A 14 h 15, j'étais avec mon cabas,
mes plans bien serrés dans un carton
à dessins et mon ordinateur portable
(iBook, d'Apple bien sûr), installé
à la table de la cuisine d' André
Roy (né en 1928) et Henriette, son
épouse. Avec l'ordi, j'ai pu montrer
toutes les photos récentes des
lieux.
André Roy, frère de Robert
(maire depuis longtemps à
Montmirey-le-Château) m'avait
confié, en 1997, qu'il avait
travaillé à l'entretien de cet
aqueduc. J'ai donc appris chez lui des choses
plutôt inédites. D'abord, pour ce
qui est des archives municipales, André
Roy m'a fait savoir que les Allemands en avaient
emporté quelques-une en 1944, puis, que
le Maire Joseph Garnier avait fait bien du
ménage lorsqu'il était
arrivé à la Mairie. Comprendre par
ménage, expédition aux Archives
Départementales de Montmorot.
Malgré cela, André Roy sait
que l'architecte de cette réalisation
s'appelait Massot et qu'il était venu de
Lyon. Il sait aussi que la canalisation est en
grès, en modules de 1 m de long sur 10 cm
de diamètre, que la jonction de deux
modules se faisait avec des manchons de 14 cm
sur 40 et que tout ce matériel provenait
de Rambers-Villers dans les Vosges.
Surtout, il m'a expliqué pourquoi
cette source fonctionnait tout en étant
tarie. Son explication rejoint
l'hypothèse de drain de Robert Ruisseaux.
Pour attaquer l'aqueduc, il a fallu
détourner la source le temps des
travaux... seulement, après avoir
été sollicitée, la source
du Creux de Melay n'a jamais voulu revenir, elle
avait dû découvrir toute seule une
autre destinée. Entre temps, à
quelques 30 ou 40 m du départ, les
ouvriers ont rencontré, au-dessus d'eux,
un passage d'eau, disons, une rivière
souterraine, et c'est elle qui alimente
l'aqueduc. Voilà comment on a pu croire
que cet aqueduc était un drain.
Le profil de l'aqueduc est bien plus
compliqué qu'il n'y paraît. Ce
n'est pas un simple arc de cercle qui part du
diviseur pour arriver à la poste de
Montmirey. A Montmirey chacun sait que
l'horizontale qui part du diviseur arrive au
niveau du chéneau de l'église,
donc une bonne altitude pour alimenter le
réservoir de 70 mètres-cubes,
accessible d'une grosse plaque métallique
au pied de la poste.
La réalité (André Roy)
nous dit qu'il existe sur ce circuit 5 points de
vidange, ce qui nous fonde à penser qu'il
existe 5 points bas, donc 5 arcs de cercle.
L'altitude de la captation, selon la carte
ONF à 1/10 000, serait de 285 m (282
pour l'eau). La bouche du puits du milieu serait
à 296 m (- 15 = 281 pour l'eau). Le fond
du diviseur serait à 282 - 2 = 280.
Apparemment la pente du premier tronçon
serait de 1 m/180 m et celle du second de 1
m/180 m. Je dis bien apparemment, car pour
certaines cartes, un CAP ne serait pas inutile
(c'est fonction de la précision des
mesures sur les courbes de niveau). Finalement,
à partir de cette carte, j'ai fait une
coupe des courbes de niveau, comme j'avais
appris à le faire au CM1 de Tavaux, en
1953.
Pourquoi 360 m ? La coupe que nous
avons dessinée d'après le plan
1/10 000 de l'ONF nous indique que pour un
dénivelé de -3 m, il fallait aller
jusqu'à 360 m du captage. Cette distance
peut donc être considérée
comme minimale pour obtenir les 2 m de
différence, et aussi comme maximale pour
que le diviseur reste au-dessus de son client,
Montmirey-le-Château. Le diviseur s'est
ainsi trouvé à une position de
compromis entre le point de captage et le point
de livraison, tous ces points restant
hiérarchiquement disposés pour un
trafic optimal de l'eau. A 5 m près, ce
fut le point idéal.
L'ingénieur-architecte Massot avait aussi
décidé que cet aqueduc
traverserait les deux routes, pensant que ce qui
serait fait ne serait plus à faire.
Ajoutons que le diviseur est aussi sur une
crête, ce qui permet de nourrir deux
villages qui sont dans des directions exactement
opposées.
Comme je réfléchissais
intensément à cette question,
lorsque je suis arrivé chez André
Roy, je lui ai proposé mon
explication:
Cet aqueduc prend l'eau sur une pente qui ne
va pas dans la direction utile, la source de
Melay lâche ses eaux vers le Pré
des Veaux, c'est-à-dire vers la
Carrière de Porphyre,
c'est-encore-à-dire sur le bassin fluvial
(la Vèze de Brans) issu de l'Ermitage,
qui arrosera Offlanges, puis Brans avant de se
jeter dans l'Ognon. La route "Voie communale
n° 2 d'Offlanges au CD 37"
représente une crête et l'aqueduc
représente un col, ou disons, une cluse.
La présence, à mi-parcours, d'un
regard libre de 18 m de profondeur prouve qu'il
s'était bien agi de traverser la
colline.
L'opération a consisté d'abord
à changer l'eau d'origine de place, lui
faire traverser la colline, en somme, la faire
changer de vallée. Une fois sur la pente
"Au chêne", l'eau de cette source,
déportée, translatée, est
en bonne position pour être
expédiée, soit sur Moissey, soit
sur un ou plusieurs Montmirey. André Roy
voyait les choses exactement ainsi.
Nous avons ensuite évoqué la
construction, il s'agissait d'une conversation
entre supposeurs, bien sûr. L'idée
de travailler à ciel ouvert nous
paraissait vraisemblable dans les deux
extrémités de l'ouvrage, là
où le radier pouvait se trouver à
un ou deux mètres de profondeur. Pour le
reste, il a dû falloir travailler comme
dans la mine. L'aqueduc est (en coupe) un arc
sur jambages, avec des pierres en plein cintre,
comme tout bon Romain avait appris à
faire à tout bon Gaulois. Comme pour
faire les caves voûtées ou tout
ouvrage approchant, il a fallu mettre un moule
en bois dans le boyau, tailler au large tout
autour, puis approvisionner en pierres, puis
appareiller les pierres, puis recombler tout
autour. Il a fallu respecter la pente, il a
fallu déplacer le "berceau", il a fallu
enfin évacuer les déblais. Je
pensais bien sûr à un
système de voie Decauville, chemin de fer
de 40 cm d'écartement. André
Roy a ajouté que le grand puits avait pu
être, à un moment donné,
utilisé pour l'extraction et
l'évacuation des déblais. C'est un
ouvrage qui selon nous deux a dû
coûter une somme pharaonique. Il a
ajouté aussi qu'il avait fallu, à
un certain endroit, travailler sous l'eau qui
"pleuvait" puis dans l'eau qui inondait.
Enfin, André Roy m'a
révélé le tracé de
l'ouvrage, mètre par mètre, que
j'ai reporté sur ma carte. André
Roy sait où sont, chaque ventouse, chaque
regard libre, chaque point de vidange.
Ainsi, du diviseur de Moissey à la
réserve de Montmirey-le-Château, le
trajet de la conduite peut se décomposer
en 8 segments:
segment a: du
diviseur jusqu'au coude routier
d'Offlanges, 1070 m,
segment b: de ce coude jusqu'au
croisement des 9 fontaines avec
traversée du CD 475, 370 m,
segment c: de ce croisement
jusqu'à la Croix (pattée et
son emplacement actuel) du Guetti, 530
m,
segment d: de cette croix jusqu'au
carrefour "les 4 vents", avec
traversée du CD 15, 480 m,
segment e: des 4 vents jusqu'à
l'Olivier (autre croix pattée),
210 m,
segment f: le faubourg de Brans, 380
m,
segment g, entrée dans les
maisons, 200 m,
segment h, rue principale, 100 m,
segment i, le dernier raidillon
compté pour 100 m,
soit, en adoptant ces mesures, une conduite
de 3440 mètres.
André Roy, de mémoire, compte,
en partant de la source bien sûr,
sur le segment a,
une vidange, un regard libre, une
ventouse, un regard libre (au murger),
encore une vidange, et un regard libre (au
coude),
entre b et c, une vidange,
entre c et d (au Guettis), un regard
libre,
entre e et f (à l'Olivier), une
vidange,
au milieu de f, (chez Christian
Mielle), une ventouse,
entre f et g, au départ de "la
Ruelle", une vidange.
Entre l'Olivier et le cimetière,
l'abreuvoir en fonte est un poil sous le niveau
"atmosphérique" (en pression), son bec
est à 1 m du sol et pourrait être
classé dans les regards libres.
De cette configuration parmi les souvenirs
d'André Roy, il restera à faire
correspondre avec les courbes de la carte des
chasseurs ( ONF 1/10 000), que les regards
libres sont à la même altitude
(c'est-à-dire, celle du récepteur
de Montmirey, soit + 250 m), suivant
le principe des vases communicants, pour que ce
principe soit pleinement appliqué, et on
peut supposer qu'il l'était, que les
vidanges occupent les différents points
bas, les fonds des 5 cuvettes qui constituent
l'ensemble et enfin, que les ventouses sont au
sommets des différents dos.
En résumé, depuis le diviseur,
la conduite tire au plus court à travers
champs, et dès que c'est possible, elle
suit la route D 475, puis la D 15 depuis le
carrefour des Quatre Vents jusqu'à la
poste de Montmirey-le-Château.
Pour faire mes dessins, j'ai dû me
créer une nomenclature. J'ai
baptisé les éléments du
souterrain en chiffres romains, soit,
I. le puits
initial,
II. le grand puits de visite,
III. le puits de fin de
souterrain,
IV. la chambre diviseuse,
V. les deux pots de sortie et
d'expédition sur chacun des deux
villages.
La branche ouest du tuyau, qui va du
diviseur au village de Moissey, a deux
tronçons en rase-campagne, a' et b',
jusqu'au cimetière... puis c' et d'...
(à suivre).
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