village de moissey,

le mystère des croix pattées autour de la Serre

une autre hypothèse

mai 2004

page de Christel Poirrier

la fontaine de la croix pattée de 1880 à 1964

Cette fontaine entre abside-de-l'église et première-école n'existe plus. Sa belle Croix Pattée en arkose a présidé de 1964 à 2004 à la bifurcation du CD 37 et du CV 02 qui rejoint Offlanges. Son bac en arkose héberge des fleurs chez Marcel Daudy, agriculteur en retraite (ZB 57). Photo fournie par Jeannine Collieux-née Grebot.

 

Les Croix Pattées autour de la Serre ont été l'objet de nombreux articles et autant d'interrogations. La plupart des historiens qui se sont approchés de la question ont parlé de "mystère".

Les deux croix de Moissey.

L'une, la plus haute, se tient au carrefour de la Croix Boyon, carrefour de premier plan avant que la nationale 475 soit ouverte. En 1850, cette voie était déjà en usage, selon la carte de la famille Cassini. Avant cette voie, les sorties de Moissey étaient, le chemin de Frasne, le chemin de Montmirey-la-ville et le chemin d'Offlanges, qui existent toujours en 2004. Un chemin important était celui qui va vers le sud: à partir des Gorges et de son concasseur de 1918, monter à droite pour atteindre les carrières d'arkose par un chemin encaissé. Là on perd sa trace mais on sait qu'il rejoignait le grand carrefour de la Croix Boyon (car on retrouve une trace près de la croix; une partie du chemin a été reprise par la forêt). C'est à partir de ce chemin qu'étaient exportées toutes les croix pattées nées sur ce site, dit de Moissey, bien qu'étant sur le territoire de Frasne. Elles sont sorties du façonnage soit par la Croix Boyon, soit par la route des Gorges.

L'autre croix fait apparition dans nos documents sur le mur du cimetière attenant à l'église. Ce cimetière (et son mur) ont été déconstruits en 1870, pour en créer un autre à l'écart du village. Cependant, un morceau de mur est resté en place, contre une auge-fontaine, la croix érigée sur un chapeau. Tout laisse à penser que cette croix était là depuis longtemps, un temps qu'on ne peut pas dater et bien avant l'abreuvoir, qui lui, a dû arriver là en 1880, au moment du captage de la source de Melay.

Lorsque l'eau syndicale est arrivée au village, vers 1964, l'auge de cette fontaine a été vendue, le mur démoli, et la croix a été installée à la fourche carrière-Offlanges.

Sous le mandat du maire Michel Delhay, en 2004, elle a été ramenée contre l'abside de l'église, avec d'autres stèles qui ont été gardées comme témoignage du cimetière ancien.

Les croix pattées du pourtour de la Serre.

Jean Michaud, de Brans, président de l'association de sauvegarde, et ses amis, ont consacré beaucoup de leur temps à faire l'inventaire de ces croix, et autant de temps à les remettre debout, les réparer et les (re-)mettre en valeur. Mais selon lui, la ceinture de ces 43 croix n'a pas encore révélé son secret.

Il faut s'habiller en historien et retrouver les réflexes de nos aïeux pour aborder la question, et d'abord, nous interroger sur l'histoire du Christianisme.

- La Croix du Christ supplicié a très vite fédéré les nouveaux adeptes de cette religion fondé par un Juif dissident. Monothéiste, généreuse et moderne, cette religion a pris doucement mais sûrement une part importante dans les sentiments de ceux qui vivaient sous l'empire romain d'occident.

- La foi chrétienne. D'où vient-elle ? Est-elle spontanée ? Remplace-t-elle une autre foi ? Est-elle née de l'admiration pour un créateur ? Est-elle faite de crainte à l'endroit dudit créateur ? La question à elle toute seule mériterait bien des explorations.

Toujours est-il que les Chrétiens d'Occident et d'Orient et d'autres n'ont eu de cesse que de plaire à leur créateur, et certains même ont consacré toute leur vie à le remercier ou à le craindre. On a construit des églises inimaginables, parfois creusées dans le roc, comme en Ethiopie, et naturellement, la croix chrétienne est devenue le signe de reconnaissance entre tous les chrétiens.

Pour ne parler que de la France, le nombre de Croix chrétiennes (dites aussi latines ou christiques) installées en rase-campagne, aux carrefours, aux sommets des collines et des montagnes, aux endroits dangereux, aux endroits de mort, pourrait avoisiner les 50 000, sans compter celles qui meublent les églises et les cimetières.

Avec quoi a-t-on fait ces croix ?

On répond à cette question par l'architecture vernaculaire (= avec les matériaux du cru). Les croix sont en bois, en fer, en pierre, en briques, en marbre, en béton, en plastique, selon l'accessibilité aux matériaux offerts sur place.

Quoi alors d'étonnant que le pourtour de la Serre soit enserré par des Croix en arkose ? L'arkose est un matériau dur, grossier, non gélif, qui se taille bien. Les plus riches s'en sont fait des cercueils, des auges et des croix. Pourquoi les plus riches ? D'abord trouver dans la carrière une veine qui permettra d'en sortir une croix est très aléatoire, tout autant que pour en sortir de grosses auges ou des sarcophages.

Ensuite trouver un transporteur qui sortira la pièce avec deux boeufs, puis l'emmener à demeure, c'est-à-dire pas trop loin. Le banc d'arkose de la Serre affleure à plusieurs endroits: Moissey-Frasne, Gredisans, Serre-les-moulières.

Donc techniquement et pratiquement, que ces croix meublent le pourtour du massif serait presque la moindre des choses.

Ajoutons à cela l'effet d'émulation qui fait que chaque paroisse a le désir de faire aussi bien qu'une autre, et voilà une explication tout à fait plausible (les grosses paroisses ont édifié des églises monumentales, dont la taille pouvait -ou devait-laisser penser qu'elle était proportionnelle au culte voué au créateur).

Le petit village de Frasne-les-Meulières compte 7 croix pattées arkosiques sur son territoire, ce village est propriétaire de la grosse carrière dite de Moissey.

Enfin, dernière question, dernière réponse:

Pourquoi ces croix sont-elles pattées (à branches évasées) ?

On pourrait considérer qu'il s'agit de Croix de Malte dont on a allongé le membre inférieur. Quant à la Croix de Malte, elle est observée en différents endroits de l'Hospice des Antonins, rue du Dieu de Pitié à Moissey. Et quant à cette croix pattée sur pied, si on lui retire sa tête, on obtient le Tau de Saint-Antoine, dont on suppose que c'est à lui qu'est voué l'Hospice de Saint Antoine, rue du Dieu de Pitié à Moissey...

 

NB. On lira avec intérêt l'article qui suit, de Julien Feuvrier, en 1920, conservateur du musée d'archéologie de Dole.

extrait de"Revue Franche-Comté et Monts Jura"

1ère année-n°10 Avril 1920

revue régionale fondée en 1919-Directeur Georges GRAFF

 

La montagne de la Serre, d'une altitude maximale de 380 mètres, et orientée du Nord-Est au Sud-Ouest, est située au nord-est de Dole. Ce massif boisé, composé de roches primitives, granitiques principalement, forme un véritable îlot contrastant d'une manière remarquable avec les terrains jurassiques qui l'environnent.

De la comparaison entre les terrains de la Serre et ceux des Vosges et du Morvan, les géologues ont conclu que la montagne de la Serre constitue un trait d'union reliant les Vosges au Plateau Central.

La composition du sol, qui tranche d'une façon si remarquable avec celle des régions environnantes, a pour résultat une flore, sinon toute particulière, du moins rappelant celle de la Bretagne.

En raison de sa constitution géologique et de sa flore, la Serre a été un sujet d'études pour de nombreux savants, surtout franc-comtois.

Ce n'est pas à ce point de vue que nous nous sommes placé en écrivant cet article; nous avons seulement voulu rappeler que, parmi les roches de la Serre, l'une d'entre elles a été l'objet d'une exploitation industrielle pendant des siècles et montrer comment cette industrie jadis prospère s'est éteinte.

Au nombre des roches affleurantes se remarque dans le terrain de Trias, lequel occupe une bonne partie de la superficie totale, l'arkose, qui présente une grande analogie avec le grès vosgien. Cette roche constitue des bancs de 30 à 70 centimètres d'épaisseur, séparés par de minces couches de grès à grains fins. La puissance de ces bancs superposés est de 15 à 20 mètres

Dans une région étendue dont la Serre est le centre, il n'est pas une station de l'époque dite néolithique ou de la pierre polie -laquelle a pris fin 2000 ou 2500 ans avant notre ère- qui n'ait livré au préhistorien des blocs de cette roche utilisés, après préparation, comme polissoirs d'outils ou meules à broyer le grain. Nous voilà donc en présence d'une industrie -à la vérité rudimentaire- qui est, avec celle de la céramique, la plus ancienne de notre pays.

L'extraction des blocs d'arkose se faisait sans doute, à l'origine, un peu partout, mais lorsque, un peu avant l'arrivée des Romains, eut lieu en Gaule l'introduction des moulins à bras, les chantiers paraissent s'être groupés en deux points: vers le village de Serre-les-Moulières et surtout au point de rencontre des territoires des communes de Frasne, Moissey, Menotey et Gredisans.

Après la conquête romaine, une voie s'embranchant à Dole sur la grande voie de Chalon à Besançon se rendait, par Jouhe, à ces dernières carrières où furent, dit D. Monnier (Annuaire du Jura, 1855, p. 161), «trouvés des ustensiles à l'usage des Romains» et allait, près de la bourgade dont on voit au territoire de Dammartin les ruines dispersées sur une grande étendue, rejoindre une autre voie importante, celle de Pontailler à Besançon. Les ateliers de taille se trouvaient ainsi en communication, par Dole avec Tavaux, noeud des voies de la région et par Dammartin, avec Besançon et les pays au delà de la Saône et de l'Ognon.

Lorsqu'au Moyen-Âge fut adaptée aux moulins la puissance motrice des cours d'eau, sur le parcours de toutes nos rivières grandes et petites, même de nos ruisseaux, s'égrenèrent une multitude d'usines à moudre le grain, la plupart fort modestes, comme on peut en juger par les spécimens qui subsistent encore dans beaucoup de petites localités éloignées des villes. Puis survint le régime féodal qui fortifia villes, bourgs et châteaux où, en prévision de sièges, s'installèrent des moulins à bras et à chevaux, lesquels survécurent en Franche-Comté jusqu'à la fin du XVIIe siècle, qui vit notre province entrer définitivement dans le giron de la patrie française. Pendant cette période de douze siècles, les chantiers de la Serre jouirent d'une grande activité, puisque c'est de là que sortirent presque toutes les meules employées dans cette région.

Mais cette prospérité ne devait pas tarder à décliner. Jusqu'à la conquête française, le réseau de nos routes se composait en majeure partie des voies créées pendant la domination romaine. Aussi bien que celles-ci, les rares chemins établis plus tard étaient plus ou moins bien -nous pourrions plutôt dire mal- entretenus, ce qui rendait les transports de marchandises à grande distance difficiles, longs, et par suite dispendieux. La situation allait changer.

Vers 1740, les ingénieurs du roi commencèrent et poursuivirent pendant plus de quarante ans la construction, en Franche-Comté, des grandes artères sur lesquelles roulent aujourd'hui nos voitures automotrices. Les routes nationales de Dijon à Genève, par Dole et Poligny, et de Chalon à Besançon datent du début de cette époque; plus tard se profilèrent les routes de Dole à Gray et de Dijon à Besançon par Pontailler. C'est alors qu'apparurent les rouliers de la montagne jurassienne, les Grandvalliers, qui se mirent à sillonner, avec leurs théories de lourds chariots, les routes de l'Europe occidentale. De ce moment, les meules de Brie vinrent peu à peu supplanter dans nos moulins celles de la Serre.

Vers 1820, les ateliers présentaient cependant encore une certaine activité. Fransquin, dans ses Notes topographiques et historiques sur Dole et son arrondissement, paru en 1822, écrivait (p. 189) que les meules de la Serre se vendaient dans l'arrondissement de Dole «et autres», où les meuniers les préféraient à d'autres et que «ce commerce occupe un grand nombre d'ouvriers et fait circuler l'argent». A partir de ce moment, la décadence se précipite. Rousset, en 1855 (Dictionnaire des communes du Jura, IV, p. 221), dit que l'extraction des pierres meulières «a été à peu près abandonnée depuis quelques années». Au commencement de notre siècle, un seul ouvrier travaillait encore à la carrière d'arkose de Moissey et fournissait des meules pour le broyage des terres à la faïencerie de Nans-sous-Sainte-Anne. «De nos jours, avoue Ed. Guinchard en 1913 (Monographie de Moissey, p. 47), la carrière est presque abandonnée; on n'en extrait plus que quelques pavés».

Aux carrières de la Serre, on ne façonnait pas seulement des meules et des pavés, mais aussi des croix, des bornes, des auges, des marches d'escalier et des moellons de construction. Disons quelques mots des premières.

Avant la Révolution, de nombreuses croix en pierre meulière s'érigeaient sur le territoire des communautés du pourtour de la Serre. On en voyait aux entrées des villages, aux bifurcations de chemins et aux points où ceux-ci changeaient de territoire. Beaucoup d'entre elles ont disparu depuis ; il en subsiste néanmoins encore un certain nombre notamment dans les communes de Montmirey-Ia-Ville, Peintre, Frasne, Chevigny et Menotey. Toutes sont établies sur un même modèle présentant un caractère archaïque. Voici la description de l'une d'elles située près de Menotey, non loin de l'entrée de la forêt de la Serre, sur la voie romaine qui passe aux carrières.

Son socle est une meule de 0,80 m de diamètre et de 0,30 m d'épaisseur. La croix, de 1,14 m d'élévation, est plantée en son centre. Les bras et la branche verticale supérieure ont mêmes dimensions et, par des courbes de grand rayon, vont en s'élargissant à partir de leur commune origine: il en est de même de la branche verticale inférieure, sauf qu'elle est de plus grande longueur. A cette exception près, l'aspect offert est celui, en plus léger, d'une croix de Malte, forme qu'on ne rencontre nulle part ailleurs dans la région.

Peu de mois avant la dernière guerre, nous avons visité la principale des carrières d'arkose, entre Frasne, Moissey et Menotey. Elle s'étend sur une superficie de plusieurs hectares parmi des arbres maigres et clairsemés à cause du manque de terre végétale. Sur ce terrain, tout en trous et en protubérances, où foisonne la vipère, se voient encore, parmi des monceaux de déchets de taille, de petites meules de moulins à bras, rebuts de fabrications séculaires. Un tas de moellons au bord du chemin indique seul qu'un être humain vient parfois ouvrer en ce lieu solitaire.

Julien FEUVR1ER, Conservateur du Musée d'archéologie de Dole.

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Marcel Richard et Claude Zominy à l'ouvrage. image ©Michel Delhay-2004.

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autres pages consacrées aux croix pattées

1. un article de Georges Bélard, maire de Frasne

2. les croix pattées, selon François Rover et Julien Zominy, à Frasne-les-Meulières

3. les croix pattées, le point de vue de Jean Michaud, de Brans

4. les croix pattées de Frasne-les-meulières, en images, par Christel Poirrier

5. le retour de la la croix pattée de Moissey, au chevet de l'église, par Christel Poirrier

6. les croix pattées d'Offlanges, en images, par Christel Poirrier

7. l'article de Julien Feuvrier, 1920
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8. les croix pattées du pourtour de la Serre, une autre hypothèse, par Christel Poirrier

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7. l'article de Julien Feuvrier, 1920

8. les croix pattées du pourtour de la Serre, une autre hypothèse, par Christel Poirrier
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9. les Croix Pattées, de Jean Michaud, in "Trame de vies", bulletins 19, 20 et 21 de la Maison du Patrimoine d'Orchamps

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