autour de moissey

la montagne de la Serre en 1934

par Etiennette Pothier

envoyé par Joseph-Pierre Outters

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La montagne de La SERRE en 1934 extrait des Annales de Bourgogne Tome VI par Etiennette POTHIER

 

Le Pays, l'habitat,

 

A l'Est de la Saône, quand on remonte la vallée, en amont d'Auxonne, on voit émerger d'une région de petites collines, une longue croupe boisée. C'est La SERRE qui s'étend sur 17 kilomètres de long et 5 kilomètres de large au Nord de Dole, entre le Doubs, la Saône et l'Ognon. Cet îlot cristallin qui perce la couverture de roches sédimentaires, est un Morvan en miniature, une petite région naturelle qui tranche sur l'uniforme plaine voisine.

 

Le PAYS - C'est un témoin de la grande chaîne qui sur l'emplacement de la France actuelle, s'étendait à l'époque primaire de la Bretagne au Massif Central et aux Vosges. A l'époque tertiaire, des mouvements orogéniques provoquèrent l'affaissement de la Plaine de la Saône, mais le massif cristallin resta en place et se trouva surélevé. Les cours d'eau qui se jetaient dans la Bresse transformée alors en un vaste lac, décapèrent les couches sédimentaires et firent apparaître le massif cristallin et désagrégèrent sa bordure.

Le Massif domine la plaine d'une ligne régulière, haute de 380 mètres, qui se prolonge au-dessus de Dole, par le sommet du mont Roland

Les formes en sont douces comme celle d'un ballon vosgien, le chemin de la crête qui parfois entame les granits aux tons vifs, court le plus souvent sur des sables plantés de genêts et de bruyère; sur les hauteurs, les vallées ne forment que de légères ondulations, aussi l'impression de montagne n'est point si forte, qu'on ne lui préfère souvent le nom de forêt: on dit indifféremment la Montagne ou la Forêt de La Serre. La limite de la forêt est la même en effet que celle des terres froides de granit. C'est un épais taillis de feuillus où domine le chêne et le charme, mais où apparaissent quelques espèces particulières aux terrains siliceux: châtaigniers, alisiers, cornouillers. Les bas-fonds où s'est accumulée la terre, portent de belles futaies.

La forêt adoucit encore les contours et accentue l'unité de massif; sur la bordure, l'aspect change: les rivières s'enfoncent de 100 mètres, sur quelques kilomètres, entaillent de véritables gorges, par où elles regagnent les roches plus tendres du pourtour.

A l'uniformité du massif, s'oppose la diversité du pays qui l'enveloppe; à l'est une large table de calcaire oolithique, vient buter contre le granit; c'est un plateau sans horizon, coupé de larges ondulations qui portent un bouquet de bois à leur sommet; il disparaît à l'est sous les alluvions de la forêt d'Arne.

Au sud le plateau calcaire plus élevé est haché de failles qui trahissent çà et là un îlot de marne ou une petite côte. L'eau disparaît dans des gouffres, des dolines. La surface sèche et rocailleuse des plateaux dominés par le Mont Roland, porte quelques champs à la terre rouge et des friches buissonneuses; la vigne s'étend sur les éboulis des pentes.

A l'ouest et au nord au contraire, l'inclinaison des couches est plus forte; trois bancs plus durs affleurent successivement à la surface et donnent autant de côtes. La première porte le village d'Offlanges; c'est la plus élevée et elle se distingue à peine du massif. Il faut être au sommet pour apercevoir le vallon encaissé où le ruisseau des Croisières s'est enfoncé profondément dans les grés durs à l'emplacement de la première dépression périphérique de la Serre. La deuxième côte est précédée par une large dépression creusée dans les marnes du lias, à la fois région de terres fertiles et voie de communication. La côte est fragmentée par les affluents de la Saône. Des plateaux dont le type est la grande Haie s'inclinent en pente douce vers la plaine et se terminent par des escarpements du côté de La Serre. En arrière, deux petites buttes de calcaire aux pentes abruptes, offrent des sites de défense et l'une d'elle porte encore les ruines du château féodal de Montmirey, dont les seigneurs exercèrent leur domination sur toute la région.

 

L'HABITAT - Ce pays porte aujourd'hui de gros villages concentrés, tous établis sur la bordure de roches sédimentaires, tandis que le massif cristallin reste inhabité.

Il fut peuplé de bonne heure: Les premières traces humaines remontent au néolithique. Il subit plusieurs colonisations dont la toponymie a gardé les marques. Une route romaine suivait la dépression de Moissey; les villages établis aux alentours portent les noms en -ey [Ménotey, Montmirey, Champagney, Chevigny] qui dominent dans l'ouest. Dans l'est vint s'établir une colonie burgonde; les noms qui dérivent de cette colonisation se terminent en -ans et en -ange[Brans, Lavans, Auxange, Malange].

Au VI e siècle l'habitat était à peu près fixé.

La Serre apparaît de bonne heure comme soumise à des influences diverses; plus tard les maisons franc-comtoises et les fermes bressanes s'y rencontrent. La maison fran-comtoise qui domine dans l'Est est massive, presque carrée, son toit immense à pans coupés, abrite de vastes greniers qui lui donnent la hauteur d'une maison à étage; sur la façade s'ouvrent l'appartement composé de deux pièces en profondeur, au centre la grande porte arrondie de la grange, puis l'écurie. La ferme bressane est composée des mêmes éléments, mais elle est allongée et beaucoup plus basse. Une troisième forme de maisons caractérise le centre du pays: C'est ce qu'on appelle la maison en hauteur, l'appartement est à l'étage ou surélevé et il communique avec la rue par un escalier extérieur; le rez-de-chaussée est consacré à la cave, au chaix qui est de plain-pied avec la rue, ou presque.

Les maisons ne laissant aucun espace entre elles, elles donnent à Moissey un aspect de petite Ville. On retrouve cette forme en Bourgogne dans tous les pays de vignoble et on l'a expliquée par les conditions nécessaires au travail du vin. L'exemple de La Serre appuierait encore cette théorie. La Serre a été un vignoble et les maisons en hauteur sont concentrées dans les communes qui se consacraient à la culture de la vigne.

 

L'ECONOMIE ANCIENNE - Dans une statistique du Baillage de Dole, en 1683, on trouve cette opposition, La Bresse partie Sud du Baillage, est le pays pauvre, La Serre est le pays riche [dans l'usage courant on applique le nom de "SERRE" non seulement à la montagne proprement dite, mais à la région accidentée dont elle est le centre]. Cette situation qui est retournée aujourd'hui, a duré jusqu'au XIX e siècle.

Le Vin - La Serre devait sa prospérité à son vignoble. Sa bordure présente en effet les mêmes altitudes moyennes de 200 à 300 mètres, les mêmes pentes d'éboulis, calcaires aux terres chaudes et bien égouttées, le même climat que les vignobles de Bourgogne et du Jura. Son exposition dominante ouest et sud et la variété de ses terrains marneux ou calcaires rapprochent plutôt le vignoble de La Serre, du vignoble du Jura.

Au Moyen Âge il était déjà constitué; les chartes établissant les droits des seigneurs de Moissey et Menotey sont en grande partie consacrées à la vigne. En 1281 le prévôt de Dole recevait "la Quinte partie des fruits de vigne" comme dîme. Mais c'est au XVII e siècle que la vigne semble avoir atteint sa plus grande extension; en 1727, Menotey récoltait 1766 queues de vin [la queue valant 450 litres] pour 89 caves; Gredisans 721 queues pour 31 caves. Ce développement était à peu près identique dans la première moitié du XIX e siècle, période pour laquelle nous disposons de statistiques générales. En 1850 Menotey possédait 209 hectares de vignes sur 373 hectares de terres, à Gredisans les vignes représentaient 80 pour cent des autres cultures, à Offlange, Moissey, Jouhe, plus de 50 pour cent.

La vigne dominait sur les pentes calcaires de l'ouest et du sud, mais on en trouvait également dans les régions moins favorables de l'est, et on en tirait un tel profit que sans souci de la qualité du vin, on l'aurait étendue jusque sur des arêtes granitiques. Aussi le vin de la serre était-il de qualité très inégale; seuls quelques vins blancs de Frasnes, de Rainans, de Gredisans étaient réputés. Une partie de ce vin était vendue dans les plaines voisines et même en Lorraine et les habitants pouvaient ainsi mettre quelque argent de côté, car ils avaient d'autre part de quoi se suffire.

 

Les céréales - Les terres étaient assez variées pour produire "un peu de tout"

 

Voici la répartition des cultures vivrières dans l'arrondissement de Dole en 1840:

1°) le froment: 17260 ha,

2°) le méteil [mélange de blé et seigle cultivés ensemble]: 1895 ha,

3°) le seigle: 46 ha,

4°) l'orge: 3554 ha, 5) ) sarrazin: 220 ha, maïs et millet: 4764 ha, 7° ) avoine 4946 ha, légumes secs: 450 ha; la culture du froment était de beaucoup la plus répandue; on obtenait un rendement de 169 quintaux à l'ha, presque égal à celui d'aujourd'hui (1934). Les pays à blé étaient ceux du pourtour, ceux qui produisaient le moins de vigne.

 

En 1850, Malange pouvait exporter les deux tiers de ses céréales, Auxange la moitié, Champagney les deux cinquièmes. Au contraire les pays de vigne devaient en importer: Frasnes importait les trois quarts de ses céréales, Gredisans les sept huitièmes, Jouhe les trois quarts. La plante oléagineuse la plus répandue était la navette; les plantes textiles étaient représentées par le chanvre, auquel on réservait encore les meilleures terres en 1840 et qui était l'objet d'une dîme au XVIII ème siècle.

L'exploitation reposait sur l'assolement triennal qui faisait alterner le froment avec les plantes sarclées et laissait la terre en jachère pendant un an; à côté d'engrais comme le fumier et les cendres de lessive, on employait le marnage pour les terres calcaires. Il n'y avait de prairies que dans les fonds de vallée trop humides; elles étaient mal entretenues et le foin était de mauvaise qualité; on envoyait le bétail soit dans les terres en jachère, soit dans la forêt.

Le bois - La forêt de la Serre n'a jamais été une forêt domaniale; au Moyen âge elle appartenait aux seigneurs; celui de Moissey donnait aux paysans "droit d'usage pour leurs affouages, bâtiments, aisances et commodités"; ils pouvaient y prendre "bois de faux, bois droit et mort bois en cas de nécessité et non autrement, tous arbres fruitiers et même des chênes à charge d'en user civilement et sans abus"

Ils possédaient le droit d'y "paisseler" pour les vignes et d'y mener leurs troupeaux composés de porcs.

Au XVIème siècle, la forêt fut partagée entre les communes riveraines dont les habitants conservèrent les mêmes droits.

L'industrie - Mais la serre n'était pas seulement agricole. A côté des artisans de village, sabotiers et tonneliers qui utilisaient le bois ou tisserands, la Serre possédait une véritable industrie; en premier lieu on exploitait la pierre.

Le grès et la pierre de la Serre trouvaient un débouché dans toutes les régions avoisinantes qui manquaient de pierre dure - on en faisait surtout des meules [on a retrouvé de ces meules dans des stations néolithiques] Serre les Moulières a tiré son nom de cette exportation; on fabriquait aussi des auges, des bornes et des pavés. Le calcaire oolithique de la bordure donne de très belles pierres de construction que l'on peut polir comme le marbre. Chaque village avait sa carrière exploitée par un entrepreneur aidé de cinq ou six ouvriers. Les plus belles pierres ont servi à la construction des monuments de Dole et de Besançon.

Les tuilleries - Sur l'argile de la dépression liasique s'étaient établies des tuileries [Moissey en possédait trois]. En général un four à chaux leur était annexé.

Le fer, la forge - A la base du calcaire oolithique, on trouve des gisements de fer en grains; une industrie du fer naquit de la proximité du minerai et du bois; le long des routes romaines, on a découvert des traces d'industrie sidérurgique. Au Moyen Âge les forges furent exploitées par les monastères, puis chaque village eut la sienne; les plus prospères étaient celles de l'est où le minerai était plus abondant et plus facile à exploiter. Elles fonctionnaient au bois; on réservait les futaies de la Serre à cet usage.

Cette industrie était encore florissante au XIXème siècle, mais à cette époque elle utilisait la houille qu'on importait. Les forges se déplaçaient à mesure que s'épuisaient les gisements; en 1860, les forges qui exploitaient les gisements de Montmirey, Dammartin, Gendrey employaient cent vingt ouvriers. Le fer était envoyé aux hauts fourneaux du Doubs et du Jura - une seule exploitation a subsisté jusqu'au XXème siècle; c'est celle d'Ougney - elle a fonctionné de nouveau pendant la guerre [1914-1918], mais aujourd'hui l'industrie a disparu de La Serre, mais près de là, dans la forêt d'Arne, la tradition a maintenu les forges de Fraisans n'utilisent plus la matière première de la région.

La population - Cette diversité de ressources avait fait de La Serre, une région riche et peuplée; la densité de la population atteignit son maximum vers le milieu du XIXème siècle. La densité par rapport à la surface [la surface boisée non comprise] atteignait plus de cent cinquante habitants au kilomètre carré dans certaines communes; celles qui étaient situées sur le pourtour étaient les moins peuplées. La commune de Malange n'avait que vingt cinq habitants au kilomètre carré, celles de Champagney et de Dammartin n'en avaient que cinquante, par contre la commune de Menotey avait cent cinquante habitants au kilomètre carré, celles de Moissey, d'Offlanges, Jouhe en avaient plus de cent; cette forte densité s'expliquait par le fait que dans le vignoble, on peut vivre sur une petite superficie de terre, elle se traduit donc par l'extrême morcellement des terres qui a subsisté aujourd'hui. Moissey avec ses neuf cent cinquante habitants était le centre le plus actif; c'était le marché de La Serre établi sur la grande voie menant de Dole vers le nord.

 

L'ECONOMIE ACTUELLE - La ruine de la Serre a commencé avec la crise de la vigne. Les vignerons connurent de belles années jusqu'en 1875, mais vers 1880, le phylloxera venu du sud atteignait la plaine doloise. La crise devait durer dix ans; favorisée par des étés secs et chauds, le phylloxera ravagea toutes les vignes qu'on dut arracher. Les statistiques de 1890 marquent une fort diminution sur celles de 1850: à Frasne, la superficie plantée en vigne était tombée de 117 hectares à 50, à Montmirey le Château de 131 hectares à 35; mais on put reconstituer les vignes avec des plants américains, que firent venir les associations de viticulteurs et les communes; une campagne fut menée pour apprendre aux vignerons à soigner rationnellement leurs vignes. Cependant après un léger relèvement, la vigne continua à décroître. A Gredisans où la superficie plantée en vigne était de 98 hectares en 1850, où elle était encore de 100 hectares en 1890, elle n'est plus en 1923 que de 25 hectares; à Jouhe où elle était encore de 207 hectares en 1890, elle tombe à 44 hectares. Les maladies de la vigne: mildiou, oidium, blackrot qui se succèdent au début 20ème siècle ne suffisent pas à expliquer sa disparition presque complète; comme la crise de 1880, elles n'ont fait que précipiter une évolution nécessaire et déjà commencée; le vin de La Serre était de qualité moyenne; après la crise, il est devenu médiocre. Il est de plus difficile à transporter par suite de l'éloignement de la voie ferrée; il n'a pu donc soutenir la concurrence des vins du midi qui revenaient moins cher - Aujourd'hui la vigne n'occupe plus que le tiers de la surface qu'elle occupait en 1850; elle ne s'étend que sur trois pour cent du territoire de l'arrondissement de Dole, tandis que les cultures occupent soixante et un pour cent des terres. Il ne reste à Moissey que quatre vignerons s'occupant exclusivement de viticulture. Le vin sert à la consommation locale.

Ainsi il a fallu au XXème siècle remplacer la vigne dans l'économie. Les cultures pourtant n'ont pas fait beaucoup de progrès; de 1890 à 1923, l'étendue des terres labourables diminue dans les communes du pourtour; Auxange qui en avait 385 hectares en 1850, n'en a plus que 290 en 1923; Dammartin qui en avait 354 hectares, n'en a plus que 207. Dans les pays de vigne, les terres labourables n'ont pu remplacer toutes les vignes; sur les hauteurs et sur les pentes d'éboulis, ce sont les friches qui gagnent du terrain.

Les céréales - occupent aujourd'hui [1934] les soixante et un pour cent des terres labourables de l'arrondissement de Dole. Le froment reste la culture dominante, étant cultivée sur vingt huit pour cent des terres; mais il n'a pas progressé dans la même proportion que les autres cultures et son rendement n'est passé que de 16 à 18 quintaux à l'hectare, ce qui est faible pour l'époque actuelle.

Actuellement la surface cultivée en avoine égale presque celle du froment; elle occupe vingt sept pour cent des terres et son rendement atteint de 25 à 30 quintaux à l'hectare. Son développement est lié à celui de l'élevage. Le seigle n'occupe que deux pour cent des terres. L'orge trois pour cent, mais sur ces petites quantités, leur accroissement va jusqu'à deux cent pour cent. Ils occupent en général d'anciennes terres à vigne qu'on aurait pas pu consacrer à des cultures plus riches. Le maïs a pénétré dans le sud de La Serre sous l'influence de La Bresse, mais il n'occupe qu'un pour cent des terres; les plantes sarclées ont augmenté plus généralement que les céréales; elles occupent treize pour cent des terres; sur cette quantité, les betteraves comptent pour quatre pour cent et la pomme de terre pour neuf pour cent. La betterave était à peine cultivée dans La Serre; aujourd'hui, on la trouve partout. A Frasne la surface plantée en betterave est passée de un hectare à dix sept hectares; à Champagney de cinq à trente hectares. Les variétés demi-sucrières tendent à se substituer aux variétés fourragères. La betterave à sucre a été introduite sous l'Empire; Authumes en cultive cinq hectares , Biarne cinq hectares, Ménotey un hectare. La récolte est envoyée dans les sucreries et distilleries de la Côte d'Or; mais les progrès sont minimes, parce que La Serre, maintenant isolée a gardé des modes de culture arriérés; l'assolement triennal n'a pas encore disparu et la surface en jachère nue est encore égale à celle des plants sarclés.

L'Élevage - Le progrès le plus important a été réalisé par l'élevage; les prairies ont partout augmenté et leur accroissement est beaucoup plus sensible que celui des cultures. Les prairies naturelles ont gagné tous les endroits suffisamment humides, aussi à Moissey, sur les marnes, leur étendue passe de 26 à 204 hectares; elle s'accroît dans les mêmes proportions à Frasne sur les alluvions, à Biarne dans la vallée, et à Gredisans sur des marnes. On leur adjoint des prairies artificielles; celles-ci occupent treize pour cent des terres dans la plaine doloise: le trèfle compte pour cinq pour cent, le sainfoin sept pour cent, la luzerne un pour cent. Aussi la densité du bétail s'est-elle accrue dans de fortes proportions. L'augmentation moyenne est de dix à vingt têtes de bétail par cent habitants. Les habitants de La Serre sont restés fidèles au petit élevage; chaque cultivateur possède une ou deux vaches qu'il élève pour la production de lait et dont il vend les veaux à des marchands de passage. En été un pâtre communal est chargé du soin du troupeau du village.

La coopération seule permet de tirer parti du troupeau. En 1833, pour la première fois, était introduit un établissement analogue aux fruitières du Jura; depuis, toute La Serre a adopté le système coopératif, pour l'utilisation du lait. On englobe sous le nom de laiteries, beurreries et fromageries. Les beurreries ont été les premières installées. Dans chaque village les habitants choisissent l'un d'entre eux qui contre un salaire, se charge de la transformation de tout le lait. Il possède les machines, et quand elles ne sont pas mues à l'électricité, chacun vient à son tour les faire manœuvrer. Le beurre fait, on vend le petit lait pour les porcs et on partage le bénéfice de la vente. Aujourd'hui le lait va aussi dans les fromageries; elles sont constituées exactement sur le modèle des fruitières. On fait venir un spécialiste qui transforme le lait en fromage de gruyère.

A Frasne on fait deux fromages par jour. Ces établissements sont d'ailleurs rudimentaires et l'on ne saurait en rien comparer leur activité à celle des fruitières du Jura; leurs produits servent en majorité à l'approvisionnement de Dole.

L'élevage tient ainsi dans l'économie agricole, le rôle que tenait autrefois la vigne; c'est lui qui donne l'argent liquide, mais cette transformation ne s'est pas faite sans un véritable bouleversement de la région. Ce ne sont pas les anciens pays à vigne qui ont le mieux tiré parti de l'élevage; leurs friches n'ont souvent nourri que des moutons; à Moissey, la densité du bétail bovin, n'est que de trente bêtes par cent habitants. Les communes les plus riches, sont maintenant celles du pourtour: Malange, Amange, Champagney, Peintre, Pointre qui ont plus de cent têtes de bétail par cent habitants. La richesse vient aujourd'hui de la plaine.

La Montagne proprement dite n'a guère trouvé de ressources nouvelles; La Serre n'est plus une région industrielle ! On a pensé au début du XXème s. y trouver de la houille et faire ainsi revivre l'industrie; en effet la constitution du terrain permettait de penser qu'il était bordé de dépôts houillers; mais les sondages ont été négatifs.

Il ne reste donc à La Serre que ses carrières et sa forêt; seules les carrières du sud sont activement exploitées. La pierre de Sampan a toujours été et reste recherchée. Elle sert notamment à la construction des maisons de Dole et toutes les maisons de pierre de la Vallée de la Saône, sont faites en pierre de La Serre.

Il y a quelques années, une carrière s'est ouverte à côté de Moissey, dans les eurites extrêmement dures qui bordent le massif granitique à l'ouest; elles sont utilisées pour l'empierrement des routes. Le sable du sommet est vendu en grande partie aux travaux publics pour le goudronnage des routes.

La forêt n'a pas toujours rendu ce que l'on pouvait espérer; elle est divisée en bois communaux traités en taillis sous futaie avec une révolution d'exploitation de 25 ans. Le taillis est distribué entre les habitants pour leur affouage. La production moyenne est de 140 à 145 stères de bois de chauffage et de 1000 à 1200 fagots, par hectare. La futaie est vendue dans les scieries; le chêne est abondant, le hêtre donne de beaux bois de menuiserie.

Mais le bois de La Serre souffre de la concurrence des forêts voisines nombreuses et plus accessibles. Les scieries sont établies entre La Serre et les forêts de plaine [il y en a deux à Moissey] La Serre fournit surtout des traverses de chemin de fer dont elle produit en moyenne cinq mille par an.

Aussi n'est-il pas étonnant que La Serre ait subi un terrible dépeuplement; Moissey qui avait 950 habitants en 1850, n'en a plus que 362 aujourd'hui. Dans l'ensemble, toutes les communes ont perdu cinquante pour cent de leur population; celles du centre en ont perdu plus de soixante pour cent. La natalité a diminué; les gens sont partis, chassés par la double crise de la vigne et de l'industrie; seules les communes du sud, Authume et Jouhe n'ont pas souffert: elles sont devenues la banlieue de Dole; elles ont perdu leur caractère agricole. Leurs habitants vont travailler tous les jours dans les usines de Dole qui attirent de plus en plus les ouvriers.

Aujourd'hui [1934] La Serre est un pays pauvre, à l'écart des grandes voies de communication qui empruntent la Vallée du Doubs et dont l'ouverture l'a ruinée; elle garde ses genres de vie traditionnels, tandis que les pays qui l'entourent ont évolué.

Son appauvrissement est dénoncé à chaque instant par une maison abandonnée, un champ en friche, où poussent des pieds de vigne sauvages; elle a semblé se tourner vers l'élevage, mais ses terres sont trop variées pour qu'elle puisse s'y consacrer exclusivement. Elle reste un pays de petite culture qui ne trouve plus guère sur son territoire, de ressources nouvelles et n'attend sa prospérité que de la proximité de Dole.

Etiennette POTHIER

 

Texte retranscrit par Monsieur J.-P. Outters de Dijon

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