village de moissey, autour de l'église

lettre d'un énergumène de Moissey, à son très vénéré pasteur, M. Antoine Désiré Droz, curé inamovible.

par Joseph Bonaventure Casimir Guillaume, avocat (1er janvier 1832)

Paris, imprimerie de Poussin, rue de la Tabletterie, n° 9

aimable saisie dactylographique de Mme Andrée Walter, Vitry

Cet ouvrage est le seul qui est indexé sous "Moissey" à la bibliothèque municipale de Dole, exceptée la monographie de Edmond Guinchard (1913). La saisie de Madame Walter respecte scrupuleusement l'édition de 1832.

l'affaire du Curé Droz
le 14 octobre 1828, une drôle d'affaire à Moissey, par Casimir Guillaume, avocat
l'affaire Droz, in "L'Etat du Clergé de France", 1830
lettre de Casimir Guillaume à M. le curé Droz, Moissey 1832, saisie manuelle
lettre d'un énergumène de Moissey, à son très vénéré pasteur, M. Antoine Désiré Droz, curé inamovible (Casimir Guillaume, 1832) scan de l'original
l'affaire Droz in "L'Ami de la Religion et du Roi" (1834)

Monsieur,

 

Depuis bien long-temps il n'est question que de vous dans nos parages. Ce n'est pas que je trouve surprenant qu'on s'occupe d'un homme de votre mérite, qui est plus qu'ordinaire si l'on en croit les personnes qui vous entourent. On vous dit pantoglosse, orateur sans pareil, écrivain plus étonnant encore, et par-dessus tout cela, prototype des professeurs de rhétorique: voilà sans doute bien des titres pour que l'on vous distingue de ces obscures et chétives notabilités de notre village, que vous traînez à la remorque, troupeau, trop crédule dont vous exploitez la sottise et la vanité en votre qualité de pasteur. Je conçois donc que, lumière unique au milieu de tant d'obscurité, vous attiriez tous les regards.

 

Mais vous êtes fameux par une autre espèce de célébrité, célébrité à l'Erostrate, et c'est de celle-là dont je veux vous entretenir un moment. Beaucoup de personnes de bonne foi et désintéressées dans vos querelles blâment votre obstination à demeurer dans une commune où vous ne faites et ne pouvez faire que le mal, et condamnent sans appel cette conduite scandaleuse qui a porté au loin votre nom. Je vous avouerai sans détour que je suis de leur avis, et comme il est convenable d'appuyer son jugement sur des motifs de détermination, je vais essayer, monsieur l'abbé, de vous faire voir que c'est à juste titre que vous ne jouissez point de mon estime, ni comme prêtre, ni comme homme. Vous me répondrez peut-être que peu vous importe mon estime, que vous faites peu de cas d'un obscur roturier de mon espèce, mais vous saurez que beaucoup de personnes recommandables dont vous ne pouvez mépriser le jugement, ont eu la malignité de me souffler à l'oreille leur manière de voir sur votre compte, et j'ai vu sans étonnement qu'elle était conforme à la mienne, c'est aussi ce qui m'enhardit à vous dire ce que je pense de vous, persuadé que je ne ferai qu'exprimer l'opinion générale à votre égard.

 

Vous me pardonnerez mon peu d'habileté, homme si éminemment professeur de rhétorique. Des méchants disent bien que vous étiez professeur d'une classe que vous auriez dû balayer, mais je ne les crois pas, car on vous accorde des talents, et je regrette seulement d'en être privé dans cette circonstance, pour tracer avec cette éloquence qui vous est propre, votre brillante conduite à Moissey; mais, à défaut des crayons de Clio, je tâcherai de dire la pure vérité, de ne jamais mentir, et en cela de ne pas ressembler à certaine personne de votre connaissance. Or, sans plus de préambule, vous savez, et il est inutile de vous rappeler que c'est péché mortel en fait de rhétorique, que de faire de longues digressions, car, dit un grand maître en cette matière, festina ad ventum, aussi je cours à grands pas au fait, et m'y voici.

 

Je vous ai dit précédemment que vous n'aviez mon estime ni comme curé, ni comme homme; c'est chose bien facile à sentir, pour peu que l'on ait d'intelligence, et que l'on ne soit pas semblable à la vieille noblesse et à l'émigration, dont l'entendement, dit Châteaubriand, est comme un cachot voûté, muré, sans porte, sans fenêtre, sans soupirail, sans aucune issue à travers laquelle puisse se glisser le moindre rayon de lumière. Pour vous juger, je ne m'appuie que sur vos actions.

 

Vous êtes accusé, monsieur le pasteur, d'avoir refusé à deux femmes dangereusement malades, la satisfaction de faire venir chez elles le prêtre qui depuis long-temps jouissait de leur confiance, d'en avoir laissé mourir une sans confession par suite de votre obstination dans votre refus, et d'avoir forcé l'autre à se confesser à vous, malgré la répugnance qu'elle manifestait de vous prendre pour dépositaire de ses secrets. Or, est-ce là une conduite louable de la part d'un prêtre vénérable (je ne crois pas mieux faire que de qualifier M. Antoine Désiré Droz de l'épithète que dans son extrême modestie il se prodigue si largement, lorsqu'il rédige des pétitions en sa faveur) ? Ceux que vous qualifiez d'impies, d'athées, d'énergumènes, de loups enragés, etc..., l'ont trouvée indigne et ont proclamé à l'unanimité que les dernières volontés d'un mourant devaient être respectées même par un prêtre, et les personnes religieuses plus exigeantes ont changé la phrase, et ont dit, surtout par un prêtre ministre de consolations dans ces momens douloureux. Je ne sais si vous partagez l'avis de ces impies, de ces personnes pieuses; méditez bien sur cette question, et vous déciderez dans votre sagesse, si elles ont tort ou raison.

 

Maintenant vous allez sans doute me demander les preuves à l'appui de cette accusation ? Vous devez bien penser, mon très vénérable abbé, que, raisonneur scholastique, ne procédant que par ergo et par atqui, et qu'ayant affaire à un homme aussi habile que vous, dont le bras est tout puissant et la plume invincible, expression modeste dont se sert M. Droz en parlant de lui, j'ai dû me munir de preuves contre lesquelles vinssent se briser et votre éloquence et votre crédit.

Quoique votre esprit soit très préoccupé, il pourrait bien se faire cependant que vous eussiez souvenance que le maire Tournus perdit sa femme et y a quelques années; chrétienne par éducation, pieuse par nature et par conviction, cette femme s'était confessée toute sa vie, elle avait de ces idées que nous autres impies, appelons préjugés de vieille, et que vous, gens de religion, honorez du nom de vertus quand ça vous fait plaisir; avec de pareilles habitudes, elle ne pouvait donc mourir en règle sans confesseur ! N'ayant aucune confiance en vous, sans doute encore par préjugé, elle vous fit instamment prier de permettre à un curé du voisinage (le curé du Mon-Mirey-la-Ville) de venir recevoir sa confession. Les instants pressaient, mais vous élevant au-dessus de supplications qui ne peuvent qu'amollir des cœurs sans fermeté dans une résolution prise, jamais vous ne voulûtes lui accorder cette consolation, et par suite de l'obstination que vous avez mise à lui refuser, elle est morte sans recevoir les derniers secours de l'Eglise. Probablement que cette malheureuse décédée brûle maintenant dans les enfers par votre faute; gare aux cornes de Satan, monsieur l'abbé !

Vous avez pour voisine la veuve de J. Durot, femme au moins septuagénaire; il est sans doute peu de jours que sa présence ne vous rappelle la manière peu catholique avec laquelle vous avez violenté la répuguance qu'elle avait à se confesser à vous. Presque à l'article de la mort, cette femme vous pria et vous fit prier de permettre à un prêtre voisin qui jouissait de sa confiance depuis nombre d'années, de venir l'assister dans ses derniers moments, qu'elle croyait arrivés. Vous avez poussé le despotisme jusqu'à lui dire qu'elle se confesserait vers vous, ou qu'elle ne confesserait pas; que jamais (en parlant du prêtre qu'elle désirait et qui était M. le curé de Mont-Mirey-le-Château, ancien capucin), vous ne souffririez qu'un f…. capucin vienne confesser dans votre paroisse. Pour toute consolation vous avez offert à cette femme un prêtre nouvellement arrivé; ainsi elle se vit forcée de choisir entre deux prêtres en qui elle n'avait aucune confiance.

De ceci je conclus qu'il est démontré, par le fait, que vous être un prêtre irréligieux, en laissant mourir une femme sans sacrements, parce qu'elle ne veut pas vous accepter pour confesseur; sans délicatesse, en usant tyranniquement du droit que vous avez d'exercer exclusivement votre ministère à Moissey, pour forcer une confiance que vous ne pouvez capter par vos qualités religieuses.

Une faute en entraîne souvent une autre; votre conduite à l'égard de la veuve Durot avait scandalisé les athées; alors vous sentîtes la nécessité d'avoir une pièce qui pût démentir le bruit qui s'était répandu. C'est à cet effet que, lorsque la veuve Durot entra en convalescence, vous la fîtes appeler à la cure ainsi que J. B. Durot, son fils, votre marguillier alors. Vous leur proposâtes de faire, devant deux témoins présents chez vous, et prêts à recevoir leur déposition, une dénégation de votre conduite à leur égard; mais vous ne reçûtes qu'un refus et un démenti formel qui vous mirent en fureur. Le fils et la veuve Durot furent maltraités dans votre maison par les personnes qui s'y trouvaient, et vous démîtes de son emploi un marguillier, parce qu'il n'avait pas voulu déposer contre la vérité. Cette veuve Durot, qui vit encore, a attesté par écrit toutes les circonstances de la déplorable comédie que vous avez jouée à son égard, ainsi qu'à celui de son fils.

De ceci je conclus, 1° que vous avez des amis vraiment trop zélés pour vous lorsqu'ils se permettent de maltraiter des personnes qui ne vous font d'autre mal sue de refuser de déposer contre la vérité; 2° que vous me donnez une triste idée de vos principes religieux, lorsque vous engagez de vos paroissiens à faire une semblable déposition.

Ce qui me fait croire, monsieur l'abbé, que vous avez oublié ce commandement de Dieu qui dit : Faux témoignage ne diras et ne mentiras aucunement; 3° qu'il est très immoral de votre part de mettre un homme dans l'alternative, ou de perdre un emploi nécessaire à son existence, ou de sacrifier sa conscience.

Un prêtre qui refuse son ministère pour une cérémonie nuptiale, ou qui ne consent à le prêter que sous condition, non seulement n'est-il pas irréligieux, mais encore est-il dans son droit ? Cette question que je vous adresse m'est suggérée par le fait suivant, qui nous indique, de deux choses l'une, ou que vous ignorez vos devoirs et vos obligations, ou que vous les violez sciemment, ce qui est moins pardonnable.

Après s'être marié en mairie avec la fille Ruisseau, le sieur J. B. Gaillard s'adressa à vous pour la cérémonie religieuse d'usage. Quoiqu'il n'était pas nécessaire qu'il reçût l'absolution d'un prêtre; qu'une simple et unique confession suffisait, vous avez exigé qu'il s'approchât plusieurs fois du tribunal de la pénitence, et dans toutes ses confessions vous l'avez violemment importuné, pour l'engager à signer un écrit dont vous ne vouliez pas lui laisser lire le contenu; mais J. B. Gaillard ne voulut jamais souscrire à vos pressantes sollicitations. Enfin, ne pouvant vaincre une résistance aussi énergique, vous vous vîtes obligé de lui accorder votre absolution; absolution que vous aviez d'autant plus ajournée, que le futur vous manifestait un désir plus vif de se marier au plutôt, espérant, par la temporisation, fléchir une ténacité qui déconcerterait celle qui vous est si naturelle. Ce n'était qu'une circonstance pressante, qui pouvait arracher une signature à un caractère aussi inflexible; le difficile était donc d'amener cette circonstance; mais vous êtes fécond en expédients de ce genre, aussi ne suis-je nullement étonné de l'habileté avec laquelle vous l'avez fait naître. Le jour où J. B. Gaillard reçut l'absolution, vous lui promîtes de le marier le lendemain avant le soleil levé, c'était bien matin pour vous qui ne dites jamais votre messe avant la dixième heure; aussi était-on étonné de cet excès de zèle de votre part; mais on put bientôt se convaincre que vous n'aviez pas dérogé à vos habitudes, et que ce rendez-vous nocturne n'était qu'une méchanceté de votre part, car déjà depuis trois heures la noce vous attendait à l'église, et vous ne paraissiez nullement; on était alors en hiver, et trois heures d'attente suffisent dans cette saison pour refroidir les plus fervents : on vous refroidirait à moins, monsieur l'abbé, quoique vous ayiez la tête bien chaude et le cœur embrasé de l'amour de Dieu et de votre prochain.

Aussi leur impatience était grande; mais, au lieu de venir exécuter votre promesse de la veille, vous envoyâtes chercher le futur pour lui parler encore de l'écrit en question, et les premières paroles que vous lui avez adressées en le voyant entrer chez vous, furent celle-ci : « Signe l'écrit dont je t'ai parlé et je te marie de suite, ou sinon, je ne te marie pas ! » Jugez l'insidieux d'une pareille promesse jointe à la menace. Indigné de votre mauvaise foi et de l'espèce de guet-à-pens que vous tendiez à sa conviction, que toute votre éloquence n'avait pu émouvoir, J. B. Gaillard se montra plus inébranlable que jamais, et tandis qu'il vous rappelait votre promesse de la veille, quelques-uns de ses parents qui étaient revenus de l'église, et qui étaient presque aussitôt que lui entrés à la cure, vous demandèrent la raison du refus que vous faisiez de prêter votre ministère. Après en avoir connu le motif, ils déclarèrent que le futur apposerait sa signature à l'écrit déjà mentionné, s'il ne contenait rien de contraire à la vérité et la justice. Mais, au lieu de répondre à leur demande et de leur en faire lire le contenu, vous avez apporté un cahier de papier non écrit, et proposé à J.B. Gaillard de vous livrer sa signature en blanc. Votre proposition révolta tellement tous les assistants, que l'un d'eux vous fit fort bien observer quel usage vous pouviez faire d'une pareille signature ! Cette observation, que je rapporterai point, dénote assez le peu de confiance que vous leur inspiriez. Chacun s'en retourna chez soi et la célébration n'eut pas lieu. La fille Ruisseau et J. B. Gaillard ont cohabité pendant six à huit mois sans avoir reçu la bénédiction nuptiale, et l'évêque du diocèse, informé de votre conduite à leur égard, a été obligé de déléguer M. le curé de Dammartin pour les marier, après vous avoir inutilement adressé les injonctions les plus pressantes, d'avoir à satisfaire à votre devoir.

Voilà un fait, monsieur le pasteur, et un fait que toute votre rhétorique ne saurait détruire; une telle logique est plus forte que la vôtre; par une telle conduite, vous avez violé nos lois civiles, parce qu'un prêtre, considéré comme salarié de l'Etat, peut être forcé à exercer son ministère sitôt qu'il en est requis, et que pour les personnes pour lesquelles on le requiert se trouvent dans des dispositions qui ne sont point contraires aux lois de l'Eglise. Dans ce cas le prêtre, que tout employé du gouvernement ne peut se dispenser d'exécuter quelque devoir qui rentre dans ses attributions sitôt qu'il y est appelé.

Cette question a été soulevée aux assises du Jura dans une accusation portée contre un prêtre du canton d'Arbois. Le défenseur de ce prêtre l'a résolue dans le sens que je viens d'indiquer, pour montrer par-là qu'un jury n'avait pas le droit de prononcer contre un fonctionnaire ecclésiastique, sans une autorisation spéciale du conseil d'Etat (cette autorisation n'est plus exigée en vertu d'une décision nouvellement rendue, et l'on peut poursuivre un prêtre devant les tribunaux ordinaires), et en cela, il faisait rentrer les fonctions de prêtre salarié, dans celle d'agent du gouvernement qui, par une disposition de la constitution, de l'an 8, ne peut être mis en jugement sans l'autorisation préalable du conseil d'Etat. « Un curé, est-il dit dans un mémoire relatif à cette accusation, peut être forcé même de remplir certaines fonctions, comme, par exemple, l'administration des sacrements de mariage et de baptême. » Tel est l'avis du défenseur d'un de vos confrères : il condamne entièrement votre conduite en cette circonstance.

Je conclurai de ceci,

1° que vous avez fait acte irréligieux en refusant de marier Jean Baptiste Gaillard avec la fille Ruisseau ;

2° que vous avez violé vos engagements envers l'Etat qui vous paie chaque année pour faire votre devoir ;

3° que ce serait un droit monstrueux qui vous serait accordé, si vous pouviez refuser votre ministère toutes les fois qu'on ne voudrait pas souscrire à des conditions que vous imposeriez.

A qui la faute si l'on ne se marie plus maintenant à Moissey devant l'Eglise ? Ce n'est assurément ni la faute de Rousseau, ni la faute de Voltaire, mais de vous-même, mon très vénérable pasteur. Dans vos prônes, vous déclamez contre l'impiété, l'irréligion qui gagnent tous les esprits ! « Sainte religion, vous écriez-vous dans votre enthousiasme évangélique, qu'êtes vous devenue ? Avez-vous abandonné des mortels indignes de vos bienfaits ? » Homme pieux, vous répond cette religion en souriant, l'heureux siècle que le nôtre, de t'avoir pour censeur et pour modèle ! Heureux surtout le pays qui te possède pour pasteur ! La piété va renaître dans Moissey, puisque tu es tombé du ciel pour la conversion des pécheurs ! Voudrais-tu cependant m'apprendre où tu puises tant de calomnies, de mensonges et de bassesses ? Est-ce moi qui te les inspire ?

Le nommé Joseph Seblon, ayant perdu un enfant, il y a quelques mois, vous fit prier, par demande verbale et écrite, de venir rendre les derniers devoirs à la dépouille mortelle de cet enfant; mais demande verbale, demande par écrit, tout fut inutile auprès de vous. Vous imposiez une condition, et l'on était assez récalcitrant pour ne pas y obtempérer; c'eût été folie d'espérer, qu'esclave de vos devoirs, vous abandonneriez de vos prétentions. Jamais, dans le passé, vous n'aviez donné l'exemple d'un pareil sacrifice; aussi n'eût-on pas manqué de vous appliquer le quantum mutatus ab illo, si vous eussiez montré que désormais vos ressentiments étaient muets devant vos obligations. Après plusieurs démarches infructueuses, les parents de l'enfant se virent dans la nécessité de le faire enterrer sans les cérémonies d'usage. En vain prétendiez-vous que l'enfant n'était pas baptisé; c'était une méchanceté de votre part, car vous n'ignoriez pas qu'il l'avait été à Biarne; mais vous profitiez de la circonstance urgente où se trouvaient les parents qui ne purent sur le champ vous exhiber un extrait des registres de cette commune, pour vous venger, au mépris des lois canoniques qui ne vous prescrivent de refuser votre ministère pour l'enterrement des chrétiens que dans trois cas seulement, à ce que je crois; savoir : celui d'excommunication, de schisme et d'apostasie. Ainsi, par exemple; si lors de ce petit accident, qui vous causa tant de désagrément, vous étiez convenu à mourir après avoir continué l'exercice de vos fonctions curiales à Moissey, au mépris de l'interdit lancé contre vous, les prêtres, vos confrères, auraient été dans leur droit en vous refusant la sépulture, parce qu'alors vous étiez excommunié. (M. Droz se dit lui-même excommunié, lorsqu'il n'était qu'interdit, dans un article aussi absurde que mensonger, qu'il fit insérer dans la Quotidienne, il y a quelque temps : les habitants de Moissey n'ont pas cru qu'il méritât la réfutation.) Mais cet enfant de quelques mois n'avait pu ni apostasier, ni soulever de schisme; ni attirer comme vous, sur sa tête, les foudres de l'Eglise, pour ses iniquités et ses prévarications.

Que diriez-vous d'un énergumène qui s'amuserait, par manière de récréation, à asperger, avec l'onde sainte, la face des chrétiens qui vont à la messe ? Quoique votre vocabulaire soit très riche en expressions foudroyantes, j'ai cependant la certitude qu'il serait en défaut. Tous les anathèmes lancés contre l'irréligion par les plus éloquents et les plus énergiques défenseurs de la foi, seraient insuffisants, pour vous. Les expressions obligées d'impie, de profanateur, de sacrilège, etc..., seraient prodiguées par vous avec une rare habileté. Eh bien ! si l'on osait vous dire que vous êtes cet impie, ce sacrilège, aussitôt le monde bigot, de se récrier à la calomnie ! Cependant il est plus d'une personne qui a reçu sur la figure des preuves matérielles de votre impiété. Ce sont des faits que toute la crédulité des sots en votre infaillibilité de saurait détruire, et quand même tout le monde hypocrite qui n'agit et n'aboie que d'après vos ordres, vous proclamerait très pieux, très saint homme, vous n'en seriez pas moins un impie par vos actes; Dieu, qui connaît la vérité, vous juge tel, et en dépit des uns, et à la satisfaction des autres, vous enverra griller en enfer, au milieu des brebis galeuses de votre paroisse.

Rappelez-vous les abus répétés que vous avez faits de votre goupillon, à l'église; sur un grand nombre d'exemple, je me conterai d'en rapporter un, parce qu'il a donné plus de scandale que les autres. Le dimanche après la Toussaint, année 1828, le maire Tournus alla à la messe, s'il vous en souvient; vous descendiez l'église en donnant l'aspergès, lorsqu'il la montait pour se rendre au banc de la mairie. En l'apercevant, vous avez aussitôt trempé votre goupillon dans le bénitier, qu'un enfant de chœur porte derrière le prêtre, lors de cette cérémonie. Arrivé près de vous, le sieur Tournus se jeta de trois pas sur l'un des côtés de votre chemin, pour laisser le passage libre; mais ne voulant pas laisser échapper votre proie, vous vous êtes avancé de trois pas contre lui, en agitant votre goupillon saturé d'eau à quelques pouces de son nez, à tel point qu'il fut aveuglé un instant, et obligé de s'essuyer la figure. Vous êtes d'origine française, et en cette qualité, né malin, selon l'opinion d'un judicieux critique; aussi ne suis-je nullement étonné que l'esprit d'à-propos vous ait inspiré une espièglerie qui a scandalisé beaucoup de personnes pieuses, assez sottes pour concevoir une mauvaise idée de vos principes religieux; je vous avouerai, dans ma simplicité naturelle, que je pense aussi comme elles, et en effet, il me semble que c'est ravaler votre caractère de prêtre, que de vous permettre une action semblable; et que si vous avez, monsieur l'abbé, des dispositions et un goût décidé pour le tréteau, il serait convenable de vous exercer ailleurs, et surtout de ne pas vous adresser à des hommes qui n'étant point nés histrions, comme vous, et par conséquent nullement dans l'intention de cultiver ce genre de talent, vous seraient infiniment obligés, si vous vouliez bien les exempter une autre fois de jouer la comédie avec vous, dont la supériorité est trop grande pour paraître sur la même scène; d'ailleurs ils me chargent de vous dire qu'ils attachent quelques idées de vénération à tout ce qui tient à leur religion; ainsi, ils respectent les égalises, quand ils sont dedans surtout, les personnes pieuses qui les fréquentent, et même les soutanes et les habits sacerdotaux des mauvais prêtres, tant ils sont hérissés de préjugés, les bonnes gens ! Aussi c'est ce qui fit que le débonnaire Tournus, qui est bien loin d'avoir secoué les vains préjugés, comme M. le curé Antoine Désiré Droz, se contenta de suivre le précepte de l'Evangile, en s'essuyant modestement la figure, au lieu de répondre à une telle provocation. Il est des personnes moins pacifiques qui, répondant à votre impertinence, se seraient attirées une mauvaise affaire sur les bras; car la loi du sacrilège existait alors, et vous pouviez, en vertu de cette loi, vous permettre tout dans votre église. Vos énergumènes n'ont jamais douté que votre plus vif désir, dans le temps, était, lorsque vous vous serviez de ces moyens, aussi irréligieux qu'insultants, d'agression, de vous faire frapper ou interpeller dans vos fonctions sacerdotales, pour avoir la douce satisfaction de les traîner sur les bancs des assises. Aussi, s'ils ont contracté l'habitude de ne jamais paraître à l'église lorsque vous officiez, vous ne devez l'attribuer qu'à la crainte qu'ils ont de se trouver dans la pénible nécessité de répondre à de telles provocations. Je pourrais, si cela était nécessaire, rapporter mot pour mot, plus de vingt ou trente procès-verbaux signés par de nombreux témoins, et enregistrés à date utile, qui font foi de la dégoûtante éloquence dont vous faites longuement usage, presque tous les dimanches, dans vos prônes, contre des personnes qui, ayant assez de bon sens pour vous juger, ont aussi assez de conscience pour ne pas devenir, comme tant d'autres, les fauteurs d'une conduite aussi blâmable que la vôtre; mais il serait trop long de les reproduire en entier. Je me contenterai seulement de vous dire qu'il n'entre point dans les devoirs d'un prêtre vénérable comme vous, que vous faites même un abus monstrueux du monopole de la parole qui vous appartient, à l'Eglise, lorsqu'avec cette mélodie d'organe qui vous caractérise, vous vociférez hebdomadairement les épithètes charitables d'énergumènes, de loups enragés, de brebis galeuses, d'impies, d'athées, de docteurs, de philosophes du siècle, de crapule raffinée, de brouillons, de mauvais génies, de faiseurs de faux certificats et de faux procès-verbaux. Ce langage de halle n'a flatté l'oreille que de ce qu'il y a de moins respectable à Moissey, tandis que la plupart des personnes réputées pieuses, sous vos prédécesseurs, en ont été alarmées, et ont déserté une église où, au lieu des douces paroles de l'Evangile, elles n'entendaient plus que les diatribes les plus révoltantes. Ici je dois faire remarquer une certaine adresse de votre part, qui ne m'a point échappé. Lorsque vous apercevez à vos offices des personnes dont vous redoutez le jugement, vous savez contenir ces torrents de fiel qu'il est si doux pour vous d'exhaler en gigantesques paroles; d'où je conclus que lorsque vous convertissez la chaire de vérité en chaire de mensonge, de médisance et d'invectives scandaleuses, ce n'est point extravagance de votre part, mais méchanceté calculée, puisque, quand vous le voulez, vous savez vous contenir dans les bornes des convenances. Ainsi, beaucoup de personnes usent de charité à votre égard, en vous appelant fou, cerveau fêlé, pour ne pas vous flétrir d'une épithète moins honorable. Je ne releverai point le cynisme de cette expression, crapule raffinée, mais je vous dirai seulement avec un satyre latin :

Non ne igiturjure ac merito vitia ultima fietos,

Contemnunt scauros et castigata remordent..

 

En effet, depuis que vous demeurez à Moissey, ne voyons-nous pas journellement un essaim de faméliques, à face patibulaire, bivouaquer à votre table, et plus encore à celle de votre stupide Sancho, dont l'imbécillité est passée en proverbe dans le pays ? quel nom donnerez-vous donc à ces gloutons dont la faim et la soif immensurables vous coûtaient si cher dans le temps, et qui ne se rendaient chez vous que pour se repaître de débauches de tout genre ? Les appellerez-vous crapuleux ceux qui se forment à votre école ? les appellerez-vous brebis galeuses ceux qui ont pour les conduire un pasteur tel que vous ? Et vous, vieillard dépravé, quel sera votre nom ? trouvez, si vous le pouvez, une épithète digne de vous. Si l'on consulte seulement cet œil où sont peintes la fourberie et la méchanceté satanique qui vous caractérise, il annonce assez un cœur pervers et un esprit vindicatif; enfoncé dans une orbite profonde, on croirait qu'il a honte de voir la lumière, et qu'il n'y roule qu'avec crainte; témoignage authentique d'une conscience noire comme votre soutane, il vous trahit malgré l'assurance que vous affectez, et cette voix glapissante, anomale et prophétique que vous faites retentir avec accompagnement de gestes tous plus ridicules et extravagants les uns que les autres, qu'annonce-t-elle, sinon un jeu calculé, un rôle étudié méchamment et hypocritement pour faire des dupes dont vous exploitez à votre profit la crédulité et le fanatisme, en vous disant persécuté, comme un second J.-C. ? Car votre modestie va jusqu'à faire une telle comparaison. Enfin, monsieur l'abbé, que vouliez vous faire sinon de crapuleux, lorsque, quelques jours après votre rentrée triomphante à Moissey, vous enivrâtes des jeunes gens grossiers et sans principes ? Qu'aviez-vous fait de ces jeunes gens, sinon des loups enragés lorsqu'après les avoir gorgés de vin et de nourriture, ils se répandirent comme des furieux dans le village, vociférant des injures capables d'allumer la guerre civile ? Les cris d'à bas tels et tels se firent entendre, c'était désigner des victimes : vos sbires allèrent jusqu'à tirer des coups de pistolets à quelques pouces de la figure des personnes paisibles, qui ne voulaient point prendre part à votre joie. D'après les instigations de qui cette jeunesse s'est-elle portée à de tels excès ? Je ne pourrais vous accuser positivement, parce que je n'aurais pas les pièces suffisantes pour vous convaincre; mais il me sera permis de dire en passant, car ceci je puis le prouver, que vous vous être écrié au milieu de l'orgie que vous célébriez avec ces jeunes gens : Ne craignez rien, mes enfants, car apprenez que j'ai bonne tête et vous bons bras. De telles expressions sont significatives; elles me donnent le droit d'avoir de ces convictions qui équivalent à la certitude. A des qualifications aussi grossières qu'injurieuses, vous ajoutiez dans vos prônes la médisance et la calomnie. Ainsi vous appeliez gratuitement les fabriciens dilapidateurs, et les filles énergumènes, filles déhontées. Vous me permettrez, monsieur l'abbé, de vous faire quelques remarques sur de pareilles imputations. Lorsque vous accusez les fabriciens de dilapidation, êtes-vous fondé ? avez-vous des preuves à l'appui d'une accusation aussi grave ? avez-vous seulement de fortes présomptions ? Dans l'un et l'autre cas, vous feriez bien d'éclairer le public; je vous y engage le premier, afin de savoir à quoi m'en tenir; mais autrement, et tout le monde sera comme moi, je ne puis, sur votre parole, soupçonner des probités intactes. Si vous me disiez que certains de vos prosélytes sont des dilapidateurs, je vous croirais plus facilement, et j'aurais mes raisons pour cela. Ces raisons sont faciles à sentir, c'est qu'on soupçonne plutôt des hommes généralement méprisés ou juridiquement flétris, que des hommes réputés honnêtes. Vous n'ignorez pas, mon très pieux et très vénérable abbé, que toutes les sales réputations de Moissey se sont successivement groupées autour de vous, pour devenir tout à tour vos plus zélés et vos plus fermes soutiens. Mais, en accusant les fabriciens de dilapidation, ne seriez-vous pas Catilïna accusant Cicéron de conspiration ? En effet, sur six membres composant le bureau de fabrique, six disent à qui veut l'entendre que vous avez fait éprouver à cet établissement une perte qu'ils estiment de quinze cents à deux mille francs. Je les crois plus fondés que vous; ils s'appuient sur un fait, et l'éloquence des faits est assommante ? Ces messieurs disent que vous, Antoine Désiré Droz, gardez chez vous un ancien registre des délibérations de la fabrique, que vous n'avez jamais voulu leur rendre, à eux, responsables des intérêts de cet établissement. Les injonctions formelles qui vous furent adressées par les autorités tant civiles qu'ecclésiastiques, de leur remettre ce registre, les sommations qui vous furent faites par les fabriciens au nom de ces mêmes autorités ecclésiastiques, font foi de ce que j'avance; parmi un grand nombre de pièces à l'appui de cette assertion, je me contenterai de rapporter une lettre de monseigneur l'évêque de Saint-Claude, relative à cette affaire, et qui exprime l'opinion qu'il avait déjà de vous à cette époque.

Monsieur le maire, je n'ai reçu qu'aujourd'hui vos deux lettres des 25 et 26 par lesquelles vous m'informez que M. Droz s'obstine à refuser de vous remettre le registre des délibérations de la fabrique. Rien ne me surprend plus de la part de ce prêtre fougueux, violent, emporté. Je défère sa conduite dans ces dernières circonstances, par le même courrier, à M. le préfet, qui prendra les mesures coercitives en son pouvoir, pour obliger le sieur Droz à se dessaisir enfin du susdit registre, et à vous le remettre. M. Droz ne doit pas s'étonner que j'aie cessé toute relation quelconque avec lui depuis plusieurs mois; il sait fort bien qu'il a épuisé ma bonté, ma patience, ma charité paternelle, et qu'il a perdu mon estime et ma confiance. Je ne puis plus correspondre avec un prêtre qui s'est fait un système d'insubordination et de révolte contre Dieu et le roi, en outrageant journellement et publiquement, comme il a la sacrilège audace de le faire; leurs représentants dans ce département, et en foulant aux pieds les avis, les conseils, les leçons, les ordres qu'il reçoit d'eux. Je vous engage et vous exhorte, monsieur le maire, ainsi que tous les pieux habitans de Moissey, à prendre patience et à avoir pour M. Droz les égards respectueux que vous devez à votre curé; gardez-vous bien d'imiter, par votre conduite envers lui, celle si coupable et si scandaleuse qu'il tient envers son évêque, le représentant de Dieu dans ce diocèse. Agissez de manière qu'il n'ait jamais aucun reproche fondé à vous faire contre aucun de vous; donnez-lui en toutes choses, au contraire, l'exemple de la soumission et du respect qu'il vous refuse avec une satanique opiniâtreté, quoiqu'il vous le doive comme prêtre et comme curé. Viendra le moment, du moins je l'espère, où je pourrai vous donner un autre pasteur, selon le cœur de Dieu, qui nous fera oublier, à vous et à moi, ainsi qu'à toute la paroisse que j'ai tâché, par tous les moyens en mon pouvoir, et sans succès, depuis deux ans, de ramener à des principes et à des sentiments dont il n'aurait jamais dû s'écarter.

Veuillez agréer, etc.

Signé Antoine Claude de CHAMONT,

Evêque de Saint-Claude

 

Or ce refus obstiné de leur donner ce registre, ne peut me faire soupçonner que de deux choses l'une, ou que vous avez fait subir à ce registre de graves altérations, et que maintenant vous n'osez le livrer, crainte de vous compromettre; ou bien que vous l'avez retenu dans l'intention de favoriser l'ex-trésorier qui était redevable d'une somme assez considérable à la fabrique, et qui ne pouvait être poursuivi sans ce registre où il rendait ses comptes. Vous n'ignorez pas que lorsque vous fûtes excommunié, comme vous le dites, un des vicaires-généraux du diocèse, conjointement avec nos fabriciens, après avoir procédé à une enquête sur les lieux, se vit obligé de faire une transaction avec cet ex-trésorier, ne pouvant lui faire rendre des comptes en règle, faute du registre en question. En vertu de cette transaction, il se reconnut redevable envers cet établissement d'une somme de seize francs; et les anciens fabriciens, qui avaient arrêté son dernier compte, estimèrent qu'il était débiteur de plus de trois mille et quelques cents francs. Tirant une conclusion toute naturelle de cet exposé de fait, je dis : M. l'ex-trésorier ne se rappelant probablement pas la somme dont il était redevable à la fabrique, n'a payé que seize cents francs lorsqu'il lui en devait plus de trois mille; la fabrique a été forcée à une telle transaction par suite de la soustraction de l'ancien registre des délibérations faite par M. Droz, curé de Moissey, qui le retient encore illégalement; donc ce M. Ant. D. Droz est cause du déficit qu'éprouve la fabrique.

La fabrique doit percevoir dans les enterremens et autres cérémonies religieuses, moitié des cierges donnés par les fidèles, et l'autre moitié appartient au curé, mais alors la fabrique est obligée de pourvoir à l'éclairage. Cette moitié de cierge, calcul fait, lui rapporte cent cinquante francs par an. Eh bien ! monsieur l'abbé, on vous accuse d'avoir retenu tous les cierges pendant huit ans, sans en avoir voulu rendre aucun compte, et sans dédommager en rien la fabrique qui, malgré votre retenue, ne cessait de fournir à l'éclairage. Or, monsieur l'accapareur de cierges, huit fois cent cinquante fr. font douze cents francs que vous enlevez à cette fabrique; depuis deux ou trois ans seulement, vous éclairez assez mesquinement, dit-on, votre église, quoique vous n'ayez pas plus le droit de le faire même en prétextant que vous suffisez à cet éclairage, qui encore, si l'on en croit ceux qui fréquentent vos offices, n'est entretenu qu'avec le produit des quêtes que vous avez l'impudence de faire tous les dimanches à cet effet. Mais qui d'ailleurs vous a chargé de cet éclairage ? Ce n'est point votre profession que celle de fournisseur d'huile et de cire : la fabrique aurait-elle par hasard refusé les choses nécessaires au culte ? Dans ce cas vous seriez un peu dans votre droit; mais vous savez bien que, fidèle au mépris que vous affectez pour toute justice, vous vous êtes constamment opposé à ce que les sieurs François Frères et Joseph Godillot, qui avaient successivement obtenu publiquement au rabais l'adjudication pour les fournitures d'église, n'exécutassent leur marché. Les fabriciens ont obéi à la loi en mettant en adjudication les fournitures de l'église, et vous, vous allez contre la loi, en vous réservant un droit qui ne vous appartient pas. Il faut croire que vous êtes grassement dédommagé, car autrement, vous n'auriez pas mis tant d'obstination à repousser les fournisseurs naturels. De tout ceci, nous concluons deux choses : la première, que c'est mettre le comble à l'impudeur de la calomnie que de chercher à flétrir publiquement, comme vous l'avez fait, la réputation d'honnêtes gens, en les arguant faussement de dilapidation; la seconde, que si quelqu'un a ruiné la fabrique en agissant d'une manière contraire à ses intérêts, personne plus que vous n'y a contribué.

Si je me suis attaché à vous démontrer que vous avez lésé les intérêts de la fabrique, je ne chercherai pas d'un autre côté à prendre la défense des filles de vos philosophes du siècle; lorsqu'avec ces traits d'éloquence qui vous sont si familiers, vous les apostrophiez par ces expressions accablantes de filles déhontées; il faut convenir que ce sont là des mouvemens oratoires qui font honneur à votre talent. Le mot déhonté signifie qui a dépouillé toute honte, et, appliqué à des femmes, on sait ce qu'il veut dire. J'ignore jusqu'à quel point une partie des filles de Moissey a abjuré la pudeur. Un pareil reproche dénote de votre part une connaissance toute spéciale de leur conduite, et moi je l'ignore entièrement, car il n'entre point dans mes habitudes de m'informer de ce qui ne me concerne pas. Aussi ne pourrais-je vous convaincre logiquement d'avoir calomnié en les accablant d'une pareille imputation; je suis même persuadé que vous avez dit vrai pour certaines d'entre elles; et en effet, ce serait aller contre l'expérience des temps, ce serait même tomber dans l'absurde, que de soutenir que sur un certain nombre de filles, il n'y en a pas qui deviennent déhontées comme vous les appelez si adroitement, pour ne pas dire la chose par son nom. Je respecte la vérité lors même qu'elle est défavorable aux personnes dont je prends les intérêts. Aussi ne vous attendez pas à me voir épuiser toutes les ressources de la logique pour vous prouver que toutes les filles de vos impies sont des Lucrèces; loin de moi cette sotte prétention ! mais en qualifiant ces filles d'énergumènes déhontées, vous avez supposé que dans le nombreux cortège de saintes filles qui vivent dans votre atmosphère, aucune n'était déhontée. En soutenant une telle hypothèse, vous tombez vous-même, mon saint abbé, dans l'absurde que j'ai voulu éviter en abandonnant la défense de mes clientes, relativement au reproche que vous leur faites de ne savoir plus rougir de rien. Vous allez évidemment contre l'expérience de tous les siècles qui, comme je l'ai dit plus haut, nous fait voir que sur un nombre donné de filles, il y en a toujours quelques-unes qui deviennent déhontées. D'un autre côté, vous mentez sciemment, en prétendant que l'on ne voit à votre cure, ou dans votre milice féminine, que des vierges sans taches. Si les personnalités pour ce genre d'accusation n'étaient interdites par les convenances, vous n'ignorez pas que je pourrais vous citer plus d'une de ces vierges à votre manière, dont la conduite passée dépose contre la vérité de votre assertion. En passant je me permettrai de vous adresser une petite question : peut-être vous paraîtra-t-elle un peu indiscrète, mais vous voudriez bien me la pardonner en raison de la franchise avec laquelle je vous parle de tout ce qui vous concerne. Pourriez-vous me dire, monsieur l'abbé, pourquoi une de vos nièces, après avoir resté chez vous cinq à six ans, au milieu de jeunes gens de toute condition, a disparu tout à coup, et que depuis cette époque on ne la voit plus à votre cure ? Cet exil d'une de vos chères affections a suggéré à tous vos athées qui pensent toujours mal de leur prochain, un étrange supposition.

De ceci nous concluons que vous avez médit, si vous n'avez pas calomnié, en vous servant en chaire de ces expressions filles déhontées, pour qualifier des filles qui étaient scandaleusement personnifiées, par l'opinion qu'elles et leurs parens professaient à votre égard; en second lieu, qu'il ne vous appartient pas de parler de filles déhontées, à vous qui n'ignorez pas qu'à votre rentrée triomphante à Moissey lors de votre réintégration, trois ou quatre de ces filles que Voltaire appelle avec son esprit ordinaire défuntes pucelles, marchaient à vos côtés et devinrent les héroïnes de votre fête; à vous, qui n'ignorez pas que pendant des années entières, votre maison n'a été qu'un lieu de scandale pour toute la commune, scandale qui n'a cessé que par la disparition d'une de vos nièces qui attirait à votre cure officiers de garnison, jeunes sacristains et jeunes gens de toute profession avec lesquels elle passait des journées entières. Si vous étiez sincère, vous avoueriez franchement que lorsque vous déshonorez votre ministère par des philippiques aussi grossières que calomnieuses, vous avez bien moins en vue les intérêts d'une religion qui vous commande tout le contraire de ce que vous faites, que de servir des passions haineuses. Que vos paroissiens violents les lois de vigile et d'abstinence,qu'ils n'aillent ni à confesse ni à la messe, qu'ils ne croient pas à l'infaillibilité du pape; qu'ils révoquent en doute l'existence des miracles, etc, c'est ce qui vous tient peu à cœur. A Moissey, pour jouir de la réputation d'homme pieux, il faut faire tout autre chose que dans le reste du monde chrétien. Je pense qu'ailleurs il n'est qu'une voie pour gagner le ciel qui, encore, dit-on, est bien étroite; pour y arriver il faut suivre ce que prescrit l'Evangile, mais à Moissey il est un autre moyen de se faire ouvrir le séjour des élus, c'est d'être servile observateur des volontés de M. A. D. Droz, qui se dit infaillible, et dont le bras tout puissant et la plume invincible, comme il le répète sans cesse, ne craignent ni évêque, ni préfet, ni roi, ni enfer, ni Dieu, ni diable.

Vous avouerez cependant, monsieur l'abbé, que parmi vos plus fervens chrétiens, on compte de bons petits anachorètes, d'une austérité vraiment alarmante, qui, les jours de jeûne et d'abstinence, vous dévorent sans le moindre scrupule, absolument comme feraient des impies, chair de porcs et de brebis; des honnêtes gens flétris par les tribunaux, dont la probité m'est encore suspecte, quoique vous les ayez déclarés mortels trois fois saints et les ayez rendus dépositaires de votre confiance; des Saint- Augustins à la conversion desquels on ne croit pas plus qu'à la vôtre; on y compte des mécréants s'il en fût jamais, raisonnant comme les philosophes du siècle, qui vous diront, par exemple, que la consécration de l'hostie n'est plus un article de foi; que le mystère de la Trinité est une absurdité, et mille autres mauvaises plaisanteries de ce genre. Voilà comment raisonnent et agissent vos ouailles fidèles, pour le plus grand nombre, et je ne vois pas pourquoi vous ne les stygmatisez pas comme tant d'autres par cette causticité d'expressions que vous inspire l'honneur de l'impiété et de l'athéisme. C'est que, comme je viens de le dire, ces adeptes applaudissent aux paroles et aux actions du maître, et cette complaisance leur vaut des passeports pour la terre de salut, tandis que le reste de vos paroissiens, qui vous sifflent, est irrévocablement destiné par vous à être rôti de toute éternité.

Lorsqu'on reçoit en dépôt une somme ou un effet, est-on obligé d'en rendre compte ? Tous les honnêtes gens, quand on leur adresse une pareille question, répondent que oui. Or, vous ne pouvez ignorer, et je veux que le public sache aussi que le nommé J. B. Durot (ce Durot n'est pas de la même famille que ceux dont j'ai déjà parlé) père, trésorier de la confrèrie du Saint-Sacrement, possédait un billet de deux cents et quelques francs, appartenant à cette confrérie; que, pendant plusieurs années, vous l'avez tourmenté pour qu'il vous remît ce billet, et qu'enfin ne pouvant résister à vos importunes sollicitations, il se décida à vous le confier; mais bientôt il s'en repentit; à l'article de la mort, il fit part à ses enfants de la crainte qu'il avait d'en être responsable devant Dieu, dans le cas, disait-il, où vous viendriez à ne pas rendre compte de l'effet en question; il engage même ses deux fils à payer ces deux cent trente francs à la confrérie, tant il avait peu de confiance en vous. Jusqu'à présent vous semblez avoir justifié les prévisions de ce vieillard religieux, mort depuis cinq à six ans, car depuis cette époque, vous n'avez pas encore daigné rendre compte du dépôt qui vous a été confié, donnant pour excuse légitime que personne n'a le droit de vous le réclamer. Les deux fils Durot ont attesté, ainsi que beaucoup d'autres personnes, ce qui vient d'être dit, et l'attesteront encore s'il le faut. Serait-il vrai, pasteur très pieux et très vénérable, qu'ayant sollicité trois hommes, vous ayez réussi à faire signer à deux d'entre eux une fausse déposition contre le maire Tournus, déposition qui, en vertu de la loi du sacrilège qui existait alors, ne tendait rien moins qu'à lui faire passer quelques années dans les bagnes. Faites attention à ce que vous allez répondre. Il serait sans doute honorable pour vous de pouvoir me dire à haute et intelligible voix, vous êtes un imposteur, c'est une infâme calomnie; mais prenez garde qu'en me traitant ainsi, je n'établisse par des preuves que vous ne sauriez récuser, qu'à une action aussi noire vous ajoutez comme à votre ordinaire l'impudence du mensonge. Cette accusation est grave; aussi vous pouvez croire que, si je dénonce au public un pareil acte d'improbité, c'est que j'ai dans les mains les pièces nécessaires pour vous convaincre. Il répugne sans doute à tout esprit honnête de croire qu'un prêtre ait pu dégrader jusqu'à ce point son caractère; mais quand la chose existe, je ne puis faire qu'elle n'existe pas.

Or, voici comment le fait s'est passé : J'ai dit plus haut que vous aviez démis de ses fonctions de marguillier le sieur Durot, pour n'avoir pas voulu attester devant témoins qu'il était faux que vous, Antoine Désiré Droz, ayant forcé sa mère à se confesser à vous. D'après la loi, vous ne pouviez lui interdire que ses fonctions à l'église; mais toujours vous vous êtes cru au-dessus de la loi. Aussi, pour compléter votre vengeance envers un homme assez consciencieux pour refuser une approbation contraire à la vérité, vous vouliez encore le priver de l'emploi de fossoyeur, qui dans les temps ordinaires fut toujours confondu avec celui de marguillier. Un jour qu'il creusait une fosse (cette fosse était destinée à Philibert Guilley, si vous avez bonne mémoire) vous lui ordonnâtes d'avoir aussitôt à cesser son travail; étonné d'une pareille injonction, et ne sachant que faire en cette circonstance, Jean Baptiste Durot vint trouver le maire. Quoique paysan de campagne, comme vous voulez bien l'appeler, près de nos préfets, dans vos pétitions, rustica progenies, le maire sait cependant que la police du cimetière rentre dans ses attributions; aussi rassura-t-il votre ex-marguillier, en lui promettant de faire son possible pour le conserver dans son emploi. Il importait au maire Tournus d'informer les autorités supérieures de votre conduite en cette circonstance; mais il ne voulut le faire qu'après avoir appris de votre propre bouche si vous aviez réellement troublé Jean-Baptiste Durot dans ses fonctions de fossoyeur. Le dimanche suivant, il vient vous trouver à cet effet, à la sacristie, quelques instans avant la messe; alors vous étiez en soutane, et non pas dans vos habits sacerdotaux, comme vous l'aviez fait attester à des témoins dont vous aviez momentanément violenté la conscience, et qui depuis se sont rétractés. C'est avec tout le respect qu'il devait, non pas à M. Antoine Désiré Droz, mais au curé dans sa sacristie, qu'il se présenta à vous. Cette seule question vous fut adressée par lui, en vous abordant : « Serait-il vrai, monsieur le curé, que vous auriez ordonné à Jean Baptiste Durot, d'avoir à cesser une fosse qu'il aurait commencée ? » la réponse à une question aussi simple était facile; cependant il fut obligé de vous la répéter cinq à six fois; toujours vous cherchiez à éviter une réponse catégorique; mais toute votre subtilité de rhétorique échoua devant ces mots, qu'il ne cessait de vous répéter : « Tout ce que vous me dites, monsieur le curé, est hors de la question que je vous adresse; répondez-y par un oui ou par un non, voilà tout ce que je vous demande. » Les sieurs Simonin père, Durot, dit Billot, alors vos sacristains, et Paillottet, instituteur, présents à la sacristie, furent témoins de votre entretien avec le sieur Tournus. Quelques jours après, ils furent invités tous les trois à souper chez vous. Vous traitez fort bien vos convives, dit-on, c'est une justice qu'on aime à vous rendre; ceux-ci disent même qu'à ce repas, vous les avez fait boire plus qu'à l'ordinaire, et qu'après une séance de plusieurs heures à table, vous leur avez présenté à signer une déclaration, dans laquelle il était dit que le maire Tournus vous avait insulté à la sacristie, dans vos habits sacerdotaux; qu'il était allé jusqu'à vous mettre le poing sous le menton. Ces témoins signèrent votre écrit, nécessité comme ils le dirent eux-mêmes, par cette éloquence tout-à-fait singulière que vous avez employée, en voyant qu'ils vous montraient de la répugnance. Ouvrant votre poitrine, et prenant votre couteau : « Eh bien ! frappez ce cœur paternel, qui ne palpite que pour vous ! vous écriâtes-vous, ou signez cet écrit. » Absorbés par le vin qu'ils avaient pris en assez grande quantité, et troublés par cet ex-abrupto tragique, ils signèrent ce que vous leur avez présenté. Mais la conscience n'est pas toujours une voix qui parle inutilement au cœur de l'homme. Dès le lendemain, sans informer le maire de leur conduite de la veille, mais craignant les suites fâcheuses de leur imprudence complaisance, ils écrivirent à M. Darbon, votre prédécesseur, faisant alors les fonctions de grand vicaire à Saint-Claude, pour l'instruire de ce qui s'était passé. Mais lisons la rétractation :

«Je soussigné, Eloy Simonin, manœuvre, demeurant présentement à Dôle, déclare et certifie, qu'étant à la cure de Moissey, en avril 1825, après un long et bon souper, auquel M. Droz m'avait invité, avec deux autres individus, il nous fit lecture, et nous proposa de signer un assez long procès-verbal, qui constatait, d'une manière erronnée, une sorte de discussion, à la suite de questions qui avaient eu lieu à la sacristie, en notre présence, immédiatement avant la messe, entre lui, M. Droz, et le sieur Tournus, maire, le 20 mars précédent, au sujet du refus qu'avait fait M. Droz de se servir de l'enterreur ordinaire pour faire un enterrement. Les allégations fausses que contenait cette pièce, nous fit d'abord refuser de signer (notamment que M. le curé déclarait être en habits sacerdotaux, et que le sieur Tournus lui avait présenté le poing sous la gorge). Mais l'état approchant de l'ivresse où il était parvenu à nous mettre, les promesses et les menaces qu'il nous fit avec une espèce de violence, m'arrachèrent, et à un de mes collègues, une signature que nous n'aurions jamais dû apposer; mais, rendus à la raison, nous fîmes tous deux, quelques jours après, dans une lettre que nous adressâmes à M. Darbon, notre ancien curé, confession de nos torts, et cela dans l'intention de prévenir les suites funestes qu'on aurait pu tirer de nos complaisantes signatures, contre M. le maire, que nous avons toujours considéré comme un parfait honnête homme.

«Je déclare aussi que dans la cassure de la cloche de Moissey, pour laquelle j'ai été condamné par le tribunal civil de Dôle à un mois d'emprisonnement, j'ai bien dit et fait des choses dont je me repens, et que je n'aurais ni faites ni dites, sans l'instigation dudit Droz, curé de Moissey.

Fait à Dôle, le 14 octobre 1828

 

Signé : ELOY SIMONIN.»

 

«Je soussigné déclare m'être trouvé à la déclaration du sieur Simonin père, avec M. le maire de Moissey.

Moissey, 7 novembre 1829

Signé : PICHEGRU.»

 

«Je soussigné, Jean-Claude Durot, déclare faire la même rétractation qu'a faite ici contre Eloy Simonin, concernant le procès-verbal d'avril 1825, pour m'être trouvé également que lui, dans l'affaire ci-dessus précitée.

Signé : DUROT.»

 

«Je soussigné Paillottet, instituteur à Moissey, déclare que je suis dans les mêmes sentiments que les précédents signataires, et que je me rétracte de tout ce que j'aurais pu écrire ou dire contre la réputation et l'intégrité de M. le maire de Moissey, dans quelques circonstances que ce soient.

Fait ce 2 avril 1830.

Signé : PAILLOTTET.

 

Pour copie conforme à l'original,

J. B. TOURNUS, maire.»

 

Long-temps le maire Tournus ignora l'atrocité de votre conduite à son égard : ce ne fut que six mois après qu'il en fut instruit. Toute réflexion est interdite sur une action aussi déplorable; aussi m'abstiendrai-je d'en tirer une conséquence.

Si je ne craignais d'être trop long, je vous parlerais bien de mille petites tracasseries que vous suscitez à ces pauvres paysans énergumènes, toutes les fois que vous le pouvez; mais elles ne doivent point être prises en considération, lorsqu'on a des choses aussi graves à vous reprocher. Je pourrais vous parler de ces nombreux procès en police correctionnelle, où l'on vous voyait scandaleusement figurer, devenant l'avocat des uns contre les autres, et animant ainsi les débats, dont toute l'infamie retombait sur vous, sur vous, ministre de paix et de charité, qui ne craigniez pas de vous déclarer publiquement le fauteur de tant d'animosités. Mais ici je me contenterai de soulever une question long-temps débattue, question dont votre conduite, depuis votre rentrée à Moissey, a amené la solution pour un grand nombre de personnes. Je veux parler de la cause des troubles de la commune. Pour s'en rendre compte, on s'accuse réciproquement : selon vous, le maire, l'adjoint, tous les anciens membres du conseil municipal, des bureaux de fabrique et de charité, et quelques mauvais génies de l'opposition énergumène, ne sont que des brouillons; et selon eux, vous seriez vous-même une émanation de la boîte de Pandore, qui seriez venu compromettre la tranquillité du pays. Que tout ce servum pecus, si docile à votre houlette pastorale, vous proclame innocent, c'est tout naturel. Que les uns se laissent convaincre par vos phrases empoulées, et par vos expressions orientales, que vous puisez dans l'Apocalypse, et que d'autres ajoutant foi à vos impostures et à votre hypocrisie, deviennent partisans passifs d'un homme comme vous, qui se sert de leur ineptie pour alimenter des passions haineuses, c'est encore tout naturel; mais, pour moi, je me permettrai d'être d'un avis tout-à-fait opposé, et de soutenir que vous seul avez soufflé la discorde. Pour vous juger et vos adversaires; il n'est qu'un moyen rationnel et équitable : c'est de m'autoriser de vos antécédents et des leurs; et parmi ces antécédents, je ne dois point tenir compte de leur conduite à votre égard, ni de la vôtre envers eux, car autrement je prononcerais justement sur la question en litige. Mais je parlerai, par exemple, de leur manière d'agir envers votre prédécesseur; et s'il demeure bien établi que jamais ce prédécesseur n'a été tracassé par eux pendant tout le temps qu'il a resté à Moissey, on ne sera pas fondé à présumer qu'ils vous aient déclaré la guerre sans motifs, et qu'ils soient des brouillons. Je vous demanderai compte, d'une autre part, de la conduite que vous avez tenue dans les postes que vous avez occupé avant d'arriver dans la commune; et si je fais voir qu'il y a de fortes présomptions pour croire qu'elle n'a été rien moins que louable, on devra vous considérer comme un brouillon; enfin, pour la confirmation de mon raisonnement, je m'appuierai sur l'opinion qu'ont eue de vous cinq préfets, quatre sous-préfets, qui ont administré le département depuis que vous habitez Moissey, et qui tous ont été à même de vous juger; je m'autoriserai encore de celle de votre évêque, votre défenseur naturel, si vous n'étiez par un prêtre aussi coupable.

M. Darbon, maintenant grand-vicaire honoraire, a demeuré seize à dix-sept ans à Moissey; combien de fois vos loups enragés l'ont-ils traduit devant les tribunaux ? combien de fois les a-t-il traînés lui-même pour les faire succomber sous le poids de vraies ou de fausses accusation ? Ce n'était point ainsi qu'il leur prouvait sa charité chrétienne; non, jamais on ne l'a vu déchirer lui-même le troupeau confié à sa sollicitude. Ce prêtre a vécu seize ans avec vos énergumènes, dans la plus parfaite intelligence; jamais le moindre nuage ne s'est élevé parmi eux; il a emporté avec lui les regrets et l'estime de ses paroissiens, et toujours il leur sera cher, puisque vous n'avez pas su leur en faire perdre la mémoire par votre exemple et vos vertus. Comment expliquerez-vous cette union de seize ans avec ces esprits tourmentés par le démon de la chicane, qui ne peuvent vous supporter, vous, homme si éminemment doux et humble de cœur ? Problème difficile à résoudre, et qui ne le sera jamais, si l'on ne cherche ailleurs la cause de cette division intestine. Pouvez-vous supposer que ces impies, qui tous, sans exception, vous témoignèrent de la bienveillance en arrivant à Moissey, se soient tout à coup ligués contre vous, d'un commun accord, et sans motifs, si vous vous étiez renfermé dans les bornes de votre devoir ? Hypothèse inadmissible, et que rejettera tout esprit libre de préventions. Pendant le temps de votre interdiction, ou de votre excommunication, comme il vous plaira de l'appeler, malgré tant de passions soulevées, malgré tant d'orgueils froissés, la prudence, la modération, je puis dire même les égards de ces impies pour certaines personnes égarées par vous, avaient calmé la tempête; la commune respira quelque temps, après neuf années successives d'agitation; et pour confirmer que la torche de l'incendie n'était point parmi eux, je puis dire pour leur justification, que pendant tout le temps que vous fûtes hors de la commune, aucun procès-verbal n'a été rédigé, aucune plainte n'a été portée devant les tribunaux. Au contraire; à peine êtes-vous rentré à Moissey, un, deux, trois, quatre procès en police correctionnelle sont intentés dans l'espace de quelques mois, et trois sont suivis d'amende et d'emprisonnement. C'est ainsi que vous avez ramené la tranquillité dans votre paroisse. Vous voyez donc bien, monsieur, que vous seul êtes un élément de discorde, et que vous seul par conséquent êtes un brouillon, comme cela vous est démontré par les faits. Maintenant jetterons-nous un coup d'œil sur vos antécédents, avant votre arrivée dans la commune ? Je commencerai par vous demander pourquoi, de professeur de rhétorique au collège de Dôle, vous êtes devenu vicaire desservant dans cette ville ? Comment expliquerez-vous ce pas rétrograde dans un temps où l'on dit que vous aviez la prétention de vouloir faire destituer les autres en votre qualité de membre très chaud d'une société qu'on appelait Chambre Ardente, et dont vous vous êtes empressé de faire partie, pour avoir la douce satisfaction de dénoncer tout le monde. Le bruit public dit que, non content de suivre cet odieux système, vous aviez mis le trouble dans le collège, et que vos querelles injustes et déplacées, avec la plupart des professeurs, et même avec le régent, ont provoqué votre renvoi. Une autre version, qui fut moins accréditée quoique vraisemblable, disait qu'en vous remerciant, l'Université avait voulu corriger la faute qu'elle avait faite en vous plaçant dans une chaire de rhétorique, dans laquelle vous étiez parvenu à vous glisser, humillimus adrepens, comme dit certain auteur que vous connaissez sans doute, en dépit de tous les gens capables, et cela par vos intrigues et celles de quelques confrères de sacristie. C'est ce qui faisait dire à de mauvais plaisants, dans le temps, qu'on pouvait faire une fameuse objection contre le progrès des lumières, lorsqu'on vous voyait siéger dans une chaire de rhétorique. De ces deux suppositions, qui présentent quelques caractères de vraisemblance, laquelle admettez-vous ? Est-ce la première ? Alors vous admettriez que vous êtes un brouillon. Est-ce la seconde ? Alors vous avoueriez que vous n'êtes qu'un ignorant et un intrigant. Ainsi, de deux choses l'une : ou vous êtes un brouillon, ou vous êtes un incapable. Choisissez ! Je ne saurais me résoudre à croire que vous êtes sot au point de ne pouvoir faire une classe de rhétorique, sinon avec distinction, du moins avec cette médiocrité tolérable qui maintient dans leur poste la plus grande partie des professeurs de nos collèges; car les médiocres sont les plus nombreux. N'ayant jamais été à même de bien apprécier votre talent, je ne saurais porter sur vous un jugement qui me serait propre. A en croire la rumeur publique, on s'accorde à vous dire, non pas riche d'un mérite distingué, comme le professent les nullités qui aboient à votre commandement, mais seulement doué de ces dispositions ordinaires qui sont très suffisantes pour professer les principes de l'éloquence, car vous ne devez pas ignorer que professer l' A B C de la rhétorique, n'est pas le nec plus ultrà du savoir-faire. Pour mon compte, je connais beaucoup de ces maîtres de prosopopées et de métaphores' qui n'ont ni la fécondité ni la richesse de Cicéron, ni la logique de Démosthène, ni l'art de Quintilien. Ainsi, le reproche d'incapacité étant abandonné, vous seriez donc un brouillon ?

Il resterait bien une troisième hypothèse à émettre, mais je pense que vous respectez assez le bon sens du public pour n'avoir pas l'impudence de vous en prévaloir. Vous pourriez dire que vous avez quitté le collège de Dôle de bon gré, par fantaisie; mais aussitôt tout le monde qui raisonne, jetterait le holà, et vous demanderait si vous avez l'intention de l'insulter en vous moquant ainsi de lui. « Quoi ! vous dirait-il, avez-vous la sottise ou la prétention de nous faire croire, qu'à l'âge de près de cinquante ans, vous avez quitté de gaîté de coeur une chaire de rhétorique, sans savoir ce que vous deviendriez ? » En sorte que, ne sachant à quel saint vous vouer, vous vous êtes vu dans la nécessité d'accepter une place de vicaire desservant, au gage de 300 francs et la table, que vous offrit, par charité, M. Longpré, ancien curé de Dôle, qui fut bientôt fatigué de vous, et vous vit partir avec joie, tout en plaignant la commune qui devait vous posséder.

Que vous fassiez croire de pareils contre-sens à vos faibles, stupides et ignorants cerveaux, que vous régissez selon votre bon plaisir, avec votre éloquence à bon marché, cela se conçoit fort bien; leurs mots encéphales n'ont peut-être jamais pu enfanter une idée, ni porter un jugement; mais quant à nous, qui croyons avoir de l'intelligence, au moins comme le commun des êtres pensants et raisonnants, nous ne sommes pas d'aussi facile persuasion, et si vous vous obstiniez à soutenir une pareille absurdité, nous ne craindrions pas de vous dire que vous en imposez, ou, en termes moins courtois, que vous mentez. Je pense donc que personne ne peut révoquer en doute, sans se faire moquer de lui, votre renvoi du collège de Dôle, pour cause d'insubordination et de désordre allumé par vous.

Pendant quelque temps vous avez desservi la paroisse de Foucheran; pourriez-vous me dire quels sont les motifs pour lesquels vous avez cessé d'y exercer votre ministère ? Une question indiscrète vous jette quelquefois dans un étrange embarras, vous fait gratter l'oreille à la hongroise, selon votre habitude, cracher, frapper du pied fort, fort, et tousser long-temps (1), pour éluder la question et vous dispenser de répondre; mais rassurez-vous; en vous adressant une pareille demande, je n'ai pas l'intention de vous embarrasser, car jamais vous ne l'avez été, mais seulement de vous faire avancer de ces raisons à votre manière, qui prouvent à tout le monde que vous êtes dans vos torts.

Comment se fait-il aussi que sur cinq préfets et quatre sous-préfets, qui ont administré le département depuis que vous habitez Moissey, et qui tous ont été à même de vous juger par vos actes, cinq de ces préfets et quatre de ces sous-préfets ont condamné votre conduite ? Malgré tout votre talent, il vous sera bien difficile de vous disculper; je doute que vous puissiez le faire avec succès. Comment se fait-il surtout que votre évêque, dont les principes politiques sont si bien en harmonie avec les vôtres, vous désavoue par des expressions dont je rougirais si j'étais prêtre ? Il faut que vous soyez réellement coupable; car jamais un esprit sensé ne pensera qu'un prélat, professant les principes de M. de Chamon, ait soutenu les débats de quelques laïques paysans contre un prêtre. Vous n'ignorez peut-être pas que ce n'est qu'après avoir été importuné pendant deux ou trois ans par les plaintes réitérées des énergumènes de Moissey, qu'il finit par daigner leur répondre ? Qu'effectivement vous aviez tort de les insulter tous les dimanches à l'église, et de leur faire éprouver toutes sortes de vexations, mais qu'il fallait qu'ils souffrissent toutes vos gentillesses avec patience et résignation, et qu'ils eussent pour vous tous les égards dus à un prêtre.


(1) M. Droz ayant contracté, en Hongrie, l'habitude de se gratter l'oreille à l'autel, et de frapper du pied comme un maître d'armes, n'a pu encore se conformer aux bienséances que doit avoir un prêtre dans l'exercice de ses fonctions.


Or, pouvez-vous supposer que ce prélat qui recommande à des impies d'avoir des égards pour vous, uniquement parce que vous êtes prêtre; égards que vous n'eussiez pas mérités, selon lui, si vous aviez été tout autre chose que prêtre, pour plaire à des hommes sans influence qui n'étaient pas prêtres ? Assurément vous connaissez trop bien l'esprit de corps du clergé pour qu'une telle pensée soit entrée dans votre tête; que vos échos répètent que cet évêque n'est qu'un gueux (expression que j'ai entendu prononcer par un des aptes de M. Droz, en parlant de l'évêque), cela ne m'étonne point, car en vous interdisant, de deux choses l'une, ou il a fait un acte de justice, ou un acte d'injustice, et il est tout naturel que vous souteniez que tous les torts sont de on côté, puisqu'autrement vous confesseriez que votre conduite est coupable. On ne peut assurément attendre de vous un aveu aussi sincère. Vos énergumènes ont toujours considéré votre interdiction moins comme une justice qui leur était rendue, que comme une satisfaction personnelle à M. l'évêque de Saint-Claude, bien persuadés qu'ils sont, que jamais il n'aurait sévi contre vous, si vous ne l'aviez insulté publiquement, en faisant tendre votre église en noir pour sa réception, et en allant à sa rencontre vêtu d'une manière inconvenante. Ils fondent leur conviction sur la non application faite par lui de ce principe de justice : « Que lorsqu'un individu se rend coupable de récidive, non seulement il n'obtient pas pour cela un brevet d'impunité, mais il est châtié plus sévèrement encore. » Or, s'il est vrai que ce soient vos actes indignes que je viens de signaler en partie, qui aient spécialement provoqué votre interdiction, d'où vient que depuis votre entrée, votre conduite ayant été la même, et plus répréhensible encore qu'auparavant, cet évêque ne sévit plus contre vous ? C'est qu'il est permis de vexer journellement des paysans sans aucune influence, et que c'est un crime impardonnable que d'insulter une seule fois un évêque. Je n'entrerai point dans les détails de vos débats avec ce prélat; je ne me suis point imposé la tâche de les reproduire; d'ailleurs je les crois presque étranger à ceux que vous avez eus avec les impies de Moissey ? Quoiqu'ils semblent s'y rattacher. Avant de terminer ma lettre, j'aurais pu vous parler de cette cérémonie de la bénédiction des cloches, dans laquelle vous vous étiez vanté que le bâton jouerait, et qui fut en effet troublée par une espèce de sédition; j'aurais pu vous parler de vos intrigues à Paris, pour vous faire réintégrer dans vos fonctions, du moyen que vous avez employé pour surprendre la bonne foi de M. le ministre de Feutrier; de la manière humble et très humble avec laquelle vous lui avez promis, ainsi qu'à l'évêque de Saint-Claude, de quitter votre paroisse peu de temps après votre rentrée. J'aurais pu aussi rappeler votre infraction réitérée aux articles 199 et 200 du Code pénal, infraction qui vous aurait mérité la déportation, si vous eussiez été poursuivi. Je pourrais vous demander si vous êtes un pasteur selon l'esprit de l'Evangile ! Si c'est l'amour de Dieu et de votre prochain qui vous inspire ces sorties charitables que vous lancez du haut de la chaire de vérité, lorsque, tout plein de votre sujet, vous vous écriez en parlant de vos athées : Combattons-les, terrassons-les, chassons-les de notre église ! Lorsque de telles apostrophes sortent de votre bouche, vos brebis fidèles peuvent voir en vous le type des bons pasteurs, l'organe et le représentant de Jésus-Christ sur la terre; mais pour moi je vous déclare que je ne vois en vous qu'un pasteur métamorphosé en loup enragé, qu'un moine de l'inquisition d'Espagne, qui abuse de la religion pour semer la guerre civile. Enfin je pourrais retracer votre rentrée triomphante à Moissey, digne par sa ridicule extravagance, d'occuper les loisirs d'une verve comique. Quel beau sujet pour l'auteur du Lutrin, que cette procession où l'on vous vit sous un dais, en soutane ! En tête de cette burlesque caravane, marchait un boucher tenant un gâteau de biscuit dans un plat; puis venaient des héraults d'armes avec des couronnes de lauriers; puis quatre défuntes pucelles, qui, comme je l'ai déjà dit, marchaient à côté du dais, entonnant des hymnes de triomphe. Derrière vous se faisaient remarquer une foule de bigots et d'écornifleurs que vous aviez recrutés à Dôle, pour en former un ridicule état-major de parade. Des couronnes de lauriers, en mémoire d'un triomphe aussi éclatant, demeurèrent suspendues à l'autel , jusqu'à ce que les vers et la poussière eussent détruit ces trophées périssables d'une gloire immortelle; ainsi on suspendait aux voûtes des temples, les dépouilles opimes, pour conserver le souvenir d'une victoire. Mais je pense, monsieur l'abbé, que les fautes graves qui vous accablent, doivent suffire pour votre très grande confusion; s'il en était cependant autrement, je vous serais obligé de me faire savoir, car il existe encore plus de procès-verbaux qu'il n'en faudrait pour faire interdite ou excommunier vingt curés. Vous voyez donc que je n'aurais que l' »embarras du choix.

Tels sont, très vénérable pasteur, les motifs pour lesquels je persiste à vous refuser mon estime, et comme homme et comme prêtre, ainsi qu'à toutes les personnes qui, connaissant ce que je viens de dire, semblent, par leur conduite à votre égard, vous autoriser dans toutes vos saletés.

L'Energumène JOSEPH BONAVENTURE CASIMIR GUILLAUME,

Avocat.

 

P.S. On demande si M. Droz, curé de Moissey, a été sérieusement fait prêtre, où il a été fait prêtre, et par qui il a été fait prêtre; enfin s'il a lu Gall, dans son système des bosses.

 

FIN.

 

l'affaire du Curé Droz
le 14 octobre 1828, une drôle d'affaire à Moissey, par Casimir Guillaume, avocat
l'affaire Droz, in "L'Etat du Clergé de France", 1830
lettre de Casimir Guillaume à M. le curé Droz, Moissey 1832, saisie manuelle
lettre d'un énergumène de Moissey, à son très vénéré pasteur, M. Antoine Désiré Droz, curé inamovible (Casimir Guillaume, 1832) scan de l'original
l'affaire Droz in "L'Ami de la Religion et du Roi" (1834)

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