Jeanne Zocchetti est née le 18
mars 1926 à Amange [et
décédée à Auxonne le 13 juin
2009]
- de sa mère Louise Juliette Olga
Ponnelle (née en 1899 à
Serre-les-Moulières,
décédée le 2 juin
1974).
Mon papa, Jean Zocchetti, avant d'intégrer
définitivement la France y était
déjà venu (la première fois à
8 ans), car mon grand-père venait tous les ans
faire du charbon de bois à Salins avec ses
enfants, pendant les automnes et les hivers. Jean est
arrivé ensuite, seul en 1922. Il avait fait la
guerre de 1914, il était de la classe 16.
Il a travaillé comme maçon chez
Poseta à Orchamps, chez Ocler et chez Parisot
à Amange.
Ma maman avait une tante à Orchamps, et
c'est en allant lui rendre visite que elle et papa se
sont rencontrés. Ils se sont mariés
à Amange en février 1924.
Nous sommes arrivés à Moissey parce
que mon papa a acheté, en 1926, la maison (AB 166)
à la soeur de Suzanne Thomas, épouse
Barbier. Plus tard, en 1943, il achètera le petit
morceau en face qui devait appartenir à Mme
Bon.
Quand nous sommes arrivés à Moissey,
j'avais 3 ans et demi, c'était en décembre
1929, c'était en même temps que
démarrait la carrière de Marcel
Téliet.
Mon papa s'est fait naturaliser en 1932 et moi, je
suis entrée à l'école à 5
ans, auprès de Mme Mourin, au
rez-de-chaussée de l'école des petits (AB
436), puis auprès de Mr Mourin, dans l'immeuble
mairie (AB 191), pendant une année, puis ensuite
avec Mr Lesnes, jusqu'à mon certificat que j'ai
passé et obtenu avec mention Bien, à
l'âge de 12 ans.
J'aurais dû faire ma communion avec
Léonide Richard, mais il est
décédé, ce qui fait que nous avons
reporté la cérémonie à
juillet 1938, avec le curé de Menotey. Puis est
arrivé l'Abbé Grandvaux.
Après avoir quitté l'école
primaire, j'ai suivi les cours de l'école
universelle, par correspondance, mais toute seule,
c'était vraiment très difficile, bien que
m'étant assuré le concours du vieux Docteur
Claude Simeray (dans les années 42 et
43).
Essentiellement, j'étais à la
maison, au jardin, à la vigne et aux
chèvres. J'ai fait un mois de stage à la
poste de Moissey avec Mme Saturnin, puis j'ai fait le
ménage de la nouvelle école entre 1958 et
1962.
La guerre de
1939-1945.
La
débâcle de 1940.
En 1940, mon papa est parti
le 2 mars, malgré son âge. Il a d'abord
été affecté 3 semaines à
Lons-le-Saunier, puis à Dole, puis à
côté de Lourdes. Les Allemands sont
arrivés le 15 juin 1940. Mon papa est revenu au
bout de 7 mois, c'est à dire en septembre
1940.
Au moment où tout le
monde s'est affolé, j'ai fait partie avec ma maman
du convoi conduit par Marcel Schorsch, dans un camion de
carrière de l'entreprise
Téliet.
D'abord, nous avons dormi
dans une cure, à Saint-Jean de Losne. Cette
nuit-là, je la revois bien, la Lili [Lili
Raposo] n'arrêtait pas de marcher. On a
continué la route. On a franchi le pont à
Paray-le-Monial et là on s'est fait bombarder. Ils
visaient le pont. On s'est réfugiées dans
un abri. Heureusement, on nous a aidées, ma maman
et moi, à descendre de la benne du camion.
Là, on aurait pu se faire tuer cent milliards de
fois. Il en tombait du ciel, c'était affreux, et
le bruit, c'était la fin du monde, on avait
peur.
Nous avons terminé
à Lunaud, dans une ferme, on nous donnait à
manger et on dormait sur la paille.. On est
restées 8 jours.
Au moment de quitter le
village, on avait lâché nos lapins pour
éviter qu'ils meurent de faim, pas de chance, un
autre lui, avait lâché aussi son chien. Mme
Fidalgo, avec son mari Casimir, étaient
restés à Moissey. Ils habitaient rue haute,
dans la maison des Millière (AB 246). Elle, elle
allait à l'épicerie de Delphine Thomas et
lui, il s'occupait de Carrières à
Frasne.
Quand nous sommes revenus,
il n'y avait aucun Allemand ici. A la radio, on nous
avait rebattu les oreilles "Surtout ne partez pas". Ils
avaient raison, en partant, nous allions à la
mort.
L'occupation.
Des Allemands, on n'en
voyait pas tellement. Il y en avait là, à
côté, chez Ugrinsky, c'était le
maire, Ernest Odille, qui les plaçait. Il en avait
mis au château Masson, au Croûtot [chez
Petiot]. Ceux d'à côté, il y en
avait un qui jouait de l'accordéon, toujours le
même air, c'était « j'attendrai,
le jour et la nuit...» J'en ai vu des Allemands, qui
pleuraient d'être ici, expliquer qu'ils avaient une
femme, des enfants, là-bas.
Mon papa ne manquait pas de
travail dans la maçonnerie, mais il n'y avait rien
à manger. Un jour, il s'était fait payer
avec du blé, on l'avait moulu chez Maurice Besson,
dans la maison du bout, à droite, en allant sur la
Carrière (AB 402).
Une fois, ma maman avait
porté du tabac, car mon papa ne fumait pas, au
meunier de Montrambert, qui s'appelait
Lépaté, en échange de semoule de
blé. C'est Monsieur Dubuc, qui s'occupait d'une
sablière, mais surtout de bois, qui l'avait
ramenée chez nous. Mon papa allait quelquefois
chercher du sable chez Dubuc [dans les bois
appelés d'abord Matherot, puis Dubuc, AC
45].
On faisait griller de l'orge
en guise de café.
La
libération.
Si l'occupation a
été relativement calme, il n'en fut pas de
même à la libération. C'est la fille
Lormet qui a sauvé le village de l'incendie. Ils
étaient toute une armée, avec des camions,
des jeeps, des bidons d'essence, et si elle n'avait pas
été là pour parlementer en allemand,
on était tous fichus.
Ça, c'était
après la mort des 2 FFI, donc entre le 7 et 9
septembre 1944.
Je ne me rappelle pas de la
cérémonie d'obsèques des 2 FFI, mais
je me rappelle d'être allée les voir
à la salle Saint-André. C'était
horrible.
Un jour qu'une colonne
passait dans la grande rue, 2 FFI sont descendus de la
Craie avec des fusils. Mais notre voisin M. Mourlin a
dû les dissuader d'agir et ils ont re-filé
dans la Craie. Heureusement!
Le jour de la
libération,
C'est là que le
gendarme Michel, de la Gendarmerie de Moissey a perdu la
vie, en pavoisant trop tôt sur sa moto. A
Montmirey-le-Château, ils ont dû le voir
arriver de loin et ils lui ont tiré dessus. Ils
l'ont tué.
J'étais là
quand il est parti à moto. Sa femme a tout fait
pour l'empêcher d'aller. Mais il était
décidé. Elle aurait dû lui crever ses
pneus.
Ce jour-là, certains
sont montés au clocher, jusqu'au "balcon" et ils
ont fait la ronde en chantant. Les cloches ont bien
sonné.
Moi, je suis tout simplement
allée à la vigne avec ma maman, on
était tous heureux.
La Gare et le Tacot.
Ah, le petit train, ça c'était bien.
J'aimais le prendre. Nous allions à Dole avec ma
maman, nous allions souvent à la quincaillerie
pour acheter du matériel pour mon papa, par
exemple des clous, ou d'autres choses comme
ça.
Le lavoir des Gorges.
L'eau était si propre que certaines y
emmenaient leur linge "sec".
Je l'aimais bien ce lavoir, mais c'était
loin. Son plus gros avantage, c'est que, comme il
était sur le ruisseau des Gorges, l'eau
était en permanence renouvelée. De plus,
c'était de la bonne eau, comme de l'eau de pluie.
J'y allais avec une remorque. Une fois, j'y ai vu Mme
Chauvin, la mère du maire actuel.
Ce lavoir a dû être
démonté sous le mandat de Maurice Besson ou
de Léon Désandes. La fontaine
derrière l'église a été
démontée, ainsi que le gros abreuvoir de la
rue haute. Celui-là, c'est mon papa qui l'avait
construit, solide, armé. Quand la machine est
venue pour le détruire, mon papa a dit qu'ils n'y
arriveraient pas, mais la pelleteuse n'en a fait qu'une
bouchée.
On a détruit tout ce qui était
beau!
La Carrière des
Gorges.
Il y avait là un camp de prisonniers, mais
ça c'est vieux, il y reste encore des murs. Je
n'ai jamais vu de rails à cet endroit. J'y allais
assez souvent pour faire brouter mes
chèvres.
La scierie-saboterie.
Là en bas, je la connaissais. Le
père Boivin y travaillait. C'était la
Marguerite, la belle-fille, qui dirigeait le monde dans
cette entreprise. Le Père Béjean, Firmin,
il est mort dans notre champ, à la Craie. Il
aurait tiré un lièvre, et d'émotion,
il serait mort subitement.
D'après Albert Patin, un voisin
bûcheron qui venait lire le journal chez nous le
soir, c'est les Béjean qui auraient eu la
première auto à Moissey.
Bilan.
- Le meilleur du siècle, il faudrait que je
réfléchisse.
- Le pire, ce sont les décès de mes
parents, et de mon jeune locataire, Claude Violet, qui
était si gentil et qui est mort d'un seul coup le
mercredi 23 Août 1995.
propos recueillis par Christel Poirrier
à moissey, le jeudi 15 août 1996.
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