Il était 11 h quand Jean Michaud m'a
proposé de venir avec un comparse. Il
s'agirait de Jean Chenillot, le frère de
Marcel, enfin bref, un Chenillot que je ne
connais pas. Donc ça me ferait deux gens
de Brans au lieu d'un. Je n'ai pas osé
lui dire que il ne s'agissait pas d'une visite
guidée, mais de faire des photos, prendre
des mesures, au moins, repérer les
appareillages etc...
A 14 h, Jean Michaud arrivait dans une 2 CV
camionnette du siècle dernier, suivi peu
après par Jean Chenillot, fontainier
cantonal, que je connais... depuis une trentaine
d'années!
Nous avons pris le temps de nous
équiper, de nous brancher sur la grange
de Charles Vuillemin, puis j'ai laissé
les deux Brantais passer devant. Jean Chenillot
connaissait bien les lieux, puisque son
métier l'avait amené à
travailler sur cette portion d'aqueduc.
Aux deux angles importants du conduit, j'ai
posé deux lampes de chez camping-gaz,
puis Jean Michaud a installé son
hallogène au bord du bassin de source.
C'était une féerie, c'était
le Parthénon éclairé par le
dessous, c'est là que nous avons fait nos
plus belles images.
Ensuite, nous nous sommes
déplacés à la reculons et
avons photographié tous les segments l'un
après l'autre (seul le segment
d'entrée a été
photographié à contre sens,
c'est-à-dire en allant vers la sortie).
Jean Michaud véhiculait les
éclairages et mesurait les longueurs,
pendant que Jean Chenillot m'assistait pour
écrire sur mon carnet; il avait
apporté avec lui deux projecteurs
autonomes, mais dont les lumières
étaient trop concentrées (faisceau
en pinceau) pour arroser tout le champ
photographique.
Il a fallu mesurer les longueurs et aussi
les angles: j'avais fait un compas géant
avec deux lattes, boulonnées avec un
écrou à oreilles, et j'avais
emprunté le gros rapporteur jaune de
l'école de Moissey. Les angles ont
été mesurés au degré
près (et d'une manière
collégiale) et les longueurs au cm
près, grâce à Jean Michaud
qui est encore plus maniaque que moi.
Nous avons mesuré la paroi Sud du
conduit, celle qu'on a à sa droite quand
au va, et sa gauche quand on revient: (je dis,
quand on va tout droit, qu'on est à 180
degrés)
la longueur du puisard est de 280 cm, puis
après un décrochement de 15 cm, le
segment de conduit mesure 90 cm, puis angle
à gauche de 175 degrés (disons
180-5), puis un segment de 400 cm et angle
à droite de 160 (ou 180-20), puis une
ligne droite de 551 cm, puis un angle à
gauche de 140 (180-40), puis une ligne droite
très longue de 940 cm pour arriver au
coude initial, fait d'un petite chambre
pentagonale dont les deux côtés de
126 et 135 forment un angle de 125
degrés. Cette chambre contient la
ventouse, c'est-à-dire, comme l'a
expliqué Jean Chenillot: soupape
automatique pour chasser l'air, car nous sommes
sur un point haut de la conduite, à
rapprocher des robinets de vidange sur les
points bas.
La dernière ligne droite mesure 375
cm pour arriver au trou d'homme, au bord d'une
dalle qui n'en est pas une, mais une plaque de
cheminée où Jean Michaud s'est mis
deux fois le front dedans. Il a ainsi
examiné la coupable pour constater
qu'elle remontait à l'Empire.
Après le trou d'homme, une section
qui continuerait sur l'extérieur, mais
qui est murée, à trois
mètres de là.
Au cours de toutes ces mesures, Jean
Chenillot avait connecté notre
deuxième hallogène, afin qu'on se
croie sur les Champs-Elysées.
Vers 15 h 30, nous avions terminé, et
même photographié les deux
cheminées d'aération, l'une sur la
chambre pentagonale, l'autre, bien plus haute,
je ne sais plus où, sûrement au
bout de conduit de 940.
Vers 15 h 31, avec la boussole de Jean M,
j'ai retrouvé le méridien nord-sud
qui passe à 90 degrés du boyau
d'accès, à deux trois
degrés près.
J'ai oublié de sortir mon
thermomètre, mais Jean M m'a dit qu'on
était entre 14 et 16 degrés
(Celsius, cette fois).
Nous avons aussi omis de faire des mesures
de déclivité, je ne m'en sentais
pas le courage, mais, il faudrait bien, un
jour...
Sans mes deux camarades, j'aurais mis au
moins le double de temps pour mes travaux, et
l'arrivée inopinée de Jean
Chenillot nous a apporté une aide de
premier plan.
Rentré à Moissey, j'ai
trouvé un rapporteur, dessiné mon
affaire sur une feuille A4 où l'ensemble
tient à peine à l'échelle
1/100.
A en croire la paroi Sud de l'aqueduc, du
trou d'homme à l'extrémité
(Est) du bassin de captage, le boyau mesure
28,87 m. En mesurant la paroi Nord, on pourrait
trouver 7 ou 8 cm de moins. environ.
L'heure des hypothèse sonne.
Pourquoi ce tracé en "z" de l'eau de
la Goulotte, de sa naissance jusqu'à
l'immeuble Vuillemin ? Cette Goulotte ne
serait-elle pas la source fondatrice du
Château de l'agglomération qui
l'entoure ?
L'eau sourd d'une petite falaise: est-ce
qu'elle empruntait ce curieux canyon sur 30 m
depuis longtemps ? Est-ce qu'on a
maçonné le long de parois
calcaires ? Est-ce qu'on a profité du
chantier de Melay pour construire ce conduit
d'une façon bien voisine ? Est-ce
qu'on a travaillé à ciel ouvert ou
est-ce que ce conduit était
déjà à l'état de
tunnel avant les pierres de soutènement
et de garniture ?
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