la nouvelle monographie de moissey, René Delmas

le mont guérin néolithique

texte et dessins de l'auteur

(fonds de cartes IGN)

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La bosse du Mont Guérin
l'éminence du Mont Guérin, vue de l'église de Montmirey-le-Château

l'entrée à l'Ouest est encore reconnaissable aujourd'hui. Un oratoire y a été érigé

plan annoté par René Delmas, archéologue

 

Le Mont Guérin, cet inconnu.

 

Isolé face au Massif de la Serre, le Mont Guérin est un pôle d'attraction pour les promeneurs des communes voisines : Frasne, Moissey et Montmirey-la-Ville dont il occupe la partie sud du territoire, et qu'il domine, à 320 m, d'une centaine de mètres.

Un sentier qui se détache de l'ancien chemin, (peut-être voie romaine?) de Moissey à Montmirey-la-Ville, permet de gravir, à l'ombre, sans trop de peine, les flancs relativement peu pentus et de traverser le plateau pour redescendre vers Frasne ou Montmirey-la-Ville.

En arrivant sur le plateau, le promeneur enjambe, sans même le remarquer, un léger bourrelet de terre et de pierres qui marque l'entrée, moderne, d'un des hauts lieux de l'histoire locale: le Camp de hauteur néolithique du Mont Guérin. Ce plateau, aujourd'hui envahi par une végétation quasi impénétrable par endroits, fut, il y a plus de 5 000 ans, un lieu privilégié d'habitat pour des populations, peu nombreuses, d'agriculteurs et d'éleveurs.

Ce plateau est bordé sur son pourtour par un rempart de pierres que l'on peut suivre sur les 2/3 de son parcours; un oeil exercé peut en discerner l'origine, à travers des arbustes qui le cachent, à droite du point d'accès sur le plateau. Ce n'est plus aujourd'hui qu'un murger de pierres éboulées de différentes hauteurs, avec un maximum de 3,65 m à l'extérieur au sud et de largeur variable (de 4 à 2 m). Le rempart primitif, dont on ignore la hauteur, mais qui était plus important au sud et à l'est où la pente est plus faible qu'à l'ouest où il dominait des pentes raides avec des abrupts rocheux, protégeait un camp d'environ 6 ha, dont les habitations se groupaient contre le flanc intérieur de l'enceinte ouverte en un seul point, à l'ouest, c'est-à-dire près de l'actuelle statue de la Madone du Mont Guérin.

Deux sources au pied du Mont, permettaient l'approvisionnement en eau.

Fouillé au XVIIIe siècle et classé comme enceinte gauloise, c'est à deux professeurs jurassiens, MM. Feuvrier et Piroutet que revint le mérite d'avoir permis d'établir, par leurs fouilles, la période d'occupation du site. D'après leurs trouvailles (outils de silex, meules en arkose, débris de clayonnages des murs de cabanes, fusaïoles, fibules, poteries etc...) Ils ont daté l'occupation du Mont Guérin du Néolithique Final (de -3400 à -2200), à l'âge du Bronze (-1800 à -800) et au Hallstatt (= premier âge du Fer, c'est-à-dire de -800 ou -750 jusqu'à -450). Cela représente une longue période d'occupation, permanente ou intermittente, on ne le sait pas, de près de 2500 ans, beaucoup plus que ne peuvent s'en vanter nos villages ou nos villes régionales.

Comme on sait que la colonisation par les premiers agriculteurs a commencé vers -5500, il est fort probable que la création de l'enceinte et de son occupation soient encore plus anciennes. Des fouilles plus fines, conduites selon les critères et les méthodes scientifiques actuelles, pourraient en apporter la preuve, mais l'enceinte préhistorique du Mont Guérin est classée parmi les Monuments Historiques depuis 1913.


Partant du Foyer Logement du Mont Guérin, l'habitat le plus récent, essayons par un vol dans le temps de près de 6000 ans, de retrouver l'habitat le plus ancien, son environnement et sa population, durant cette période de plus de 3000 ans appelée "néolithique", qui, grâce à un climat plus doux que le nôtre, et après une lente évolution, vit l'homme se transformer de prédateur (chasseur, pêcheur, cueilleur) en producteur (cultivateur, éleveur, artisan) inventant des techniques nouvelles et révolutionnaires sans négliger les ressources naturelles qu'il apprend à gérer.

Au Néolithique Moyen, vers 3700 avant Jésus Christ (autrement dit -3700), le paysage est, quoique plus boisé, sensiblement le même qu'aujourd'hui. Les grandes forêts primaires ont déjà disparu après presque 2000 ans de défrichements et de mises en culture intensifs. Les coteaux et les plaines sont réservés à la culture dans des petits champs gagnés par écobuage sur la forêt, qui reprend vite ses droits, car du fait des techniques rudimentaires, la terre s'épuise rapidement (en 3 ou 4 ans), et les champs sont abandonnés au profit de nouveaux défrichements facilités par les haches de pierre polie. La culture se fait à l'aide de bâtons à fouir en forme de spatule, l'araire n'apparaîtra que quelques siècles plus tard. La récolte se fait à l'aide de faucilles de bois dont le tranchant est armé d'éclats de silex. On récolte blé, orge, pois, vesses, panais, millet et même le pavot, sans oublier le lin. L'alimentation est complétée par les fruits et les baies sauvages, les produits de la chasse (sanglier, chevreuil, auroch, bison...), et surtout de l'élevage: porc, mouton, chèvre, boeuf que l'homme a appris à domestiquer et à sélectionner.

Dans ce paysage de champs et de bois, où l'agriculture cyclique exige beaucoup de place, mis à part quelques habitations isolées, la population occupe les hauteurs, en l'occurence le Mont Guérin couronné par son rempart de pierres sèches, peu élevé et percé d'une porte à l'ouest. A l'intérieur, contre l'enceinte, s'alignent quelques maisons (de 20 à 50), chacune abritant une famille.

Ces cabanes rectangulaires, sans cloisonnement intérieur, sont constituées d'une charpente en bois supportant un toit de chaume à double pan, les murs étant bâtis en clayonnage de branchages enduits de pisé. A part la porte, peu d'ouvertures, l'évacuation des fumées du foyer se faisant par deux ouvertures triangulaires au sommet des façades. A part ces habitations, et peut-être quelques étables et jardins potagers, le reste du camp sert de pacage et d'abri au bétail.


La population peu dense (100 à 200 personnes) est cependant assez nombreuse pour avoir pu édifier ce rempart de 2 à 4 mètres de haut et d'une circonférence de près d'un kilomètre, qui est un élément de prestige autant que de défense. Cela implique aussi une organisation, sociale, peut-être à deux niveaux, où l'élément supérieur, clan social ou familial, gère la vie de la collectivité et les échanges avec l'extérieur: produits locaux, en particulier les meules et broyons en arkose (grès feldspathique) qu'ils extrayaient des carrières du Massif de la Serre à 1 km au sud, contre des produits utilitaires ou de prestige: silex de Touraine, éléments de parure, céramique...

Cette population, qui jouit d'un climat agréable et ne souffre pas de la faim, est loin de l'image de la brute telle qu'on imaginait autrefois l'homme préhistorique; finies les peaux de bêtes, sauf en hiver et en complément, on se vêt de lin tissé orné de franges et de motifs géométriques de couleur, on se coiffe de bonnets et de chapeaux en sparterie; même si le plus souvent on marche pieds nus, on possède des sandales de cuir.

La céramique, invention néolithique de formes et de dimensions variées, allant de l'écuelle à la jarre, souvent décorée de cordons d'impressions ou d'incisions ou même d'écorce de bouleau, sert à la cuisson et à la conservation des aliments. Les ustensiles en bois ou en os (cuillers, louches, puisoirs) facilitent le travail de la ménagère qui est aussi potière, vannière, ouvrière du textile et du cuir.

L'outillage lithique se diversifie, s'affine et se spécialise: grattoirs, racloirs, pointes de flèche en silex, pointes polies en os, haches et herminettes en pierre dure polie, emmanchées par l'intermédiaire d'une gaine en bois de cerf pour en prolonger la durée.

Les armes de chasse ou de pêche plus que de défense, car du fait de sa faible densité de population et en dehors de quelques querelles ponctuelles, la paix règne, sont l'arc et ses flèches aux pointes diversifiées selon le gibier chassé, la sagaie et le harpon barbelé et son propulseur.

Bientôt, l'attelage par joug des boeufs, puis l'araire et enfin la roue et le chariot (vers -3400) viendront accroître les performances de cette société de productivité, organisée dans la gestion du travail et de l'espace.

A leur mort, ces néolithiques trouvent la paix dans des tombes individuelles ou collectives, dans des caissons de pierre, sous des dolmens ou des tumulus comme on en trouve au sud-ouest, sur une autre hauteur proche, la Roche Tillot, où existait un autre camp fortifié plus petit et certainement plus récent.

D'autres camps fortifiés, abritant d'autres communautés agricoles existaient dans la région, les plus importants étant celui du Moulin Rouge à Lavans-les-Dole et celui du Mont Saint près de Parcey.

Contrairement aux stations néolithiques des lacs de Chalain et de Clairvaux étudiées depuis plusieurs années par l'archéologue Pierre Pétrequin et son équipe, où grâce à l'immersion en milieu sédimentaire rare en oxygène, des témoins archéologiques exceptionnels ont été conservés, notre région n'a pas livré de témoignages de la vie quotidienne des populations qui l'occupaient. Il ne reste de tangible que l'enceinte éboulée et, ce qui n'est pas le moins émouvant, la création et la première organisation de la campagne que nous avons sous les yeux.

Moissey, juillet 1990 , René Delmas, archéologue.

N.B. On ne saurait trop recommander une visite au site archéologique de Chalain où deux maisons expérimentales ont été reconstituées et à l'exposition sur le néolithique à la maison des Lacs à Marigny, Jura.

dessins de l'auteur

harpon en os et hache en pierre polie; flèches et racloir

fuseau et fusaïole

le temps qui passe

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