comment reconnaître la religion
d'un logiciel, par Umberto Eco
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Une nouvelle
guerre de religion modifie subrepticement notre
monde contemporain. J'en suis convaincu depuis
longtemps, et lorsque j'évoque cette
idée, je m'aperçois qu'elle
recueille aussitôt un
consensus.
Ceci n'a pu vous
échapper, le monde est aujourd'hui
divisé en deux: d'un côté
les partisans du Macintosh de l'autre ceux du PC
sous MS-Dos. Eh bien, je suis intimement
persuadé que le Mac est catholique et le
Dos protestant. Je dirais même plus. Le
Mac est catholique contre-réformateur,
empreint de la "ratio studiorum" des
Jésuites. Il est convivial, amical,
conciliant, il explique pas à pas au
fidèle la marche à suivre pour
atteindre, sinon le royaume des cieux, du moins
l'instant final de l'impression du document. Il
est catéchistique, l'essence de la
révélation est résolu en
formules compréhensibles, et en
icônes somptueuses. Tout le monde à
droit au salut.
Le Dos est protestant,
voire carrément calviniste. Il
prévoit une libre interprétation
des Écritures, requiert des
décisions tourmentées, impose une
herméneutique subtile, garantit que le
salut n'est pas à la portée de
tous. Faire marcher le système
nécessite un ensemble d'actes personnels
interprétatifs du logiciel: seul, loin de
la communauté baroque des joyeux drilles,
l'utilisateur est enfermé dans son
obsession intérieure.
On m'objectera que
l'arrivée de Windows a rapproché
l'univers du Dos de la tolérance
contre-réformatrice du Mac. Rien de plus
exact. Windows constitue un schisme de type
anglican, de somptueuses
cérémonies au sein des
cathédrales, mais toujours la
possibilité de revenir au Dos afin de
modifier un tas de choses en se fondant sur
d'étranges décisions: tout compte
fait, les femmes et les gay pourront
accéder au sacerdoce.
Naturellement,
catholicisme et protestantisme des deux
systèmes n'ont rien à voir avec
les positions culturelles et religieuses des
usagers. J'ai découvert l'autre jour que
Franco Fortini, poète
sévère et tourmenté, ennemi
déclaré de la
société du spectacle, est un
adepte du Mac. Cela dit, il est légitime
de se demander si à la longue, au fil du
temps, l'emploi d'un système plutôt
que d'un autre ne cause pas de profondes
modifications intérieures. Peut-on
vraiment être à la fois adepte du
Dos et catholique traditionaliste ? Par
ailleurs, Céline aurait-il écrit
avec Word, WordPerfect, ou WordStar ?
Enfin, Descartes aurait-il programmé en
Pascal ?
Et le langage machine,
qui décide de notre destin en sous-main,
et pour n'importe quel environnement ? Eh,
bien, cela relève de l'Ancien Testament,
du Talmud et la Cabale. Ah, encore et toujours
le lobby juif! (1994).
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extrait de
"Comment voyager avec un saumon", de Umberto Eco,
chez Grasset.
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