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ville
de lyon et village de
moissey
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camille
jourdy et rosalie
blum
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ou
bien
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rosalie
blum et camille
jourdy
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microscopie
de l'une et pas de
l'autre
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2016. Cette
année-là, alors que j'oscillais
entre Houellebecque et Alphonse Daudet, j'ai
découvert un drôle de livre,
disons, du même coup et par
là-même, un drôle d'auteur.
Il s'agissait des oeuvres d'une jeune doloise
qui s'était mis dans la tête de
devenir illustratrice et qui finalement
était parvenue à ses fins. Il y a
lieu donc de dire, une jeune auteure, puisque
c'est aujourd'hui ainsi qu'on doit
dire.
Elle avait illustré un
peu tout azimut, comme on dit, d'abord du
côté de l'enfance, car on pense
d'abord à l'enfance pour ce genre
d'activités, avec ses pastels doux, la
terre et ses animaux, la mer et ses bateaux et
ses poissons, le ciel et ses oiseaux, ses ours
et ses étoiles polaires...
En une décennie
sortirent de ses cartons une vingtaine
d'ouvrages (24), la plupart destinés
à l'enfance, certains en collaboration,
d'autres en solo, et pour la plupart,
très aboutis. Un jour elle commit un
drôle d'ouvrage, qu'elle portait en elle
depuis bien longtemps (4 années). Je dis
en elle, en réalité, c'est
immédiatement sous le diaphragme qu'on
porte, parfois pendant des années, une
telle entreprise. Une histoire qui contenait une
énigme. Une histoire avec des
méandres et des secrets.
Au fond, bien des histoires
se valent, mais comment la raconter,
voilà qui est autre chose. Autre chose et
singulier.
Un jour, pas le même
[tout de même], un bouquin de deux
livres (pounds) éclôt dans son
atelier... après plusieurs années
de gestation (4). C'étaient trois bandes
dessinées réunies en une seule,
c'est-à-dire trois album réunis en
un, qui lui apportèrent subitement une
belle notoriété: Rosalie Blum
(prononcer Bloum), la totale. Arrivèrent
dans la foulée des interviews, des
citations, des prix, des visites dans les
écoles. Enfin tout ce dont elle et la
presse furent capables.
La chose plut (verbe plaire)
tellement qu'on la traduisit en espagnol, en
italien et même en allemand. Je n'ai pas
vu si une version anglaise avait vu le jour...
Peut-être avait-on jugé que les
Brichtons n'avaient pas la finesse au flair que
l'ouvrage exigeait. Tout de même, le
marché américain, c'est du monde.
Et le russe aussi, sans parler du chinois
ni de l'arabe ni de l'indien.
Un jour, cette fois c'est un
autre jour, j'entendis dire que le jeune Julien
Rappeneau s'était saisi de l'affaire pour
en faire un film cinématographique. Chez
les Rappeneau on est à peu près
tous dans le cinéma et la musique. Cette
affaire me mit la puce à l'oreille et
même bien plus que la puce. La puce et son
clan.
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J'ai donc un matin couru -le
derrière bien posé devant mon
Macinstosh- sur un gros site de vente et je me
suis procuré les oeuvres majeures de la
dame et en même temps, j'ai souscrit
à l'achat du dvd éponyme. Ainsi
pour moi la question "le livre ou le film" ne
s'est pas posée. Et pour finir,
après avoir fait connaissance avec le
livre et le film, je peux dire que les deux
m'ont satisfait et même ébloui,
bien qu'on y ait pas relaté les choses de
la même manière.
Le cinéaste avait fait
un bon petit film, bien arrangé, bien
monté, avec des segments anachronisants
[des feed-backs], enfin tout pour bien
faire, avec des comédiens qui se
trouvaient bien là-dedans et même
qui s'y vautraient. Une sorte de mignon petit
polar bien conduit, tourné à
Nevers au lieu de Dole, la Nièvre
remplaçant le Doubs, sans que ça
ne gêne personne.
Le film commence au
début et la fin nous apporte tout ce
qu'on voulait presque nous cacher tout au long
du récit. Tout un film gentil et tendre,
avec des douleurs en sous-sol qui ne
gâchent pas le plaisir, mais qui
émergent de temps à autre comme
les narines des hippopotames. Une odeur de fond
tragique du roman nous est
révélée à la fin, et
d'une façon telle qu'on peut
aisément imaginer que le récit
redémarre ici avec les
événements mis au jour et mis
à jour, à la fin du film [ce
pourrait être l'occasion de réparer
les erreurs judiciaires s'il y en avait, enfin,
Si besoin était]. Le film
était servi, et bien servi, par des
comédiens professionnels qui jouaient
Vincent Machot et sa mère Simone, ainsi
que Rosalie et sa nièce Aude. Superbes.
Tous. Toutes. Ni plus ni moins.
Mais le livre, c'est tout
autre chose, et le cinéaste, s'il l'avait
voulu, aurait pu un peu se casser les dents sur
la substantifique moelle du bouquin. Julien
Rappeneau a eu l'intelligence de ne pas aller
fouiller trop en profondeur et il a filmé
suivant les canons de l'époque, et avec
plaisir et méticulosité. Juste
assez pour qu'on en ait (largement) pour nos
sous.
Mais le livre c'est tout
autre chose. Moi qui ai longtemps
rêvé d'être écrivain
d'abord, puis un écrivain imprimé
mais pas publié, j'ai pu prendre du temps
et du champ, avec mes neurones chéris,
consacrés à revoir le monde tel
qu'il pourrait être,
quand, sans crier gare, un
livre jaillissait qui avait dessiné la
vie telle que je la ressentais. Il y avait donc
sur la terre un dessinateur qui voyait le
chapelet des jours comme avec mes propres yeux.
Ce dessinateur était même une
dessinatrice, ce qui n'est pas rien. Il y avait
tout ce qui manque ailleurs, les
cheminées, les chéneaux, les
descentes d'eau, les fils à
étendre le linge, les lampadaires, les
poteaux électriques et
téléphoniques, des escargots, des
cageots de tomates, un rat en pension, enfin,
tout tout y était, même les
vide-greniers qu'on rencontre dans tous les
intérieurs, des chats les chiens et tous
les objets domestiques ou bientôt
apprivoisés.
Les comédiens du livre
avaient des yeux et des fois guère de
bouche. Personne n'était irrespirant dans
les rectangles de la sacro-sainte Bande
Dessinée. Quand la fête
était bonne, la page était cousue
d'angelots ou de fées à
moitié pas habillées. On changeait
de chapitre sans préavis, au début
d'une page de gauche on entrait dans un autre
vif du sujet. La mère du personnage
principal (coiffeur de son état) passait
son temps dans un petit théâtre de
marionnettes sournoises. La petite Aude
colocatairait avec un phénomène
qui avait tout dans la tête et rien dans
les poches... Que de délicieux moments
à nous faire vivre. Un crocodile, un
lion... des Tampax® d'occasion pour
appâter et rattraper le croco. Un gentil
polar sans cadavre apparent, les seuls trucs
bien cachés, les sentiments. Bien
cachés. Enterrés profond comme des
oeufs de tortue, mais bien vivants.
De l'humour comme dans les
services secrets, joliment planqué dans
les recoins pour ceux qui sauront le
débusquer, comme par exemple la sonnerie
du téléphone sonne là
où il est et aussi dans le miroir. De
l'humour de pince sans rire, clairement
destiné (je pense, je crois, je suis
sûr) à des amateurs genre gourmets.
De l'humour pour les connaisseurs.
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Je suis né à
l'époque de Pilote -mâtin, quel
journal- qui accueillait dans ses rangs une
collaboratrice, Claire Brétécher,
qui dut pendant un temps essuyer l'humour
graveleux de ses coreligionnaires. Longtemps
après, c'est-à-dire au jour d'hui,
beaucoup de femmes dessinent et c'est une vraie
extase: non pas qu'elles dessinent mieux que
leurs frères de crayons, mais surtout
qu'elles ont une vision des choses qu'on croyait
inexistencielle. Une perception du monde,
doit-on dire: une perception d'abord, une vision
ensuite. De toutes façons, il y a
maintenant des femmes partout, pas seulement
dans les églises, les couvents, les
écoles et les hôpitaux,
Mais aussi à la SNCF,
chez Air France, dans la Marine Nationale, dans
les hélicoptères, et la Nasa prend
bien soin d'en envoyer, de temps à autre,
une ou deux dans l'espace, afin que le MLF ne
vienne pas sans arrêt dréclamer
à tout va (ou à tout
crin).
J'avais vu le louque de
l'écrivaine, c'est ainsi que je
l'étiquette, dans le seul hebdomadaire
qui paraît tous les jours, le
Progrès de Lyon; Lyon c'est la ville, le
Progrès, c'est façon de parler.
Une sorte de Madone comme nous en donne l'Italie
du Nord et aussi l'Italie du Sud. Cheveux noirs,
yeux noirs, pull noir, raie blanche et dents
blanches, raie impérativement presqu'au
milieu... Longueur des cheveux, variable au
cours des saisons, mais dans son
écriture, toujours un chignon vite-fait,
avec deux aiguilles à tricoter les
chaussettes en travers. L'autrice se dessine
régulièrement, en disant bien
sûr que ce n'est pas elle. Dans ses gros
livres, on la voit même en tenue
légère en entrant ou en sortant du
bain, lorsqu'elle se regarde dans la
glace.
Dans Rosalie Blum, l'oeuvre
qui nous occupe aujourd'hui, et dans Juliette,
et dans les Taliatelles, on la reconnaît
très bien ainsi que certaines personnes
de son entourage, je n'en dirai pas plus. Mais
quand la presse l'interroge, elle se
défend d'avoir évoqué ou
dessiné des familiers de sa famille ou de
son second cercle. Comme bien des romanciers,
elle est à la fois nulle part et partout,
dans différents personnages, comme
ça, bien à l'abri,
tranquilémile. Quoiqu'on dise, quoi qu'on
fasse, dans ces affaires, c'est elle, Aude, la
plus belle, d'une beauté un peu
grave.
Si les visages
évoquent relativement les personnages
d'Hergé, il en est autre chose pour ce
qui est des attitudes corporelles des
personnages. Leurs postures sont ce qu'on
appelle littéralement "croquées",
ça va de l'attitude les gens jambes
pliées sous soi jusqu'au haussement
d'épaules, ce qui me fait dire qu'on a
là, non seulement un boulot de
dessinateur, mais un travail d'écrivain
au long cours, au long récit inventif,
candide et tendre. En tout cas, un récit
à voix basse.
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Une autre raison qui m'a fait
"me pencher sur l'écritoire de
l'illustratrice", c'est qu'elle est
tuyautée avec des gens que je connais,
installés dans le même village que
moi. Ces gens-là ne sont pas comme les
autres et offrent toujours matière
à converser. Ce sont des descendants plus
ou moins notoires des soixante-huitards du mois
de mai du même nom, en tout cas, si la
filiation n'est pas parfaitement établie,
leur esprit écolo-frondeur demeure, un
demi-siècle plus tard. Avec ces
gens-là, on avait, on a, on aura toujours
grand plaisir à se rencontrer bien que
nous ne nous voyons pas souvent.
La recherche sur la toile
mondiale des "livres" d'Aude m'apprit que la
presse spécialisée ou pas avait
bien repéré qu'il y avait du
nouveau dans le Jura de la Rhône-Alpe: cet
esprit fécond n'avait pas
été rangé dans le tiroir
des BD-istes, mais celui des romanciers
graphiques. Le mot romancier m'allait fin bien
alors que le mot graphique, bien
qu'étymologiquement approprié, me
rappelait trop les exploits des physichiens et
autres bestioles bachelières plus 4, ou
5, ou 6... (c'est les années).
Pour moi, c'était de
"la prose illustrée", qui ne devait pas
(pas que) être saluée par
Angoulême, mais aussi par le Renaudot,
pour le moins. Les premières fois que
j'avais lu Rosalie Blum, je me trouvais
incapable de dire, même à gros
traits, de quelle histoire il s'agissait. A
chaque lecture, je m'arrêtais sur le modus
operandi que je trouvais être une
innovation majeure dans le monde de la
littérature. Comme un Balzac, Aude nous
promenait avec élégance dans les
méandres de la journée humaine
comme dans les rues de Dole. Pour moi, elle
appartenait au monde des écrivains, des
écrivains qui aiment dessiner bien
sûr.
Elle s'était
affranchie de la BD née en 1908, case
commentée par case commentée, un
peu l'ancêtre du roman photo. Nombreux
sont ses collègues qui dessinent encore
comme au temps du Sapeur Camember, et qui,
à force de faire de beaux dessins,
finissent pas passer la rampe.
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Quand on ouvre Rosalie
n'importe où au milieu des 300 pages, on
est saisi par la page envahie de dessins, petits
ou gros, avec des couleurs attirantes, dans une
vraie harmonie où je dirais que c'est
là qu'il est le féminin. Au milieu
de ce festival de tracés et de couleurs,
il y a un texte, manuscrit, écrit petit,
comme celui d'un commentateur qui se voudrait
être en retrait et qui nous dirait dans un
clin d'oeil, "tu vois, je témoigne,
j'invente rien". L'auteur n'est pas dedans ou du
moins pas très dedans (?), elle
regarde... et elle raconte. Et c'est cette
façon de nous la dire, l'histoire, qui
est magique.
Je pense que ce style
littéraire va apporter à la
littérature, et que vraisemblablement il
sera copié, et il sera difficilement
égalé car le talent de la
personne, il est bien clos dans sa tête et
bien malin celui qui pourrait s'en emparer. Et
il est à l'évidence plusse dans sa
tête que dans sa main.
En tout cas, il y a
peut-être une institution prête
à s'en repaître c'est l'Education
Nationale. Des enseignants ingénieux
pourraient tirer grand profit de cette
création:
- analyse de l'oeuvre,
résumé, découpage,
rédaction,
- copie de personnages,
créations de nouveaux,
- invention de dialogues et
mise en scène avec un
théâtre de marionnettes,
- marionnettes à
fabriquer, à faire jouer, construction de
décors et d'un castelet,
- à un stade
supérieur, exploitation de tout cela pour
faire jouer des élèves sur les
planches,
Pour les fondus
d'audio-visuel:
- tri et reprise des images
et des dialogues les plus
éloquents,
- photo-scannage des images
élues,
- construction de diaporama,
dialogué/musiqué,
- publication de vidéo
sur les sites adéquats.
Pour les plus
fous:
- s'inscrire chez Pixar pour
construire un dessin animé.
ou bien traduire la Rosalie
en langue des signes.
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troisième
partie
Et là où je
veux en venir, c'est ici et maintenant,
enfin.
A force de lire Rosalie, et
de toujours m'émerveiller devant les
mêmes pages, ma
colocataire-devant-le-maire m'a dit: "mets-donc
un signet".
Et comme je n'en avais pas,
elle a déglingué avec ses grands
ciseaux une boîte de biscottes LU
(Lefèvre Utile, groupe Mondelez, est le
pape de toutes les biscottes) pour m'en faire un
signet (en vrai, six).
Comme j'étais ravi de
cette opération opportune, je lui dis
malencontreusement qu'il m'en faudrait d'autres,
car j'ai toujours plusieurs bouquins en
route.
C'est ainsi qu'elle
acheta une brouette de boîtes de
biscottes, douze pour le prix de dix, (72
signets), et que pendant trois mois, que j'ai
été aux biscottes tous les
matins.
Alors forcément,
équipé de la sorte, je vais enfin
pouvoir lire la fin de Rosalie, et plusieurs
fois, bien sûr.
Moissey le
7 septembre 2016, Christel Poirrier
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Illustrations
Dans ce vivier que
représente le travail de l'auteure, des
milliers dessins, je me suis
échiné à en trouver un ou
deux qui appuieraient mon propos.
Hélasse, j'en ai
trouvé plus d'une
centaine
Alors j'en ai sacrifié
des tonnes et je n'ai gardé que
ceux-là
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