tubercules, des carottes en racines pivotantes, du persil en barbe, du thym, du laurier, du poivre, et des clous de girofle (pas de marteau, pourtant utile dans une autre de nos recettes pour construire des meubles).

De l'huile, pour faire mariner, étanche et bien couvert par dessus, du vin blanc sec (il existe du vin sec, et ce n'est pas d'aujourd'hui, mais aujourd'hui, il en faut 150 cl pour un cuissot de 25 hectogrammes) et deux décilitres de vinaigre.

Attention, le ministère de la Marine prétend ne pas être habilité à vous seconder dans une telle entreprise. Ce ministère prétend au contraire qu'il est chargé de manager le troupeau de marins de France.

 

Ingrédients pour la bête.

Un cuissot de gros gibier, sans les poils. (Votre attention, des malins s'amusent à faire faire des dictées de Mérimée où les excellents font des fautes, en particulier on vous demande de savoir distinguer cuisseau de cuissot. Le cuissot est le gigot d'une grosse bête, alors que le cuisseau est une petite cuisse d'animal commun, veau, chèvre...) moyen de ne pas l'oublier cuissot, grot gigot et cuisseau, petite cuisse de veau, facile, non ?

 

Compagnie.

Il faut de la compagnie pour cette recette, car c'est une recette compagnicole (qui signifie "vivre en compagnie")

 

Cuisson.

20 minutes par livre. Bien sûr, on peut aller chercher le cuissot dans sa bibliothèque, mais ce n'est pas la recette rustique proposée.

 

Qualités mentales.

Un mental fort pour faire face à toute la recette de A à Z (disons, pour être plus simple, de Alpha à Oméga).

 

Qualités intellectuelles.

Une mémoire en bon état, ou une mémoire à peu près, afin d' être sérieusement en mesure d'inoublier le cuissot. Pour ceux qui n'auraient pas la tête pour, pourraient se munir de mémo-prothèses, c'est-à-dire appareils à capturer (copier) des images, des sons, des odeurs.

Pour ceux qui se sentent tout petits, choisir l'autre version de la recette, c'est-à-dire "un cuissot oubliable", édité par la concurrence.

 

Qualités philosophiques.

Pas d'options marquées. Un bon petit athéisme de principe, ou bon petit agnosticisme, en tout cas une bonne laïcité sociale comme il est besoin en ce changement de millénaire.

 

Autres ingrédients.

Dans une musette, placer un bon saucisson, un bâtard de pain complet, deux bouteilles de Beaujolais, un Opinel taille 10, quelques petits cigares, une boîte d'allumettes ou un briquet à gaz ou pas. Un tire-bouchons (avec ou sans s, bien qu'il y ait deux bouchons inscrits au concours).

 

Circonstances optimales.

Un dimanche matin d'automne, partir à quatre ou cinq personnes, vers les neuves heures, prendre depuis Moissey sortie "Est" le CD 37 qui conduirait volontiers à Amange s'il le fallait, et s'arrêter sur le premier parc à Quatrelles qui vous accueille sur votre gauche. S'assurer que vous êtes seuls, que votre compagnie ne se mélange pas avec une autre, une autre qui n'aurait pas de musette... garnie (les clochards ne sont pas tous sous les ponts).

 

Aviser la première coupe (de bois) que vous rencontrez, regarder de tous les côtés, sortir les fusils de leur étui, puis les rededander dans l'étui (rededander : remettre dedans, c'est-à-dire, dedander à nouveau).

La compagnie devra se composer d'un vétéran (à poil gris) qui sait tout et qui surtout le professe, de deux jeunes chasseurs avec des CAP de production (un à poil pie brun de l'Est, l'autre blond), un étudiandiant en psycho (à poil noir), et un Monsieur Brun de Tarascon, c'est lui qui portera la musette, car c'est celui-là qui n'a ni de permis de chasser ni de fusil, et qui aurait même en douce une carte de militant du front contre la chasse. Une Madame Brun pour se dédouaner d'une autre idée répandue sur le machisme des hommes et des chasseurs, qui serait l'épouse de Monsieur Brun et la confidente d'un des jeunes chasseurs.

 

Le vétéran devra avoir un peu un air de pope, au moins la barbe, l'étudiant en psycho devra zozoter un peu, les deux ouvriers devront porter une admiration sans bornes vers le pope, et Monsieur Brun, qui fera bien d'appartenir à la fonction publique, au moins pour la représenter, devra garder en tout cas son devoir de réserve. Par exemple lorsque le pope dira qu'il a lancé une balle de golfe jusqu'à Villers-les-Pots en Côte d'Or, il ne devra pas le traiter de menteur, mais reconnaître qu'il y a des hommes forts parmi nous, au moins lui.

Une fois la pompe amorcée, l'Alphonse Daudet (ou le Paul Arène, on ne sait pas, car plus on avance et moins on sait) va vouloir en raconter des extravagantes, par exemple, comme Pagnol, qu'il a tué trois sangliers d'un coup. A ce moment-là, la compagnie est prête à s'asseoir, la magie est allumée et le fonctionnaire qui représente l'état pourra proposer qu'entre deux coups de fusil, on goûte le saucisson avec ce pain exceptionnel, et ce Beaujolais qui est lui-même tout étonné de se voir en plein milieu de cette belle clairière qui trône en plein bord du centre de la forêt.

Il y aura des souches splendides, puisqu'on sera dans une coupe qui a déjà un an d'âge, donc bien vidangée, des souches superbes pour s'asseoir dessus et pour commencer à disposer le Quatreures. Le pope dira d'où devraient venir les oiseaux, puisque ce serait la saison de la passe. L'un des jeunes ouvriers dirait "t'es sûr". Ce jeune-là, avec sa tignasse queue de vache serait le neveu de l'autre, et ça expliquerait sa féale accommodance. D'ailleurs, le pope en imposerait tout naturellement puisque que ce serait un homme qui saurait tout mais qui n'aurait pas appris dans les livres justement. Et c'est pourquoi son savoir aurait ce côté d'admirable, venant justement de partout sauf des livres. Et il dirait au fonctionnaire qui serait de l'éducation nationale, "si tu sais que ce qu'il y a dans les livres, moi je peux t'en apprendre" et le fonctionnaire serait consentant, parce qu'il saurait bien que c'est justement pas dans les livres que le déliceux de la vie est écrit. (On peut dire autrement, c'est dans les livres que la vie n'est pas écrite... Dans les livres, il y a la fallité mais pas la vérité).

En vrai, le pope, il en saurait plusse qu'il n'en aurait appris, et de plus, il en dirait nettement plus qu'il n'en saurait. Les Quatrautres seraient plusse épatés que le pope aurait prévu... Ainsi, le pope, il n'y aurait pas moyen de l'arrêter, sauf quand on lui dirait qu'on entendrait l'angélus de Tarascon-la-Ville.

Évidemment, le pope serait de Tarascon-la-Ville. Nécessairement. Enfin, il serait natif de Moissey, mais il aurait épousé sur Tarascon-la-Ville, pour tout de même ne pas verser dans les vieilles histoires de consanguinité, je marie ta sœur et toi mon frère etc...

Le pope appellerait tout le monde "Philibert" et son neveu appellerait Monsieur Brun "Filibaire", car en orthographe, il serait plutôt "bon moins" que "bon plus".

« Alors Philibert, caisse quilla dans ta musette ? »

 

alors tout le monde s'asseoirait plus ou moins, Monsieur Brun poserait, au point de concours des médiatrices, le saucisson, l'Opinel Sacré et la planchette de foyard, sacrée elle aussi. Afin que la première bouchée de saucisson fasse école dans la bouche des chasseurs-gustateurs, Monsieur Brun surseoirait quelques minutes au service du pain, jusqu'au moment où l'étudiandiant se demanderait ce qu'il peut bien y a avoir dans des bouteilles marquées Beaujolais, le nom d'une région de France. Comme la Beauce ou la Brie, sauf que là, c'est Beaujolais. Pas vilain, comme mot, Beaujolais. Ça peut attirer un étudiandiant qui aurait un peu l'esprit critique, pas que héréditairement.

Sans tirer à la courte paille, ce serait le blond qui ouvrirait les bouteilles parce que justement, comme sa mère serait maire, il se vanterait de bien savoir ouvrir les bouteilles. Alors les Cinqautres le lui laisseraient croire, et c'est lui qui ouvrirait les bouteilles. La vie est si simple quand on ne la complique pas.

Au bout d'un Quardeure, quand le pope aurait expliqué comme cette bonne amie-là elle n'avait pas fait long feu dans ses bras ou comme il avait failli massacrer quelqu'un qui avait failli le regarder de travers ou encore comme il avait assommé un sanglier de cinq cents kilos rien qu'en lui disant "Halte, Toi le Cochon, tu es ici dans le bois de Cronges, tâche de..." ça y est, le voilàyerait assommé. Le sanglier mâle d'une demi-tonne n'aurait jamais pu entendre la suite de la phrase qui était "tâche de ne jamais l'oublier". Le pope terminerait la plupart de ses phrases par "Villers-les-Pots" afin que l'auditoire comprenne bien.

L'étudiandiant à cheveux noirs ensuite attraperait la bouteille le premier, puisque "c'est celui quidi-quillet", et il déclarerait d'une façon très dominicale "c'est bon le Beaujolais" et la bouteille passerait de l'un à l'autre, et le Saucisson passerait aussi, et l'Opinel Sacré aussi, puis le pain passerait un peu. Guère.

Au bout d'un temps, on serait toujours à la passe aux oiseaux migrateurs, et on serait couchés pour mieux les voir passer, avec les fusils bien au fond des étuis. Le soleil taquinerait le monde et le monde ne lui en tiendrait pas rigueur, car le soleil serait tellement beau et la clairière tellement belle.

Au bout d'un temps, le soleil serait encore beau, la clairière lumineuse et la vie toujours belle. On s'allumerait un petit cigare et on parlerait à voix basse...

Des anges laïcs traverseraient le ciel, invisibles et rapides, et essaieraient de piquer des ronds de sos ou des miettes de pain. Le silence aiderait à percevoir des bruits de la nature, des pets, des rots, des ronflements sans qu'on sache si ce serait des bruits de gibiers ou de chasseurs.

Au bout d'un autre temps, long, il ne resterait plus qu'à remettre la main sur l'Opinel Sacré et les Bouteilles Païennes (vacantes).

Madame Brun, dirait, "c'est comme ça que j'aime la chasse".

 

Puis quand l'angélus de Tarascon-la-Ville se déchaînerait, ou celui de Tarascon-le-Château, il n'y aurait qu'à remonter dans les bagnoles et déclarer en rentrant, on n'a rien vu, pas d'oiseau, pas de lapin, même pas un sanglier. Pas d'alcootest.

On remonterait dans les bagnoles avec un peu de Beaujolais dans les veines. C'est sûr qu'en l'an 1999, ce n'est plus aussi simple, car il faut maintenant être à la fois "chasseur" et "sous Quatre Dixièmes de gramme d'alcool pur dans la tuyauterie". Ce qui n'est pas donné à tout le monde.

 

Re-Circonstances optimales.

Il est clair que si la procédure précédemment décrite n'a permis de rapporter aucun gigot d'un mammifère allure cochon, il faudrait réitérer, jusqu'à ce que succès s'ensuive.

 

Enfin, rendre exécutoires les sentences.

 

Dès qu'on a le cuissot, le faire cuire et le manger, à plusieurs, avec un vin qu'on aura soi-même récolté sur le coteau d'Offlanges, ce qui fait l'objet de la recette : "Comment boire du vin d'Offlanges".

 

fin

(O,+)

v

(--------------)

fin

 

à moissey, le dimanche 1, le lundi 2, puis le mardi 3 août 1999, christel poirrier.


 

Avertissement.

(Habituellement, on avertit au début, parce qu'un lecteur averti en vaut deux. Qu'un lecteur n'en vaille qu'un ne sera déjà pas si mal, et permet ainsi d'avertir après, puisqu'avant est inutile).

Toute ressemblance avec des personnes ayant existé et m'ayant emmené à la chasse avec elles est une splendide coïncidence, puisqu'il s'agit de

Michel T., chasseur à Tarascon-la-Ville,

Didier T. son neveu le jeune ouvrier à la chevelure queue d'vache,

Régis B., le blond et fils du maire de Tarascon-la-Ville,

Bruno B., noir de poil, qui fait l'étudiandiant,

le village de Villers-les-Pots dans son propre rôle,

de l'Opinel Sacré taille 10 dans le rôle du couteau,

de l'auteur et de son épouse dans le rôle ébahi des époux Brun,

 

et la coupe affouagère, parcelle n° 18 des bois communaux, dans le rôle de la clairière.

Extrait de Forêt de Plaisance.

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