village de moissey,

la Place Jacques Duhamel

inaugurée à Paris 5e

le 22 octobre 2016

page de Christel P.

discours: de Florence Berthout, maire du Ve, de François Bayrou. * Biographie wikipédia

images: envoyée spéciale avec Nokia Lumia 1320

jacques duhamel
la nouvelle assoce des Amis de Jacques Duhamel, nov 2016
la Place Jacques Duhamel à Paris, oct 2016
archives: J Duhamel dans le canton oct 2016

François Bayrou, Stéphane Duhamel, Daniel Germond, Olivier Duhamel et Gilles Duhamel.

Inauguration de la Place Jacques Duhamel à Paris

Enfin on lui a rendu ce qu'on lui devait... On avait déjà donné son nom à un grand lycée de Dole, situé dans la partie contemporaine de la ville, zup, hôpital, et on avait failli naguère lui voler un bout de l'avenue Jacques Duhamel, celle qui quitte Dole pour aller vers l'Ouest.

Une municipalité un peu pas bien fine était partie pour enlever la moitié du faubourg Duhamel pour y mettre le député Santa-Cruz à la place, comme si on avait dans l'idée que ces deux-là pourraient cohabiter avec joie. Finalement une haie de protestation a contraint cette bande de futés à changer son (leur) fusil d'épaule.

Le député Jean-Pierre Santa-Cruz, un homme charmant au demeurant, a trouvé une autre place.

Si le site de Moissey, [moissey.com] historique, monographique et bénévole a plaisir aujourd'hui à évoquer dans une page exprès pour lui, le grand homme et l'homme paisible que fut M. Duhamel, c'est parce qu'il nous a fait l'amitié de présider à nos petites et locales inaugurations, celle de l'école de Moissey et celle de la cloche de l'église de Moissey, sous le mandat du maire de l'époque Léon Désandes, qui adorait les grands élus du Jura, la remise de prix à notre école à Arc-et-Senans avec son compère Pierre Poujade, et à l'invitation du Dr Paul Boîteux, il avait "honoré de sa présence" le grand concours hippique de Mutigney.

Comme on sait, Jacques Duhamel était un homme hors du commun et au-dessus du lot et qu'on ait mis 40 ans pour le canoniser est bien la preuve que c'était un grand saint...

La cérémonie d'adoubement a eu lieu en présence de ses trois fils, Stéphane, Olivier et Gilles, de François Bayrou qui fait figure d'héritier parmi les centristes et Daniel Germond avec qui il a collaboré lorsque Jacques Duhamel était -aussi- maire de Dole. Daniel Germond représentait -aussi- ici la municipalité doloise en tant qu' adjoint au maire Jean-Marie Sermier.

On pourra prendre connaisssance avec intérêt des différents discours qui ont été prononcés à cette occasion.

Christel Poirrier.

Stéphane Duhamel, Daniel Germond, Olivier Duhamel et Gilles Duhamel.

Inauguration de la Place Jacques Duhamel

Discours de la Maire - 22 octobre 2016

 

Monsieur le Président (François BAYROU),

Madame la Ministre (Elisabeth GUIGOU),

Monsieur l'Adjoint à la Maire de Paris (Jean-Louis MISSIKA),

Madame l'Adjointe à la Maire de Paris (Marie-Christine LEMARDELEY),

Monsieur le Député-Maire (Claude GOASGUEN),

Mesdames et Messieurs les parlementaires, chers collègues du Conseil de Paris,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

En inaugurant, presque 40 ans après sa disparition, à quelques mètres de sa dernière résidence dans le 5e arrondissement, une place dédiée à la mémoire de Jacques DUHAMEL, je ne peux m'empêcher de penser à la phrase de Jacques RIGAUD, son ami et directeur de cabinet : « Le temps de la politique est court. Mais le temps des justifications et des vraies récompenses est très long ».

Rares sont pourtant les hommes de la stature intellectuelle, politique et morale d'un Jacques DUHAMEL qui ont autant donné à la France en si peu de temps.

Jacques DUHAMEL disparaît en 1977, à 52 ans, un âge où beaucoup, surtout en politique, construisent encore une carrière, quand ils ne rêvent pas de s'envoler vers les plus hautes destinées.

Son héritage est pourtant tout à fait considérable, et sur le terrain des idées, et sur celui de l'action.

Formé très jeune au service de la France, à la dure école de la Résistance, il fête ses 18 ans dans une cellule, à Fresnes, puis intègre la première promotion de l'ENA de la « France combattante ». Il sera fidèle toute sa vie à cet engagement absolu, même quand les épreuves s'acharneront sur lui : la disparition d'un fils, la terrible maladie…

L'expérience héroïque de la Résistance et de la fragilité des choses ont sans doute forgé sa conception exigeante de l'action publique, conception qui se traduisait autant par l'autorité du réformateur que par une manière d'être à la politique, ouverte aux autres et pleine d'humilité. Car la politique n'était pas pour lui un champ de bataille, et il attachait beaucoup de prix à la sincérité de l'engagement et à la loyauté. Celle-ci lui soufflera des choix courageux et parfois incompris dans son propre camp. Après 1968, il ralliera ainsi Georges POMPIDOU, qui incarnait pour lui l'esprit de réforme, et contribuera à infléchir la politique gouvernementale dans un sens libéral, social et européen, puis il soutiendra le projet de « Nouvelle Société » de Jacques CHABAN-DELMAS.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que cette figure emblématique et charismatique du centrisme &endash;qui avait fondé en 1969 son propre parti, le Centre Démocratie et Progrès&endash; rassemble bien au-delà de sa propre famille politique. En témoigne aujourd'hui la présence de très nombreux élus de sensibilités différentes.

Parmi les nombreuses fonctions qu'il exerça durant sa vie trop courte &endash; grand commis de l'État, député passionné du Jura, Maire de Dole, ministre, c'est le Ministre de la Culture qui nous laisse sans doute l'héritage le plus imposant.

Quand il arrive rue de Valois, beaucoup imaginent que Jacques DUHAMEL, dont la philosophie empruntée à William James est « d'abord continuer, ensuite commencer », se contentera d'administrer le ministère.

Il n'en fut rien, bien au contraire !

L'époque DUHAMEL fut celle de profondes innovations, celle de l'invention de structures légères de diffusion, de l'implantation du ministère en région, de la réorientation de la politique patrimoniale, d'un soutien assumé à la modernité avec la création du Festival d'Automne et des nominations audacieuses - Rolf LIEBERMANN à l'opéra de Paris, Roger PLANCHON au TNP de Villeurbanne…

« Pour la première fois ce ministère a une sorte de reconnaissance pour les jeunes artistes », osera même un certain Jack LANG, que le Ministre avait nommé au Théâtre de Chaillot.

Avec Jacques DUHAMEL, l'administration de la culture va accéder à une crédibilité dans l'État et servir un véritable projet social au service des tous les publics et pas seulement des professionnels de la culture, projet dans lequel, bien des années plus tard, comme Directrice générale du Parc de la Villette, je me retrouverai, comme beaucoup de mes collègues.

L'héritage qu'il nous laisse aujourd'hui n'est que plus précieux.

Je crois qu'il serait très heureux du choix porté par la ville et partagé par ses enfants, Olivier, Gilles et Stéphane, que je salue avec émotion, de donner son nom à ce petit coin de Quartier latin. C'est un choix sensible et modeste, mais ô combien symbolique, au pied de la Montagne Sainte-Geneviève, lieu emblématique des savoirs et de la culture, entre Notre-Dame et la rue d'un grand théologien aristotélicien, là où le mystique côtoie souvent le philosophe, près de la Seine, qui berce toujours nos amours et nos espoirs.

Florence BERTHOUT

Maire du Ve arrondissement

Conseillère régionale d'Île-de-France

Olivier Duhamel et Daniel Germond et à droite, Daniel Germond et François Bayrou

Sur la Place qui porte maintenant son nom, ce portrait de Jacques Duhamel, qui dit bien l'homme qu'il était.

 Discours de M. François Bayrou, Président du Modem

Je ne saurais dire le bonheur grave que représente pour moi la charge, que m'a confiée Olivier, d'évoquer Jacques Duhamel lors du dévoilement de la plaque sur cette place qui porte désormais son nom.

Je n'ai rencontré Jacques Duhamel qu'une seule fois. J'étais un très jeune militant, c'était mon premier congrès politique, et nous savions tous que c'était son dernier.

Il avait voulu passer un moment, malgré la maladie, malgré le fauteuil roulant, à ce congrès de réunification du centre, à Rennes, en 1976. Je me souviens de l'avoir regardé longuement, descendant l'allée centrale, entouré de quelques amis  : quand on a vingt-cinq ans et qu'on vient d'où je venais, on ne laisse pas passer une légende prise dans l'épreuve sans la suivre des yeux et du cœur.

J'étais bien loin de savoir alors, -qui l'aurait dit ?-, que de ce mouvement qui se fondait là, je serais bien des années plus tard le président, avant de le faire évoluer en d'autres formes politiques. Je ne sais qu'une chose, c'est que cette recherche d'une forme toujours nouvelle, il l'aurait comprise, lui qui n'a cessé de chercher des formes inédites pour que s'incarne et s'organise le rêve inaccompli du centre qui nous manque tant. Et si vous me permettez de le dire, ces jours-ci, plus que jamais.

Mais même à cet instant de douleur et de courage, il émanait de lui, y compris dans la détresse, comme une aura, comme un halo de lumière et comme un souffle, qui drainait l'attention de tous, y compris de ceux qui ne savaient rien de la maladie et de la douleur.

Vous me permettrez de le dire  : il était beau. C'est une chose que l'on ne dit pas, ce n'est pas l'usage. Il était beau, votre mère était belle, vous êtes tous beaux dans la famille, beaux de l'extérieur et beaux de l'intérieur, aimant les jeux du corps et les jeux de l'esprit, et les dons du cœur.

Même juvénile, il avait le visage ouvert et précocement patricien, les rides du front qui assurent la profondeur du regard, les yeux verts et mordorés, et cette crinière de centaure.

Il y a, nous l'observons tous les jours, deux sortes de beautés. Il y a les beautés qui croient que le charme est dans l'immobilité, et qui s'arrêtent donc pour l'exercer, pour se laisser regarder. Et il y a les autres, celles qui ont compris que le prestige plastique n'est rien sans le mouvement. Et que c'est le mouvement en vérité qui fait le charme durable et profond.

Jacques Duhamel emportait l'adhésion par le rayonnement et par le mouvement.

Dans le très beau film familial qu'Olivier a voulu il y a quinze ans pour évoquer votre père et votre oncle, et où vous intervenez tous, il y a l'évocation par sa jumelle Micou de cet incroyable ascendant qui au moment de la débâcle de 1940 et de l'exode, à La Baule, révèle en un garçon de quinze ans et demi qui s'avance et qui prend tout en main, un chef et un organisateur, et qui le fait désigner, non pas désigner en fait mais reconnaître, Commissaire de la Croix-Rouge pour accueillir les réfugiés. Quinze ans et demi  !

En 1942, il est étudiant, il est entré dans les premiers réseaux de résistance, il est arrêté, il est à Fresnes le jour anniversaire de ses dix-huit ans, il est libéré et à nouveau engagé dans l'ombre.

Quand arrive la libération, il n'a pas encore vingt ans, il n'est pas encore diplômé rue Saint-Guillaume, mais il a déjà reçu la croix de guerre, la médaille de la Résistance, et bientôt la légion d'honneur des mains d'Edmond Michelet à qui un quart de siècle plus tard il succèderait au ministère de la Culture.

C'est un bel âge, 20 ans, pour être reconnu officiellement, sur le front des troupes, comme héros! Davantage encore, pour l'avoir mérité.

Le mystère des êtres est le vrai sujet des romans. Si j'osais je scruterais cette vocation à l'héroïsme, pour en trouver la source et le ressort. Et il me semble qu'on y devinerait l'ombre du frère disparu qui le précédait dans la fratrie, mort à l'âge de 3 ans, avant la naissance des jumeaux, ce frère enlevé que les photos et la mémoire paraient de tous les dons. Il fallait peut-être égaler cette légende.

Et on y trouverait sans doute le souvenir du père, grand mutilé de guerre, disparu brutalement en ces semaines de la drôle de guerre, en 1940, à 47 ans, et qu'il fallait suppléer. Frère pour frère, homme pour homme.

Vient l'école nationale d'administration en sa première promotion  : France combattante. Et Jacques, sorti, bien sûr, dans la botte, choisit le Conseil d'Etat, comme le dira son mentor, à cause du Conseil et à cause de l'État.

Viennent deux coups de foudre. Le coup de foudre avec Colette à 22 ans qui décidera de la vie de famille, mariage, naissance des garçons, Jérôme, Olivier, Stéphane et Gilles, et la construction de la tribu, du phalanstère familial, le paradis pas encore perdu, où l'on rit, où l'on parle, où l'on débat, où l'on s'aime sans compter, parents, oncles et tantes, frères, cousins, en osant dire qu'on s'aime, en osant aimer le dire. Une ambiance de vacances, même en vacances, une oasis de liberté.

Et le coup de foudre avec Edgar Faure, qui décidera de l'engagement politique. Edgar Faure, oeil de maquignon sur le marché des valeurs montantes en politique, qui le reconnaît, le choisit, l'entraîne dans la danse, en fait à moins de 30 ans, le numéro 2 puis le numéro 1 de son cabinet, au budget, à la justice, à Matignon, au Quai d'Orsay, de nouveau à Matignon. Qu'on songe à cet apprentissage  !

Chemin faisant, s'effondre la Quatrième République  : traversée, comme on dit, du désert. Le désert de Jacques Duhamel est un désert peuplé d'une importante responsabilité: il est chargé du Commerce extérieur de la France, et cela le passionne, mais il a besoin de responsabilités de première ligne, de la parole libre et du commandement. Il parcourt le monde: j'ai tant aimé le rire de votre cousin évoquant dans le film le «  Mao me disait l'autre jour…» de Jacques Duhamel.

En 1962, la dissolution de l'Assemblée nationale pour cause de vote de motion de censure, le projette grâce à la tutelle d'Edgar Faure, dans le Jura, à Dole.

Le familier du tout-Paris va défier en pleine vague gaulliste, un député gaulliste enraciné dans une sous-préfecture. En quinze jours  ! Quiconque connaît la puissance des vagues en politique et la force que confère l'enracinement rural, sera amené à la conclusion qu'en cette joute électorale, le jeune parisien n'avait aucune chance. Même son mentor croit l'affaire perdue  : et pourtant, il gagne, contre toute attente et contre tout pronostic, en convainquant et en réunissant, en rassemblant tous les centristes, ceux qui vont à la messe et ceux qui bouffent du curé, les démocrates chrétiens et les radicaux, et les socialistes. Et même les voix communistes.

Troisième coup de foudre  ! Il était venu chercher un mandat, il gagne un pays, une ville, un baillage, des amis, des racines politiques  : le Jura, depuis les fruitières, depuis le XIIIe siècle, terre de solidarité, sévère et travailleuse.

Dès lors, il est à l'Assemblée la figure montante du centre d'opposition, avec et parfois en rivalité avec son aîné de quatre ans, Jean Lecanuet.

Comme il n'est ici que des experts du sujet, je ne tenterai pas d'ajouter à votre connaissance documentée des difficultés de la position centrale dans la vie politique française, dominée par le scrutin majoritaire si naturellement bipolarisé.

Jacques Duhamel appelle sans trêve à la nécessité du centre fort  : «  Ne déchirons pas la France en deux. C'est tout le sens de l'effort difficile mais indispensable qu'en équipe nous engageons et poursuivons. Il faut que le centre devienne suffisamment puissant pour que les choses changent et que le pays échappe à cette guerre des blocs. Si tout redevenait demain comme hier, les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Je lance un appel pour que se réalise la rencontre du mouvement et de la stabilité, de l'ordre et de la réforme. Le seul moyen est qu'il y ait à l'Assemblée un centre puissant et efficace. Le centre est majoritaire dans la conscience, il faut qu'il le soit dans la représentation nationale.  »

À l'époque, Jacques Duhamel est du centre plutôt sur son versant gauche. Il se passionne et milite pour la grande fédération des socialistes et des centristes qui ambitionne de porter Gaston Defferre vers la candidature  : c'est un échec qu'il regrettera. Il est ami avec Georges Pompidou, le Premier ministre, mais il préside le groupe d'opposition Progrès et Démocratie Moderne. Il connaît bien Mitterrand, mais il soutient Jean Lecanuet à l'élection présidentielle de 1965, par refus de l'accord avec les communistes. Il est constamment réélu à Dole, quelles que soient les échéances et les vagues. Il en deviendra maire en 1971. Le tout avec l'élégance qui est la marque de fabrique de ses gestes et de ses choix.

Mais loin de Dole, il n'est pas facile de porter le drapeau du centre. Ce sera la conclusion de Jacques Duhamel lorsqu'il se rangera, en analyste réaliste et construit, au «  fait majoritaire  ».

Ce sera en 1969, au terme d'un débat de conscience, d'un débat même familial, il décide de sauter le pas et à l'issue d'un débat qui tint en haleine toute la France, y compris dans un village du Béarn mon père et moi, groupés autour du poste de radio, sur Europe n°1, il choisit de soutenir, contre Alain Poher, Georges Pompidou pour en faire le deuxième président de la Ve République. Il est vrai que Pompidou était son ami.

Mais c'est sur l'Europe que s'est prise cette décision.

Notre cœur battait pour l'Europe et nous voulions qu'elle s'affirme. Les formes ont changé, mais ne croyez pas que notre cœur batte moins.

Simplement, nous croyions que de l'autre côté de nos frontières les cœurs battaient à l'unisson pour le même idéal. Et cela était peut-être moins vrai.

Je ne sais plus trop aujourd'hui si nous avons si bien fait que cela de militer en ces années 70 pour l'élargissement de la Communauté à la Grande-Bretagne. Là aussi, l'histoire met en questions nos certitudes de jeunesse. Mais je sais ce que Jacques Duhamel, et nous avec lui, cherchions dans l'idéal européen  : nous cherchions à écarter les jalousies identitaires qui produisent au mieux la division et l'échec, et au pire la guerre, pour ne plus considérer que l'essentiel  : notre patrimoine commun d'histoire, de science, d'ingéniosité et de pensée, qui a produit la civilisation de l'humanisme.

Il crée alors le centre versant majorité, le CDP Centre Démocratie et Progrès, avec ces hommes que j'ai aimés  : René Pleven, Eugène Claudius-Petit, Joseph Fontanet, Bernard Stasi, Jacques Barrot, pléiade d'ombres amicales.

Bien entendu, à leur tête, il entre au gouvernement, d'abord au ministère de l'agriculture, puis au ministère de la culture quand l'ombre grise du destin choisit d'envelopper de tragique cette vie rayonnante et lumineuse.

Car le destin frappe deux fois  : il frappe la santé, ce qui est rude épreuve, et l'atteint dans ses forces, dans le mouvement justement, jusque dans la parole qui est l'instrument même des artistes de la démocratie.

Et ce serait déjà lourd. Mais le destin va plus loin, les Erinyes qui sont dans la Grèce antique les déesses des malédictions, ont décidé de frapper le cœur nucléaire de l'homme et de sa tribu.

Tous ici, vous savez, à quel instant sur une route du sud-est, en frappant Jérôme, par un accident qui ne pouvait pas arriver, le paradis se brisa, la saga s'interrompit, le cœur de tous fut percé comme jamais et à jamais.

Double chemin de croix, plus douloureux qu'aucun chemin de croix et qu'on échangerait à l'instant contre toutes les crucifixions.

Il ne serait pas juste que je n'affirme pas à cet instant le travail que cependant assuma cet homme doublement frappé, doublement martyrisé, pour construire le ministère de la Culture. Il était entré rue de Valois en prononçant cette phrase  : «  Je ne penserai pas au niveau de Malraux qui était un génie, je ne vivrai pas au niveau de Michelet qui était un saint, mais j'administrerai et j'agirai pour cela en m'inspirant de l'un et de l'autre.  Je consoliderai d'abord l'armature de mon nouveau ministère  »

Mais c'était trop modeste  : car ce ne fut pas seulement l'armature qu'en effet il forgea. On a pu dire qu'avant lui, il n'y avait pas de ministère de la Culture, et qu'il l'édifia. Mais l'esprit soufflait aussi  : la relance de l'opéra avec Rolf Libermann, de l'opéra comique avec Louis Erlo, le chantier de Beaubourg, la réouverture de l'Odéon avec Pierre Dux, la nomination de Jack Lang à Chaillot, de Planchon et Chéreau à Villeurbanne, le sauvetage de la gare d'Orsay promise à la démolition et dont VGE fera le musée que vous savez.

D'une certaine manière, en ces temps de terrible souffrance personnelle, la conception d'une politique culturelle lui permettait d'accomplir ce que le politique cherchait sous la forme du centre, l'administrateur sous le culte de l'État  : le dépassement des conflits inutiles pour traiter sans perte d'énergie les conflits utiles. Elle lui permettait d'entrer de plain pied dans le patrimoine européen. Elle lui permettait de penser Paris et la province en même temps, songez aux maisons de la culture.

«  Je ne souhaite pas dominer, pas décider à la place des autres. Je souhaite travailler, trouver une formule exemplaire pour accorder les discordances. Nous sommes (…) dans une période où nous devons savoir que des forces différentes se bousculent et se cherchent. Il faut tolérer cette recherche, provoquer la joie et garantir la liberté. Ce pourrait être l'ambition de notre vie  ».

Et comme un message à chacun d'entre nous  : «  La culture a pour but ultime de permettre aux hommes de se réconcilier avec eux-mêmes et avec le monde qu'ils ont créé.  »

Réconcilier les hommes avec eux-mêmes et avec le monde qu'ils ont créé. Pour la postérité, que soit ainsi consacrés sur cette place de Paris à la fois la vocation d'homme et le témoignage démocratique, lumineux et profond, de Jacques Duhamel.

 

 François Bayrou, Président du Modem, Paris le 22 octobre 2016

Biographie de M. Jacques Duhamel, extraite de l'encyclopédie Wikipédia
 

Fils de Jean Duhamel, qui fut délégué général du Comité central des houillères de France et de la Société générale d'immigration1, résistant dès l'âge de 17 ans, diplômé de Sciences Po Paris, il est également diplômé en sociologie et licencié en droit, puis intègre l'ENA dans sa première promotion (France combattante 1947).

Maître des requêtes au Conseil d'État. Proche d'Edgar Faure dont il est le collaborateur pendant sept ans (conseiller technique, directeur adjoint, directeur du cabinet à la présidence du Conseil). Il est assisté par Valéry Giscard d'Estaing. Il exerce ensuite les fonctions de directeur général du Centre national du Commerce extérieur. Il est directeur gérant de la Société de presse et d'édition jurassienne à partir de 1968.

Élu député du Jura le 25 novembre 1962, réélu en 1967, 1968 et 1973 sous diverses étiquettes centristes (groupe du Rassemblement démocratique, Progrès et démocratie moderne (PDM) qu'il préside et Union centriste). Il est président du parti politique Centre démocratie et progrès (CDP) qu'il crée en 1969. « Il a conquis le Jura, mais le Jura l'a à son tour conquis » écrit Pierre Viansson-Ponté. Il se montre un efficace défenseur de son département. À l'Assemblée nationale, il excelle dans le maniement du règlement.

Rallié à Georges Pompidou, il est ministre de l'Agriculture du 29 juin 1969 au 7 janvier 1971 dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas puis ministre des Affaires culturelles du 7 janvier 1971 au 28 mars 1973 dans les ministères Chaban-Delmas et Messmer. Adoptant la thématique social-démocrate de la « Nouvelle Société » de Jacques Chaban-Delmas, Jacques Duhamel mène une politique visant à insérer la culture au sein de la société, dans la vie quotidienne. Parmi les objectifs du ministre : aiguiser la sensibilité des enfants aux œuvres de l'art, prendre en compte la capacité d'apprentissage des adultes, maîtriser le cadre de vie et les techniques audiovisuelles nouvelles, etc. Il met en place des procédures contractuelles entre l'État et les institutions culturelles (télévision, industrie cinématographique, compagnies dramatiques décentralisées). Créé en conjonction avec un éphémère Conseil du développement culturel, un Fonds d'intervention culturel permettant de financer des opérations innovantes en partenariat avec d'autres ministères est institué - il exerça jusqu'en 1985. Dans le domaine des arts plastiques, le système du 1 % est étendu à tous les bâtiments publics (1 % du coût de construction doit être consacré à la création d'une œuvre d'art). Il met un terme à la censure politique et nomme des personnalités situées à gauche à la tête du TNP (Jack Lang, Roger Planchon à Villeurbanne). Après les législatives de 1973, malgré l'insistance de Georges Pompidou, il renonce à toute fonction ministérielle, du fait de sa maladie.

Maire de Dole depuis 1968, il démissionne pour raisons de santé en 1976. Son successeur Armand Truchot est battu en 1977 par le socialiste Jean-Pierre Santa-Cruz et à l'âge de 52 ans, est inhumé dans le cimetière de la Guicharde à Sanary-sur-Mer, dans le tombeau de la famille Duhamel-Brentano.

Jacques Duhamel est le père du docteur Gilles Duhamel, inspecteur général des affaires sociales, de Stéphane Duhamel, qui présida RTL puis La Provence, et du professeur des universités à Sciences Po et spécialiste de droit constitutionnel français, Olivier Duhamel.

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