La montagne de La SERRE
en 1934 extrait des Annales de Bourgogne Tome VI par
Etiennette POTHIER
Le Pays, l'habitat,
A l'Est de la Saône,
quand on remonte la vallée, en amont d'Auxonne, on
voit émerger d'une région de petites
collines, une longue croupe boisée. C'est La SERRE
qui s'étend sur 17 kilomètres de long et 5
kilomètres de large au Nord de Dole, entre le
Doubs, la Saône et l'Ognon. Cet îlot
cristallin qui perce la couverture de roches
sédimentaires, est un Morvan en miniature, une
petite région naturelle qui tranche sur l'uniforme
plaine voisine.
Le PAYS - C'est un
témoin de la grande chaîne qui sur
l'emplacement de la France actuelle, s'étendait
à l'époque primaire de la Bretagne au
Massif Central et aux Vosges. A l'époque
tertiaire, des mouvements orogéniques
provoquèrent l'affaissement de la Plaine de la
Saône, mais le massif cristallin resta en place et
se trouva surélevé. Les cours d'eau qui se
jetaient dans la Bresse transformée alors en un
vaste lac, décapèrent les couches
sédimentaires et firent apparaître le massif
cristallin et désagrégèrent sa
bordure.
Le Massif domine la plaine
d'une ligne régulière, haute de 380
mètres, qui se prolonge au-dessus de Dole, par le
sommet du mont Roland
Les formes en sont douces comme
celle d'un ballon vosgien, le chemin de la crête
qui parfois entame les granits aux tons vifs, court le
plus souvent sur des sables plantés de
genêts et de bruyère; sur les hauteurs, les
vallées ne forment que de légères
ondulations, aussi l'impression de montagne n'est point
si forte, qu'on ne lui préfère souvent le
nom de forêt: on dit indifféremment la
Montagne ou la Forêt de La Serre. La limite de la
forêt est la même en effet que celle des
terres froides de granit. C'est un épais taillis
de feuillus où domine le chêne et le charme,
mais où apparaissent quelques espèces
particulières aux terrains siliceux:
châtaigniers, alisiers, cornouillers. Les bas-fonds
où s'est accumulée la terre, portent de
belles futaies.
La forêt adoucit encore
les contours et accentue l'unité de massif; sur la
bordure, l'aspect change: les rivières s'enfoncent
de 100 mètres, sur quelques kilomètres,
entaillent de véritables gorges, par où
elles regagnent les roches plus tendres du
pourtour.
A l'uniformité du
massif, s'oppose la diversité du pays qui
l'enveloppe; à l'est une large table de calcaire
oolithique, vient buter contre le granit; c'est un
plateau sans horizon, coupé de larges ondulations
qui portent un bouquet de bois à leur sommet; il
disparaît à l'est sous les alluvions de la
forêt d'Arne.
Au sud le plateau calcaire plus
élevé est haché de failles qui
trahissent çà et là un îlot de
marne ou une petite côte. L'eau disparaît
dans des gouffres, des dolines. La surface sèche
et rocailleuse des plateaux dominés par le Mont
Roland, porte quelques champs à la terre rouge et
des friches buissonneuses; la vigne s'étend sur
les éboulis des pentes.
A l'ouest et au nord au
contraire, l'inclinaison des couches est plus forte;
trois bancs plus durs affleurent successivement à
la surface et donnent autant de côtes. La
première porte le village d'Offlanges; c'est la
plus élevée et elle se distingue à
peine du massif. Il faut être au sommet pour
apercevoir le vallon encaissé où le
ruisseau des Croisières s'est enfoncé
profondément dans les grés durs à
l'emplacement de la première dépression
périphérique de la Serre. La
deuxième côte est
précédée par une large
dépression creusée dans les marnes du lias,
à la fois région de terres fertiles et voie
de communication. La côte est fragmentée par
les affluents de la Saône. Des plateaux dont le
type est la grande Haie s'inclinent en pente douce vers
la plaine et se terminent par des escarpements du
côté de La Serre. En arrière, deux
petites buttes de calcaire aux pentes abruptes, offrent
des sites de défense et l'une d'elle porte encore
les ruines du château féodal de Montmirey,
dont les seigneurs exercèrent leur domination sur
toute la région.
L'HABITAT - Ce pays porte
aujourd'hui de gros villages concentrés, tous
établis sur la bordure de roches
sédimentaires, tandis que le massif cristallin
reste inhabité.
Il fut peuplé de bonne
heure: Les premières traces humaines remontent au
néolithique. Il subit plusieurs colonisations dont
la toponymie a gardé les marques. Une route
romaine suivait la dépression de Moissey; les
villages établis aux alentours portent les noms en
-ey [Ménotey, Montmirey, Champagney,
Chevigny] qui dominent dans l'ouest. Dans l'est vint
s'établir une colonie burgonde; les noms qui
dérivent de cette colonisation se terminent en
-ans et en -ange[Brans, Lavans, Auxange,
Malange].
Au VI e siècle l'habitat
était à peu près
fixé.
La Serre apparaît de
bonne heure comme soumise à des influences
diverses; plus tard les maisons franc-comtoises et les
fermes bressanes s'y rencontrent. La maison fran-comtoise
qui domine dans l'Est est massive, presque carrée,
son toit immense à pans coupés, abrite de
vastes greniers qui lui donnent la hauteur d'une maison
à étage; sur la façade s'ouvrent
l'appartement composé de deux pièces en
profondeur, au centre la grande porte arrondie de la
grange, puis l'écurie. La ferme bressane est
composée des mêmes éléments,
mais elle est allongée et beaucoup plus basse. Une
troisième forme de maisons caractérise le
centre du pays: C'est ce qu'on appelle la maison en
hauteur, l'appartement est à l'étage ou
surélevé et il communique avec la rue par
un escalier extérieur; le rez-de-chaussée
est consacré à la cave, au chaix qui est de
plain-pied avec la rue, ou presque.
Les maisons ne laissant aucun
espace entre elles, elles donnent à Moissey un
aspect de petite Ville. On retrouve cette forme en
Bourgogne dans tous les pays de vignoble et on l'a
expliquée par les conditions nécessaires au
travail du vin. L'exemple de La Serre appuierait encore
cette théorie. La Serre a été un
vignoble et les maisons en hauteur sont
concentrées dans les communes qui se consacraient
à la culture de la vigne.
L'ECONOMIE ANCIENNE - Dans une
statistique du Baillage de Dole, en 1683, on trouve cette
opposition, La Bresse partie Sud du Baillage, est le pays
pauvre, La Serre est le pays riche [dans l'usage
courant on applique le nom de "SERRE" non seulement
à la montagne proprement dite, mais à la
région accidentée dont elle est le
centre]. Cette situation qui est retournée
aujourd'hui, a duré jusqu'au XIX e
siècle.
Le Vin - La Serre devait sa
prospérité à son vignoble. Sa
bordure présente en effet les mêmes
altitudes moyennes de 200 à 300 mètres, les
mêmes pentes d'éboulis, calcaires aux terres
chaudes et bien égouttées, le même
climat que les vignobles de Bourgogne et du Jura. Son
exposition dominante ouest et sud et la
variété de ses terrains marneux ou
calcaires rapprochent plutôt le vignoble de La
Serre, du vignoble du Jura.
Au Moyen Âge il
était déjà constitué; les
chartes établissant les droits des seigneurs de
Moissey et Menotey sont en grande partie
consacrées à la vigne. En 1281 le
prévôt de Dole recevait "la Quinte partie
des fruits de vigne" comme dîme. Mais c'est au XVII
e siècle que la vigne semble avoir atteint sa plus
grande extension; en 1727, Menotey récoltait 1766
queues de vin [la queue valant 450 litres] pour
89 caves; Gredisans 721 queues pour 31 caves. Ce
développement était à peu
près identique dans la première
moitié du XIX e siècle, période pour
laquelle nous disposons de statistiques
générales. En 1850 Menotey possédait
209 hectares de vignes sur 373 hectares de terres,
à Gredisans les vignes représentaient 80
pour cent des autres cultures, à Offlange,
Moissey, Jouhe, plus de 50 pour cent.
La vigne dominait sur les
pentes calcaires de l'ouest et du sud, mais on en
trouvait également dans les régions moins
favorables de l'est, et on en tirait un tel profit que
sans souci de la qualité du vin, on l'aurait
étendue jusque sur des arêtes granitiques.
Aussi le vin de la serre était-il de
qualité très inégale; seuls quelques
vins blancs de Frasnes, de Rainans, de Gredisans
étaient réputés. Une partie de ce
vin était vendue dans les plaines voisines et
même en Lorraine et les habitants pouvaient ainsi
mettre quelque argent de côté, car ils
avaient d'autre part de quoi se suffire.
Les céréales -
Les terres étaient assez variées pour
produire "un peu de tout"
Voici la répartition des
cultures vivrières dans l'arrondissement de Dole
en 1840:
1°) le froment: 17260
ha,
2°) le méteil
[mélange de blé et seigle
cultivés ensemble]: 1895 ha,
3°) le seigle: 46
ha,
4°) l'orge: 3554 ha, 5) )
sarrazin: 220 ha, maïs et millet: 4764 ha, 7° )
avoine 4946 ha, légumes secs: 450 ha; la culture
du froment était de beaucoup la plus
répandue; on obtenait un rendement de 169 quintaux
à l'ha, presque égal à celui
d'aujourd'hui (1934). Les pays à blé
étaient ceux du pourtour, ceux qui produisaient le
moins de vigne.
En 1850, Malange pouvait
exporter les deux tiers de ses céréales,
Auxange la moitié, Champagney les deux
cinquièmes. Au contraire les pays de vigne
devaient en importer: Frasnes importait les trois quarts
de ses céréales, Gredisans les sept
huitièmes, Jouhe les trois quarts. La plante
oléagineuse la plus répandue était
la navette; les plantes textiles étaient
représentées par le chanvre, auquel on
réservait encore les meilleures terres en 1840 et
qui était l'objet d'une dîme au XVIII
ème siècle.
L'exploitation reposait sur
l'assolement triennal qui faisait alterner le froment
avec les plantes sarclées et laissait la terre en
jachère pendant un an; à côté
d'engrais comme le fumier et les cendres de lessive, on
employait le marnage pour les terres calcaires. Il n'y
avait de prairies que dans les fonds de vallée
trop humides; elles étaient mal entretenues et le
foin était de mauvaise qualité; on envoyait
le bétail soit dans les terres en jachère,
soit dans la forêt.
Le bois - La forêt de la
Serre n'a jamais été une forêt
domaniale; au Moyen âge elle appartenait aux
seigneurs; celui de Moissey donnait aux paysans "droit
d'usage pour leurs affouages, bâtiments, aisances
et commodités"; ils pouvaient y prendre "bois de
faux, bois droit et mort bois en cas de
nécessité et non autrement, tous arbres
fruitiers et même des chênes à charge
d'en user civilement et sans abus"
Ils possédaient le droit
d'y "paisseler" pour les vignes et d'y mener leurs
troupeaux composés de porcs.
Au XVIème siècle,
la forêt fut partagée entre les communes
riveraines dont les habitants conservèrent les
mêmes droits.
L'industrie - Mais la serre
n'était pas seulement agricole. A
côté des artisans de village, sabotiers et
tonneliers qui utilisaient le bois ou tisserands, la
Serre possédait une véritable industrie; en
premier lieu on exploitait la pierre.
Le grès et la pierre de
la Serre trouvaient un débouché dans toutes
les régions avoisinantes qui manquaient de pierre
dure - on en faisait surtout des meules [on a
retrouvé de ces meules dans des stations
néolithiques] Serre les Moulières a
tiré son nom de cette exportation; on fabriquait
aussi des auges, des bornes et des pavés. Le
calcaire oolithique de la bordure donne de très
belles pierres de construction que l'on peut polir comme
le marbre. Chaque village avait sa carrière
exploitée par un entrepreneur aidé de cinq
ou six ouvriers. Les plus belles pierres ont servi
à la construction des monuments de Dole et de
Besançon.
Les tuilleries - Sur l'argile
de la dépression liasique s'étaient
établies des tuileries [Moissey en
possédait trois]. En général un
four à chaux leur était
annexé.
Le fer, la forge - A la base du
calcaire oolithique, on trouve des gisements de fer en
grains; une industrie du fer naquit de la
proximité du minerai et du bois; le long des
routes romaines, on a découvert des traces
d'industrie sidérurgique. Au Moyen Âge les
forges furent exploitées par les
monastères, puis chaque village eut la sienne; les
plus prospères étaient celles de l'est
où le minerai était plus abondant et plus
facile à exploiter. Elles fonctionnaient au bois;
on réservait les futaies de la Serre à cet
usage.
Cette industrie était
encore florissante au XIXème siècle, mais
à cette époque elle utilisait la houille
qu'on importait. Les forges se déplaçaient
à mesure que s'épuisaient les gisements; en
1860, les forges qui exploitaient les gisements de
Montmirey, Dammartin, Gendrey employaient cent vingt
ouvriers. Le fer était envoyé aux hauts
fourneaux du Doubs et du Jura - une seule exploitation a
subsisté jusqu'au XXème siècle;
c'est celle d'Ougney - elle a fonctionné de
nouveau pendant la guerre [1914-1918], mais
aujourd'hui l'industrie a disparu de La Serre, mais
près de là, dans la forêt d'Arne, la
tradition a maintenu les forges de Fraisans n'utilisent
plus la matière première de la
région.
La population - Cette
diversité de ressources avait fait de La Serre,
une région riche et peuplée; la
densité de la population atteignit son maximum
vers le milieu du XIXème siècle. La
densité par rapport à la surface [la
surface boisée non comprise] atteignait plus
de cent cinquante habitants au kilomètre
carré dans certaines communes; celles qui
étaient situées sur le pourtour
étaient les moins peuplées. La commune de
Malange n'avait que vingt cinq habitants au
kilomètre carré, celles de Champagney et de
Dammartin n'en avaient que cinquante, par contre la
commune de Menotey avait cent cinquante habitants au
kilomètre carré, celles de Moissey,
d'Offlanges, Jouhe en avaient plus de cent; cette forte
densité s'expliquait par le fait que dans le
vignoble, on peut vivre sur une petite superficie de
terre, elle se traduit donc par l'extrême
morcellement des terres qui a subsisté
aujourd'hui. Moissey avec ses neuf cent cinquante
habitants était le centre le plus actif;
c'était le marché de La Serre établi
sur la grande voie menant de Dole vers le
nord.
L'ECONOMIE ACTUELLE - La ruine
de la Serre a commencé avec la crise de la vigne.
Les vignerons connurent de belles années jusqu'en
1875, mais vers 1880, le phylloxera venu du sud
atteignait la plaine doloise. La crise devait durer dix
ans; favorisée par des étés secs et
chauds, le phylloxera ravagea toutes les vignes qu'on dut
arracher. Les statistiques de 1890 marquent une fort
diminution sur celles de 1850: à Frasne, la
superficie plantée en vigne était
tombée de 117 hectares à 50, à
Montmirey le Château de 131 hectares à 35;
mais on put reconstituer les vignes avec des plants
américains, que firent venir les associations de
viticulteurs et les communes; une campagne fut
menée pour apprendre aux vignerons à
soigner rationnellement leurs vignes. Cependant
après un léger relèvement, la vigne
continua à décroître. A Gredisans
où la superficie plantée en vigne
était de 98 hectares en 1850, où elle
était encore de 100 hectares en 1890, elle n'est
plus en 1923 que de 25 hectares; à Jouhe où
elle était encore de 207 hectares en 1890, elle
tombe à 44 hectares. Les maladies de la vigne:
mildiou, oidium, blackrot qui se succèdent au
début 20ème siècle ne suffisent pas
à expliquer sa disparition presque
complète; comme la crise de 1880, elles n'ont fait
que précipiter une évolution
nécessaire et déjà commencée;
le vin de La Serre était de qualité
moyenne; après la crise, il est devenu
médiocre. Il est de plus difficile à
transporter par suite de l'éloignement de la voie
ferrée; il n'a pu donc soutenir la concurrence des
vins du midi qui revenaient moins cher - Aujourd'hui la
vigne n'occupe plus que le tiers de la surface qu'elle
occupait en 1850; elle ne s'étend que sur trois
pour cent du territoire de l'arrondissement de Dole,
tandis que les cultures occupent soixante et un pour cent
des terres. Il ne reste à Moissey que quatre
vignerons s'occupant exclusivement de viticulture. Le vin
sert à la consommation locale.
Ainsi il a fallu au
XXème siècle remplacer la vigne dans
l'économie. Les cultures pourtant n'ont pas fait
beaucoup de progrès; de 1890 à 1923,
l'étendue des terres labourables diminue dans les
communes du pourtour; Auxange qui en avait 385 hectares
en 1850, n'en a plus que 290 en 1923; Dammartin qui en
avait 354 hectares, n'en a plus que 207. Dans les pays de
vigne, les terres labourables n'ont pu remplacer toutes
les vignes; sur les hauteurs et sur les pentes
d'éboulis, ce sont les friches qui gagnent du
terrain.
Les céréales -
occupent aujourd'hui [1934] les soixante et un
pour cent des terres labourables de l'arrondissement de
Dole. Le froment reste la culture dominante, étant
cultivée sur vingt huit pour cent des terres; mais
il n'a pas progressé dans la même proportion
que les autres cultures et son rendement n'est
passé que de 16 à 18 quintaux à
l'hectare, ce qui est faible pour l'époque
actuelle.
Actuellement la surface
cultivée en avoine égale presque celle du
froment; elle occupe vingt sept pour cent des terres et
son rendement atteint de 25 à 30 quintaux à
l'hectare. Son développement est lié
à celui de l'élevage. Le seigle n'occupe
que deux pour cent des terres. L'orge trois pour cent,
mais sur ces petites quantités, leur accroissement
va jusqu'à deux cent pour cent. Ils occupent en
général d'anciennes terres à vigne
qu'on aurait pas pu consacrer à des cultures plus
riches. Le maïs a pénétré dans
le sud de La Serre sous l'influence de La Bresse, mais il
n'occupe qu'un pour cent des terres; les plantes
sarclées ont augmenté plus
généralement que les
céréales; elles occupent treize pour cent
des terres; sur cette quantité, les betteraves
comptent pour quatre pour cent et la pomme de terre pour
neuf pour cent. La betterave était à peine
cultivée dans La Serre; aujourd'hui, on la trouve
partout. A Frasne la surface plantée en betterave
est passée de un hectare à dix sept
hectares; à Champagney de cinq à trente
hectares. Les variétés
demi-sucrières tendent à se substituer aux
variétés fourragères. La betterave
à sucre a été introduite sous
l'Empire; Authumes en cultive cinq hectares , Biarne cinq
hectares, Ménotey un hectare. La récolte
est envoyée dans les sucreries et distilleries de
la Côte d'Or; mais les progrès sont minimes,
parce que La Serre, maintenant isolée a
gardé des modes de culture arriérés;
l'assolement triennal n'a pas encore disparu et la
surface en jachère nue est encore égale
à celle des plants sarclés.
L'Élevage - Le
progrès le plus important a été
réalisé par l'élevage; les prairies
ont partout augmenté et leur accroissement est
beaucoup plus sensible que celui des cultures. Les
prairies naturelles ont gagné tous les endroits
suffisamment humides, aussi à Moissey, sur les
marnes, leur étendue passe de 26 à 204
hectares; elle s'accroît dans les mêmes
proportions à Frasne sur les alluvions, à
Biarne dans la vallée, et à Gredisans sur
des marnes. On leur adjoint des prairies artificielles;
celles-ci occupent treize pour cent des terres dans la
plaine doloise: le trèfle compte pour cinq pour
cent, le sainfoin sept pour cent, la luzerne un pour
cent. Aussi la densité du bétail s'est-elle
accrue dans de fortes proportions. L'augmentation moyenne
est de dix à vingt têtes de bétail
par cent habitants. Les habitants de La Serre sont
restés fidèles au petit élevage;
chaque cultivateur possède une ou deux vaches
qu'il élève pour la production de lait et
dont il vend les veaux à des marchands de passage.
En été un pâtre communal est
chargé du soin du troupeau du village.
La coopération seule
permet de tirer parti du troupeau. En 1833, pour la
première fois, était introduit un
établissement analogue aux fruitières du
Jura; depuis, toute La Serre a adopté le
système coopératif, pour l'utilisation du
lait. On englobe sous le nom de laiteries, beurreries et
fromageries. Les beurreries ont été les
premières installées. Dans chaque village
les habitants choisissent l'un d'entre eux qui contre un
salaire, se charge de la transformation de tout le lait.
Il possède les machines, et quand elles ne sont
pas mues à l'électricité, chacun
vient à son tour les faire manuvrer. Le
beurre fait, on vend le petit lait pour les porcs et on
partage le bénéfice de la vente.
Aujourd'hui le lait va aussi dans les fromageries; elles
sont constituées exactement sur le modèle
des fruitières. On fait venir un
spécialiste qui transforme le lait en fromage de
gruyère.
A Frasne on fait deux fromages
par jour. Ces établissements sont d'ailleurs
rudimentaires et l'on ne saurait en rien comparer leur
activité à celle des fruitières du
Jura; leurs produits servent en majorité à
l'approvisionnement de Dole.
L'élevage tient ainsi
dans l'économie agricole, le rôle que tenait
autrefois la vigne; c'est lui qui donne l'argent liquide,
mais cette transformation ne s'est pas faite sans un
véritable bouleversement de la région. Ce
ne sont pas les anciens pays à vigne qui ont le
mieux tiré parti de l'élevage; leurs
friches n'ont souvent nourri que des moutons; à
Moissey, la densité du bétail bovin, n'est
que de trente bêtes par cent habitants. Les
communes les plus riches, sont maintenant celles du
pourtour: Malange, Amange, Champagney, Peintre, Pointre
qui ont plus de cent têtes de bétail par
cent habitants. La richesse vient aujourd'hui de la
plaine.
La Montagne proprement dite n'a
guère trouvé de ressources nouvelles; La
Serre n'est plus une région industrielle ! On a
pensé au début du XXème s. y trouver
de la houille et faire ainsi revivre l'industrie; en
effet la constitution du terrain permettait de penser
qu'il était bordé de dépôts
houillers; mais les sondages ont été
négatifs.
Il ne reste donc à La
Serre que ses carrières et sa forêt; seules
les carrières du sud sont activement
exploitées. La pierre de Sampan a toujours
été et reste recherchée. Elle sert
notamment à la construction des maisons de Dole et
toutes les maisons de pierre de la Vallée de la
Saône, sont faites en pierre de La
Serre.
Il y a quelques années,
une carrière s'est ouverte à
côté de Moissey, dans les eurites
extrêmement dures qui bordent le massif granitique
à l'ouest; elles sont utilisées pour
l'empierrement des routes. Le sable du sommet est vendu
en grande partie aux travaux publics pour le goudronnage
des routes.
La forêt n'a pas toujours
rendu ce que l'on pouvait espérer; elle est
divisée en bois communaux traités en
taillis sous futaie avec une révolution
d'exploitation de 25 ans. Le taillis est distribué
entre les habitants pour leur affouage. La production
moyenne est de 140 à 145 stères de bois de
chauffage et de 1000 à 1200 fagots, par hectare.
La futaie est vendue dans les scieries; le chêne
est abondant, le hêtre donne de beaux bois de
menuiserie.
Mais le bois de La Serre
souffre de la concurrence des forêts voisines
nombreuses et plus accessibles. Les scieries sont
établies entre La Serre et les forêts de
plaine [il y en a deux à Moissey] La Serre
fournit surtout des traverses de chemin de fer dont elle
produit en moyenne cinq mille par an.
Aussi n'est-il pas
étonnant que La Serre ait subi un terrible
dépeuplement; Moissey qui avait 950 habitants en
1850, n'en a plus que 362 aujourd'hui. Dans l'ensemble,
toutes les communes ont perdu cinquante pour cent de leur
population; celles du centre en ont perdu plus de
soixante pour cent. La natalité a diminué;
les gens sont partis, chassés par la double crise
de la vigne et de l'industrie; seules les communes du
sud, Authume et Jouhe n'ont pas souffert: elles sont
devenues la banlieue de Dole; elles ont perdu leur
caractère agricole. Leurs habitants vont
travailler tous les jours dans les usines de Dole qui
attirent de plus en plus les ouvriers.
Aujourd'hui [1934] La
Serre est un pays pauvre, à l'écart des
grandes voies de communication qui empruntent la
Vallée du Doubs et dont l'ouverture l'a
ruinée; elle garde ses genres de vie
traditionnels, tandis que les pays qui l'entourent ont
évolué.
Son appauvrissement est
dénoncé à chaque instant par une
maison abandonnée, un champ en friche, où
poussent des pieds de vigne sauvages; elle a
semblé se tourner vers l'élevage, mais ses
terres sont trop variées pour qu'elle puisse s'y
consacrer exclusivement. Elle reste un pays de petite
culture qui ne trouve plus guère sur son
territoire, de ressources nouvelles et n'attend sa
prospérité que de la proximité de
Dole.
Etiennette
POTHIER
Texte retranscrit
par Monsieur J.-P. Outters de Dijon
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