Le Chantier de Jeunesse de
Crotenay, Jehan de Vienne
période
1940-1942
Le témoin qui m'a
renseigné est né en 1929 à Crotenay,
Jura, sur le plateau de Champagnole, village à la
fois au bord de l'Ain et à proximité de
vastes forêts. Crotenay était en zone libre
(voir la carte) et Champagnole (à 8 km)
était en zone occupée, la ligne de
démarcation, c'était la petite
rivière, l'Angillon.
Le 30 Juillet 1940, le
Maréchal Pétain nomme par décret le
général Joseph de la Porte du Theil
commissaire général chargé du
regroupement des jeunes démobilisés des
contingents 39/3 et 40/1.
La France Libre est
divisée en 5 provinces, chacune sous
l'autorité d'un commissaire en chef, dont l'une
"Province Alpes-Jura" contient le Jura donc
Crotenay.
Le site de Crotenay accueillera
un des 40 groupements métropolitains
destinés à accueillir des jeunes qui
auraient été environ 3000, sous le nom de
Groupement Camp de Jeunesse n°2 Jehan de Vienne, nom
d'un célèbre amiral né à
Mirebel. La plupart des baraquements ont
été construits sur le modèle Adrian,
ingénieur militaire déjà illustre en
1915.
Comme habitant du village et
écolier de l'école primaire, notre
témoin a vécu l'événement de
très près.
"Crotenay était le
site principal, mais d'autres unités, qui en
dépendaient, étaient installées
alentour, à Molain, Besain, Montrond et Pont du
Navoy (infirmerie), Le Fied etc... L'administration de
l'ensemble siégeait à Crotenay, dans un
baraquement, près de notre école. A la
récréation, nous allions rôder autour
de ce bâtiment et des cuisines, il y avait des
fûts de 200 l qui contenaient encore un peu de
crème de marron qui faisait nos
délices.
Dans notre village, il
pouvait bien y avoir une cinquantaine de bâtiments.
Mon père et mon oncle ont construit deux
bâtiments en briques. Les autres étaient des
constructions en bois montés sur une assise en
béton (modèle Adrian).
Je pense que Crotenay a
été choisi parce qu'il offrait à la
fois la proximité de la rivière (l'Ain) et
une forêt particulièrement bien fournie. A
l'origine, ces camps devaient servir d'alternative au
service militaire et devaient former les jeunes au
civisme, au travail, au sport. Ils n'avaient
évidemment pas été conçus
pour alimenter la résistance, et dès que
ces chantiers ont été fermés le 11
novembre 1942, au moment où l'occupant a envahi la
zone libre la destinée des jeunes ne devint rien
d'autre que le STO (Service du Travail Obligatoire).
Naturellement, ça n'a pas plu à tout le
monde et un certains nombre d'individus ont rejoint les
maquis qu'ils ont pu.
Le directeur du camp de
Crotenay, le commandant Aluan Henri de Fumichon a
été déporté, ce qui montre
bien que l'Armée d'occupation avait bien, elle
aussi, une idée de ce à quoi pouvait servir
ces chantiers.
Les jeunes avaient comme
obligation principale d'exploiter la forêt pour son
bois de chauffage et des activités sportives: il y
avait un terrain de sports sur lequel les jeunes jouaient
au foot.
Ils étaient
habillés en vert-clair, avec des bérets.
Ils ne paradaient pas et ne manoeuvraient pas, mais le
soir, ils apportaient une belle animation dans le
village, d'ailleurs une vingtaine d'entre eux ont fait
connaissance avec l'habitant et ont plus tard
épousé des filles du
village.
Les baraquements
étaient bien équipés,
électricité avec des groupes
électrogènes, pompes électriques
pour l'adduction d'eau.
Ma mère et ma tante
faisaient quelques lessives pour les jeunes qui
étaient plus fortunés que les
autres.
En 1944, en septembre,
certaines baraques ont servi à emprisonner une
centaines de personnes accusées de collaboration
ou bienveillance avec l'occupant.
En 1945, les bâtiments
ont été loués par les Faucons
Rouges, groupe
de communistes
(1).
L'emplacement des
baraquements a été, plus tard,
occupé par les maisons Pernot, Ayel puis une
colonie de vacances de
Châtillon-Commentry.
le massacre du 5
août 1944.
Le 5 août 1944, comme
je venais de m'embaucher à la scierie Pouillard
j'avais 15 ans, mais je faisais plus grand que mon
âge, j'ai été pris dans une rafle qui
s'était dirigée sur la scierie. Il faut
dire que des maquisards empruntaient le camion de la
scierie, la nuit, pour faire des sabotages et le
rapportaient le lendemain matin, au tout petit jour. Nous
nous sommes retrouvés une cinquantaine, le long
d'un mur, pendant quatre heures, les mains en l'air. Pour
finir, les Allemands ont brûlé 4 maisons,
ont fusillé 4 personnes et en ont
déporté 2.
On ne peut pas imaginer ce
que c'était, il faut y être
passé.
Moissey, avril
2005.
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