L'archéométrie désigne,
d'une manière générale, toutes les
recherches visant à appliquer des techniques
scientifiques au domaine archéologique. De telles
applications ont pour but de fournir des données
quantitatives et objectives aptes à
déterminer la localisation et l'étendue des
gisements, à faciliter la datation des
occupations, la provenance des mobiliers, la
compréhension des technologies anciennes et
l'environnement des sites.
En France, l'archéométrie liée
aux sciences exactes s'est engagée dans quatre
voies principales:
la
prospection,
la
datation,
l'analyse des
matériaux et
le traitement des
données.
Ces divers types de recherches, auxquelles s'ajoutent
celles qui sont liées à l'environnement
(faune et flore), à l'anthropologie, etc...,
reposent sur la collaboration d'archéologues et de
divers spécialistes au sein d'équipes
pluridisciplinaires. Dans une collaboration
idéale, l'archéologue définit une
problématique: en liaison avec les
archéomètres et selon les
possibilités techniques, un programme de mesures
est arrêté; après sa
réalisation, l'exploitation des résultats
est effectuée conjointement par les
archéologues et les archéomètres,
ceux-ci connaissant bien les limites
d'interprétation. Il serait tout aussi
néfaste à la science archéologique
que l'archéomètre définisse seul ses
objectifs de recherche ou que l'archéologue assure
seul la constitution des échantillonnages ou
l'interprétation des mesures.
Dans le domaine des sciences exactes, même si
la quête de techniques scientifiques par
l'archéologie remonte à un temps
relativement ancien - ainsi pour la préhistoire
européenne -, c'est l'avènement de
nouvelles méthodes d'analyse, de datation ou de
prospection après la Seconde Guerre mondiale qui a
précipité l'éclosion de
l'archéométrie. D'une part,
l'accélération des connaissances des
phénomènes radioactifs a
débouché, en particulier, sur la datation
par le radiocarbone ou par thermoluminescence, sur
l'analyse par activation, etc. D'autre part,
l'amélioration des techniques
radioélectriques et électroniques a permis,
entre autres, la conception d'appareils divers de
prospection, de traitements des données de
base.
Les mathématiques liées à
l'archéologie faisant l'objet d'une
présentation distincte et les sciences
environnementales étant présentées
isolément, seules la prospection, la datation et
l'analyse seront étudiées ici.
La
prospection
La prospection archéologique constitue une
phase préparatoire de toute recherche
méthodique. Bien menée, elle peut apporter
des renseignements assez riches pour permettre
l'économie d'une fouille. Depuis une trentaine
d'années, avec l'apport de la technologie,
l'archéologie fait appel de plus en plus à
des techniques modernes pour détecter, à
partir de la surface du sol, des vestiges enfouis dans le
proche sous-sol. Des mesures effectuées
méthodiquement, la plupart du temps selon un
quadrillage régulier plaqué horizontalement
sur le sol, débouchent sur des cartographies
faciles à lire; généralement, on
établit des courbes de même valeur de la
grandeur mesurée, analogues aux courbes de niveau
en topographie. De plus en plus, ces courbes sont
tracées automatiquement par suite d'un traitement
direct des données enregistrées sur le
terrain.
Les méthodes électromagnétiques
offrent une panoplie large de détecteurs de
métaux - malheureusement utilisés
par les pilleurs du patrimoine national - aux
méthodes utilisant les sources à grande
distance. La plus intéressante est la
méthode Slingram qui permet, comme l'a
montré A. Tabbagh avec l'équipe du
C.N.R.S. de Garchy, de mesurer simultanément la
conductivité électrique et la
susceptibilité magnétique. Elle est
préférable à la méthode
magnétique car elle fournit directement une valeur
de la susceptibilité apparente du sol. Les
radars-sol permettent, quand l'absorption du signal
électromagnétique n'est pas trop forte,
d'avoir une description fine de la structure verticale
des terrains.
En 1946, R. J. C. Atkinson eut le premier
l'idée de recourir au contraste des
résistivités électriques pour
localiser des fossés préhistoriques.
Désormais, plusieurs appareils permettent de
réaliser méthodiquement ces mesures, avec
différentes dispositions quadripolaires des
électrodes. Un courant électrique est
injecté par deux électrodes, et la
différence de potentiel, liée à la
résistivité du sous-sol, est
enregistrée aux bornes de deux autres
électrodes. La mise en uvre est longue et
les résultats influencés par les conditions
climatiques. La méthode est cependant d'une grande
efficacité depuis que l'enregistrement automatique
des données est pratiqué sur des
quadripôles roulants en contact permanent avec le
sol; l'utilisation d'électrodes
électrostatiques (sans contact) ouvre de nouvelles
prospectives d'application.
Dans les années cinquante, le
développement des magnétomètres
à protons atteignant la sensibilité de
0,1 nanoTesla, soit 2 millionièmes du
champ magnétique terrestre (C.M.T.),
M. J. Aitken s'en servit pour l'étude de
structures archéologiques enfouies. En effet,
l'hétérogénéité des
susceptibilités magnétiques du sol et du
sous-sol, étudiée préalablement par
F. Le Borgne, modifie localement le C.M.T. La
mesure précise et systématique du champ
total local permet de détecter ces anomalies,
liées aux structures. Les interprétations
des cartographies sont souvent délicates; mais les
structures d'argile cuite possédant une forte
susceptibilité magnétique, telles que des
fours, sont très localisables avec ces
magnétomètres. Certains appareils
performants atteignent une sensibilité de 0,2
milliardième du C.M.T.
La vulgarisation de l'aviation de tourisme et la mise
au point d'émulsions photographiques très
sensibles dans les domaines visible et infrarouge sont
à l'origine du développement de la
prospection aérienne. Elle trouve un prolongement
plus technique dans la prospection thermographique.
À l'aide d'un scanner analysant le rayonnement
infrarouge du sol, la présence de structures
archéologiques peut être mise en
évidence dans certaines conditions
pédologiques, climatiques et horaires.
La prospection chimique, encore pleine d'avenir, n'a
guère connu de succès que pour la
détermination de zones habitées ou d'aires
de nécropole à partir des cartographies de
sels de phosphore. Des essais ont été
tentés en vue de la prospection
gravimétrique, mais la faible différence
des masses spécifiques et la faible
sensibilité des appareils de mesure limitent son
extension au domaine archéologique.
La
datation
Dans toute étude archéologique, la
nécessité de situer une civilisation, une
production mobilière, des monuments sur
l'échelle continue du temps passé s'impose
fondamentalement. Le classement chronologique
établi à partir de comparaisons
typologiques ou d'observations stratigraphiques
répondait déjà à cette
préoccupation. Les nouvelles méthodes de
datation en laboratoire permettent de vérifier ces
classements, ce qui est d'autant plus important que les
civilisations étudiées sont
« sans texte ».
Pour ce faire, les scientifiques utilisent des
matériaux archéologiques, d'une part
marqués par un fait humain (chauffage, cassure,
mort, etc.), d'autre part révélant
l'évolution interne d'une grandeur
physico-chimique. Deux possibilités existent: ou
la grandeur datante a été autrefois
figée par le fait marquant dans son
évolution, ou elle évolue depuis ce
même fait à partir d'une valeur initiale,
selon une loi mathématiquement formulable. Ainsi,
soit la date de ce fait, soit le temps
écoulé peuvent être retrouvés
avec des précisions inégales, souvent
liées à l'état d'avancement de la
technique.
Dans la datation
archéomagnétique, on utilise les
variations séculaires du C.M.T. Ce champ,
superposition d'un champ dipolaire et d'un champ non
dipolaire à caractère local,
présente en effet des variations aléatoires
de son intensité et de sa direction,
caractérisées par les angles d'inclinaison
et de déclinaison. Dans les argiles cuites,
l'hématite et la magnétite, oxydes de fer,
sont capables, au-dessus de leur température de
Curie (respectivement 675 0C et 565 0C), de
conserver une aimantation thermorémanente
colinéaire et proportionnelle au C.M.T. Si l'objet
n'a pas été déplacé (four,
foyer), la direction du C.M.T. est directement
retrouvée. À partir des courbes
d'étalonnage établies sur du
matériel bien daté, on détermine la
chronologie d'un autre matériel; il s'agit
typiquement d'une méthode de datation
relative.
Dans la
dendrochronologie, la croissance
irrégulière, liée aux conditions
climatiques, des cernes des arbres est exploitée.
Chaque cerne correspond à une année. Pour
tout morceau de bois retrouvé, une séquence
peut être précisée. Si par ailleurs
une courbe d'étalonnage établie à
partir d'autres morceaux bien datés existe pour la
même zone géographique, la datation revient
à chercher la coïncidence de la
séquence avec une partie de cette courbe.
La datation par le
radiocarbone a été
élaborée par Libby en 1946. Le carbone 14
provient de la transformation de l'azote par les rayons
cosmiques dans la haute atmosphère. Ce carbone,
radioactif, ayant une période de 5 730 ans,
est assimilé dans une certaine proportion, en plus
du carbone 12 stable, par les matières vivantes.
Après la mort de ces matières, faute de
nouvelles assimilations, la concentration du carbone 14
diminue exponentiellement, par suite des
désintégrations spontanées. La
concentration relative restante du carbone 14 permet de
déterminer la date de la mort de la matière
organique (bois, cuirs, ossements, etc.). La
concentration initiale de carbone 14 n'ayant pas
été constante dans le temps, des
corrections peuvent être apportées
(calibration) en combinant des études de
dendrochronologie avec la date apparente qui est
donnée par le carbone 14. La concentration du
carbone 14 est mesurée par comptage des
radiations ou, depuis peu, des atomes dans des
accélérateurs.
La
thermoluminescence doit son nom au fait que des
minéraux (par exemple le quartz et le feldspath
dans les argiles cuites) peuvent, lorsqu'ils sont
réchauffés, restituer sous forme de
lumière une énergie stockée. Or tout
chauffage archéologique a ainsi annulé
toute énergie stockée. Depuis ce moment,
une nouvelle énergie a été
emmagasinée, proportionnellement au temps, par
suite des rayonnements internes alpha, bêta et
gamma dus aux désintégrations naturelles
des traces radioactives d'uranium, de thorium et de
potassium. De plus, les rayonnements gamma ou cosmiques
de l'environnement ont contribué au stockage de
cette énergie. La dose énergétique
globale stockée depuis le fait marquant est
déterminée dans un premier temps; ensuite,
à partir de mesures des rayonnements internes ou
des concentrations chimiques, la dose
énergétique stockée annuellement est
calculée. Par une règle de trois, on peut
alors retrouver le temps écoulé depuis le
dernier chauffage ayant atteint 4000 à
500 0C. Dans la méthode D.A.T.E., les
différences de stockage d'énergie dans deux
pièges du quartz sont utilisées.
Pour les obsidiennes, on fait intervenir la
pénétration de la couche hydratée,
proportionnelle au temps, à partir d'une fracture
archéologique. Pour ce même matériau,
mais aussi pour des verres, le dénombrement des
traces de fission spontanée débouche sur
une datation. La racémisation des acides
aminés est employée pour retrouver la date
de vie des ossements. Quant aux minéraux
très anciens, on emploie la méthode du
potassium-argon.
L'analyse
Les premiers outils de l'homme préhistorique
ont été des pierres dont la dureté
permettait d'entamer des matériaux plus tendres.
Avec l'apparition du feu, il sut utiliser les argiles,
les dégraisser avec d'autres minéraux, pour
obtenir des poteries. Des pierres lui servirent à
confectionner les foyers, élever des monuments,
bâtir des édifices. À l'époque
historique, divers minéraux servirent à
l'aménagement des habitats, à leur
décor. Pour couler des métaux tels que le
bronze, le sable fut employé. On comprend
dès lors l'intérêt d'identifier les
matériaux minéraux archéologiques,
d'autant qu'ils sont le mieux conservés.
Parallèlement, les objets métalliques,
outils ou monnaies, offrent un domaine d'étude
similaire, plus limité chronologiquement mais
comportant d'intéressants problèmes
technologiques et économiques.
Il est possible de mettre en évidence des
migrations de populations, des contacts entre des
habitants, des courants de diffusion ou d'influence, des
phénomènes économiques, des
données technologiques, etc., d'autant que les
méthodes les plus récentes d'analyse
atteignent de très grandes sensibilités. Le
développement de l'archéométrie se
relie ainsi à la révolution due aux
méthodes d'analyse physique en chimie.
Pour l'identification d'une provenance,
théoriquement, un matériau
élaboré est comparé à un
échantillon, absolument nécessaire, de la
source présumée. Parfois, à partir
d'une cartographie de certaines données
analytiques, une origine approximative peut être
retrouvée.
Les premiers examens visuels se prolongèrent
par l'usage du microscope optique. Après les
recherches de quelques pionniers, parmi lesquels on
compte S. W. Dugdale en 1656 et Stukeley en 1740,
l'analyse pétrographique s'est
développée depuis le début du
XXe siècle. Parmi les grands succès
des études fondées sur l'emploi de lames
minces figure l'identification, en 1951-1952 par J. Cogne
et P. R. Giot, d'un important lot de haches
armoricaines, taillées dans une dolérite
définie de type A. Consécutivement,
l'atelier de débitage de ces haches fut
identifié à Plussulien
(Côtes-du-Nord), puis fouillé. Devant un
problème d'identification, toute technique
d'analyse suffisamment discriminante peut convenir;
ainsi, les courbes de thermoluminescence ont
été utilisées pour classer en groupe
des pierres marbrières. Depuis une décennie
se dessine une évolution très nette vers
des techniques d'analyse de plus en plus fine. Cependant,
le microscope optique, avec ses actuels
perfectionnements, garde tout son
intérêt.
Une seconde voie consiste à faire appel aux
techniques d'analyse chimique. Par exemple, pour les
obsidiennes où des variations de concentration des
éléments alcalins ou alcalino-terreux sont
observables, l'emploi combiné des analyses
chimiques, des densités et des indices de
réfraction a permis d'obtenir des classifications
significatives. Par ailleurs, l'analyse chimique des
métaux ou de leurs alliages apporte beaucoup
à la connaissance de la métallurgie
antique.
Assez rapidement, les chercheurs passèrent
à l'étude des éléments
à l'état de traces pour une meilleure
caractérisation des matériaux,
minéraux ou métalliques. Désormais,
des concentrations de quelques parties par million (ppm)
peuvent être mesurées.
L'identification d'un objet lithique homogène
à une source géologique constitue le
problème le plus aisé, aucun mélange
ou alliage ne venant compliquer l'interprétation
des analyses. Cependant, il est plus facile de disposer
d'un objet élaboré posant un
problème que d'une mine ancienne reconnue. Dans
les identifications, tout dépend de la dispersion
ou de la concentration des éléments
chimiques à comparer et du nombre
d'éléments examinés, le nombre
variant généralement de 8 à 38. Les
recouvrements, plus ou moins importants, donnent plus ou
moins de signification à la conclusion, encore que
l'archéomètre se méfie des
coïncidences malencontreuses.
Actuellement, diverses techniques, dont
l'ancienneté varie, sont employées pour
résoudre des problèmes
archéologiques. Dans la spectrographie optique
d'émission , l'échantillon
réduit en poudre est vaporisé dans un arc,
l'émission de chaque élément se
traduit par des raies. Depuis le milieu des années
quatre-vingt, des améliorations viennent de
l'emploi de lasers ou de sources à plasma. La
spectrométrie d'absorption atomique est
fondée sur l'absorption sélective spectrale
de la lumière par des atomes libres de
l'échantillon. Quant à la
spectrométrie de fluorescence X , ses limites
de détection atteignent 1 à 6 ppm pour
presque tous les éléments allant du fluor
à l'uranium. Cette méthode est non
destructive, mais il faut des échantillons de
grande taille; les microscopes électroniques et
les excitateurs protoniques permettent toutefois de
réduire les tailles des échantillons.
Enfin, dans l'analyse par activation ,
l'échantillon est soumis à un intense
faisceau, neutronique ou protonique, durant un certain
temps, ce qui produit des isotopes instables de beaucoup
d'éléments. Le spectre de rayons gamma
émis durant la décroissance radioactive de
ces isotopes peut être comparé à des
tables d'émission de référence; les
concentrations décelables sont parfois
inférieures au ppm. Cette méthode n'est pas
destructive.
L'activation neutronique, la méthode la plus
sensible, et la fluorescence X, d'une sensibilité
fort acceptable, sont très utilisées.
Certains chercheurs exploitent les éléments
majeurs, d'autres les éléments mineurs.
C'est la problématique archéologique qui
permet éventuellement d'opter pour telle ou telle
technique, au vu des discriminations nécessaires.
La disposition d'échantillons étalons est
absolument nécessaire pour pouvoir comparer les
résultats obtenus avec différentes
techniques d'analyse.
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