La montagne de La SERRE
            en 1934 extrait des Annales de Bourgogne Tome VI par
            Etiennette POTHIER
            
             
            
            Le Pays, l'habitat,
            
             
            
            A l'Est de la Saône,
            quand on remonte la vallée, en amont d'Auxonne, on
            voit émerger d'une région de petites
            collines, une longue croupe boisée. C'est La SERRE
            qui s'étend sur 17 kilomètres de long et 5
            kilomètres de large au Nord de Dole, entre le
            Doubs, la Saône et l'Ognon. Cet îlot
            cristallin qui perce la couverture de roches
            sédimentaires, est un Morvan en miniature, une
            petite région naturelle qui tranche sur l'uniforme
            plaine voisine.
            
             
            
            Le PAYS - C'est un
            témoin de la grande chaîne qui sur
            l'emplacement de la France actuelle, s'étendait
            à l'époque primaire de la Bretagne au
            Massif Central et aux Vosges. A l'époque
            tertiaire, des mouvements orogéniques
            provoquèrent l'affaissement de la Plaine de la
            Saône, mais le massif cristallin resta en place et
            se trouva surélevé. Les cours d'eau qui se
            jetaient dans la Bresse transformée alors en un
            vaste lac, décapèrent les couches
            sédimentaires et firent apparaître le massif
            cristallin et désagrégèrent sa
            bordure.
            
            Le Massif domine la plaine
            d'une ligne régulière, haute de 380
            mètres, qui se prolonge au-dessus de Dole, par le
            sommet du mont Roland
            
            Les formes en sont douces comme
            celle d'un ballon vosgien, le chemin de la crête
            qui parfois entame les granits aux tons vifs, court le
            plus souvent sur des sables plantés de
            genêts et de bruyère; sur les hauteurs, les
            vallées ne forment que de légères
            ondulations, aussi l'impression de montagne n'est point
            si forte, qu'on ne lui préfère souvent le
            nom de forêt: on dit indifféremment la
            Montagne ou la Forêt de La Serre. La limite de la
            forêt est la même en effet que celle des
            terres froides de granit. C'est un épais taillis
            de feuillus où domine le chêne et le charme,
            mais où apparaissent quelques espèces
            particulières aux terrains siliceux:
            châtaigniers, alisiers, cornouillers. Les bas-fonds
            où s'est accumulée la terre, portent de
            belles futaies.
            
            La forêt adoucit encore
            les contours et accentue l'unité de massif; sur la
            bordure, l'aspect change: les rivières s'enfoncent
            de 100 mètres, sur quelques kilomètres,
            entaillent de véritables gorges, par où
            elles regagnent les roches plus tendres du
            pourtour.
            
            A l'uniformité du
            massif, s'oppose la diversité du pays qui
            l'enveloppe; à l'est une large table de calcaire
            oolithique, vient buter contre le granit; c'est un
            plateau sans horizon, coupé de larges ondulations
            qui portent un bouquet de bois à leur sommet; il
            disparaît à l'est sous les alluvions de la
            forêt d'Arne.
            
            Au sud le plateau calcaire plus
            élevé est haché de failles qui
            trahissent çà et là un îlot de
            marne ou une petite côte. L'eau disparaît
            dans des gouffres, des dolines. La surface sèche
            et rocailleuse des plateaux dominés par le Mont
            Roland, porte quelques champs à la terre rouge et
            des friches buissonneuses; la vigne s'étend sur
            les éboulis des pentes.
            
            A l'ouest et au nord au
            contraire, l'inclinaison des couches est plus forte;
            trois bancs plus durs affleurent successivement à
            la surface et donnent autant de côtes. La
            première porte le village d'Offlanges; c'est la
            plus élevée et elle se distingue à
            peine du massif. Il faut être au sommet pour
            apercevoir le vallon encaissé où le
            ruisseau des Croisières s'est enfoncé
            profondément dans les grés durs à
            l'emplacement de la première dépression
            périphérique de la Serre. La
            deuxième côte est
            précédée par une large
            dépression creusée dans les marnes du lias,
            à la fois région de terres fertiles et voie
            de communication. La côte est fragmentée par
            les affluents de la Saône. Des plateaux dont le
            type est la grande Haie s'inclinent en pente douce vers
            la plaine et se terminent par des escarpements du
            côté de La Serre. En arrière, deux
            petites buttes de calcaire aux pentes abruptes, offrent
            des sites de défense et l'une d'elle porte encore
            les ruines du château féodal de Montmirey,
            dont les seigneurs exercèrent leur domination sur
            toute la région.
            
             
            
            L'HABITAT - Ce pays porte
            aujourd'hui de gros villages concentrés, tous
            établis sur la bordure de roches
            sédimentaires, tandis que le massif cristallin
            reste inhabité.
            
            Il fut peuplé de bonne
            heure: Les premières traces humaines remontent au
            néolithique. Il subit plusieurs colonisations dont
            la toponymie a gardé les marques. Une route
            romaine suivait la dépression de Moissey; les
            villages établis aux alentours portent les noms en
            -ey [Ménotey, Montmirey, Champagney,
            Chevigny] qui dominent dans l'ouest. Dans l'est vint
            s'établir une colonie burgonde; les noms qui
            dérivent de cette colonisation se terminent en
            -ans et en -ange[Brans, Lavans, Auxange,
            Malange].
            
            Au VI e siècle l'habitat
            était à peu près
            fixé.
            
            La Serre apparaît de
            bonne heure comme soumise à des influences
            diverses; plus tard les maisons franc-comtoises et les
            fermes bressanes s'y rencontrent. La maison fran-comtoise
            qui domine dans l'Est est massive, presque carrée,
            son toit immense à pans coupés, abrite de
            vastes greniers qui lui donnent la hauteur d'une maison
            à étage; sur la façade s'ouvrent
            l'appartement composé de deux pièces en
            profondeur, au centre la grande porte arrondie de la
            grange, puis l'écurie. La ferme bressane est
            composée des mêmes éléments,
            mais elle est allongée et beaucoup plus basse. Une
            troisième forme de maisons caractérise le
            centre du pays: C'est ce qu'on appelle la maison en
            hauteur, l'appartement est à l'étage ou
            surélevé et il communique avec la rue par
            un escalier extérieur; le rez-de-chaussée
            est consacré à la cave, au chaix qui est de
            plain-pied avec la rue, ou presque.
            
            Les maisons ne laissant aucun
            espace entre elles, elles donnent à Moissey un
            aspect de petite Ville. On retrouve cette forme en
            Bourgogne dans tous les pays de vignoble et on l'a
            expliquée par les conditions nécessaires au
            travail du vin. L'exemple de La Serre appuierait encore
            cette théorie. La Serre a été un
            vignoble et les maisons en hauteur sont
            concentrées dans les communes qui se consacraient
            à la culture de la vigne.
            
             
            
            L'ECONOMIE ANCIENNE - Dans une
            statistique du Baillage de Dole, en 1683, on trouve cette
            opposition, La Bresse partie Sud du Baillage, est le pays
            pauvre, La Serre est le pays riche [dans l'usage
            courant on applique le nom de "SERRE" non seulement
            à la montagne proprement dite, mais à la
            région accidentée dont elle est le
            centre]. Cette situation qui est retournée
            aujourd'hui, a duré jusqu'au XIX e
            siècle.
            
            Le Vin - La Serre devait sa
            prospérité à son vignoble. Sa
            bordure présente en effet les mêmes
            altitudes moyennes de 200 à 300 mètres, les
            mêmes pentes d'éboulis, calcaires aux terres
            chaudes et bien égouttées, le même
            climat que les vignobles de Bourgogne et du Jura. Son
            exposition dominante ouest et sud et la
            variété de ses terrains marneux ou
            calcaires rapprochent plutôt le vignoble de La
            Serre, du vignoble du Jura.
            
            Au Moyen Âge il
            était déjà constitué; les
            chartes établissant les droits des seigneurs de
            Moissey et Menotey sont en grande partie
            consacrées à la vigne. En 1281 le
            prévôt de Dole recevait "la Quinte partie
            des fruits de vigne" comme dîme. Mais c'est au XVII
            e siècle que la vigne semble avoir atteint sa plus
            grande extension; en 1727, Menotey récoltait 1766
            queues de vin [la queue valant 450 litres] pour
            89 caves; Gredisans 721 queues pour 31 caves. Ce
            développement était à peu
            près identique dans la première
            moitié du XIX e siècle, période pour
            laquelle nous disposons de statistiques
            générales. En 1850 Menotey possédait
            209 hectares de vignes sur 373 hectares de terres,
            à Gredisans les vignes représentaient 80
            pour cent des autres cultures, à Offlange,
            Moissey, Jouhe, plus de 50 pour cent.
            
            La vigne dominait sur les
            pentes calcaires de l'ouest et du sud, mais on en
            trouvait également dans les régions moins
            favorables de l'est, et on en tirait un tel profit que
            sans souci de la qualité du vin, on l'aurait
            étendue jusque sur des arêtes granitiques.
            Aussi le vin de la serre était-il de
            qualité très inégale; seuls quelques
            vins blancs de Frasnes, de Rainans, de Gredisans
            étaient réputés. Une partie de ce
            vin était vendue dans les plaines voisines et
            même en Lorraine et les habitants pouvaient ainsi
            mettre quelque argent de côté, car ils
            avaient d'autre part de quoi se suffire.
            
             
            
            Les céréales -
            Les terres étaient assez variées pour
            produire "un peu de tout"
            
             
            
            Voici la répartition des
            cultures vivrières dans l'arrondissement de Dole
            en 1840:
            
            1°) le froment: 17260
            ha,
            
            2°) le méteil
            [mélange de blé et seigle
            cultivés ensemble]: 1895 ha,
            
            3°) le seigle: 46
            ha,
            
            4°) l'orge: 3554 ha, 5) )
            sarrazin: 220 ha, maïs et millet: 4764 ha, 7° )
            avoine 4946 ha, légumes secs: 450 ha; la culture
            du froment était de beaucoup la plus
            répandue; on obtenait un rendement de 169 quintaux
            à l'ha, presque égal à celui
            d'aujourd'hui (1934). Les pays à blé
            étaient ceux du pourtour, ceux qui produisaient le
            moins de vigne.
            
             
            
            En 1850, Malange pouvait
            exporter les deux tiers de ses céréales,
            Auxange la moitié, Champagney les deux
            cinquièmes. Au contraire les pays de vigne
            devaient en importer: Frasnes importait les trois quarts
            de ses céréales, Gredisans les sept
            huitièmes, Jouhe les trois quarts. La plante
            oléagineuse la plus répandue était
            la navette; les plantes textiles étaient
            représentées par le chanvre, auquel on
            réservait encore les meilleures terres en 1840 et
            qui était l'objet d'une dîme au XVIII
            ème siècle.
            
            L'exploitation reposait sur
            l'assolement triennal qui faisait alterner le froment
            avec les plantes sarclées et laissait la terre en
            jachère pendant un an; à côté
            d'engrais comme le fumier et les cendres de lessive, on
            employait le marnage pour les terres calcaires. Il n'y
            avait de prairies que dans les fonds de vallée
            trop humides; elles étaient mal entretenues et le
            foin était de mauvaise qualité; on envoyait
            le bétail soit dans les terres en jachère,
            soit dans la forêt.
            
            Le bois - La forêt de la
            Serre n'a jamais été une forêt
            domaniale; au Moyen âge elle appartenait aux
            seigneurs; celui de Moissey donnait aux paysans "droit
            d'usage pour leurs affouages, bâtiments, aisances
            et commodités"; ils pouvaient y prendre "bois de
            faux, bois droit et mort bois en cas de
            nécessité et non autrement, tous arbres
            fruitiers et même des chênes à charge
            d'en user civilement et sans abus"
            
            Ils possédaient le droit
            d'y "paisseler" pour les vignes et d'y mener leurs
            troupeaux composés de porcs.
            
            Au XVIème siècle,
            la forêt fut partagée entre les communes
            riveraines dont les habitants conservèrent les
            mêmes droits.
            
            L'industrie - Mais la serre
            n'était pas seulement agricole. A
            côté des artisans de village, sabotiers et
            tonneliers qui utilisaient le bois ou tisserands, la
            Serre possédait une véritable industrie; en
            premier lieu on exploitait la pierre.
            
            Le grès et la pierre de
            la Serre trouvaient un débouché dans toutes
            les régions avoisinantes qui manquaient de pierre
            dure - on en faisait surtout des meules [on a
            retrouvé de ces meules dans des stations
            néolithiques] Serre les Moulières a
            tiré son nom de cette exportation; on fabriquait
            aussi des auges, des bornes et des pavés. Le
            calcaire oolithique de la bordure donne de très
            belles pierres de construction que l'on peut polir comme
            le marbre. Chaque village avait sa carrière
            exploitée par un entrepreneur aidé de cinq
            ou six ouvriers. Les plus belles pierres ont servi
            à la construction des monuments de Dole et de
            Besançon.
            
            Les tuilleries - Sur l'argile
            de la dépression liasique s'étaient
            établies des tuileries [Moissey en
            possédait trois]. En général un
            four à chaux leur était
            annexé.
            
            Le fer, la forge - A la base du
            calcaire oolithique, on trouve des gisements de fer en
            grains; une industrie du fer naquit de la
            proximité du minerai et du bois; le long des
            routes romaines, on a découvert des traces
            d'industrie sidérurgique. Au Moyen Âge les
            forges furent exploitées par les
            monastères, puis chaque village eut la sienne; les
            plus prospères étaient celles de l'est
            où le minerai était plus abondant et plus
            facile à exploiter. Elles fonctionnaient au bois;
            on réservait les futaies de la Serre à cet
            usage.
            
            Cette industrie était
            encore florissante au XIXème siècle, mais
            à cette époque elle utilisait la houille
            qu'on importait. Les forges se déplaçaient
            à mesure que s'épuisaient les gisements; en
            1860, les forges qui exploitaient les gisements de
            Montmirey, Dammartin, Gendrey employaient cent vingt
            ouvriers. Le fer était envoyé aux hauts
            fourneaux du Doubs et du Jura - une seule exploitation a
            subsisté jusqu'au XXème siècle;
            c'est celle d'Ougney - elle a fonctionné de
            nouveau pendant la guerre [1914-1918], mais
            aujourd'hui l'industrie a disparu de La Serre, mais
            près de là, dans la forêt d'Arne, la
            tradition a maintenu les forges de Fraisans n'utilisent
            plus la matière première de la
            région.
            
            La population - Cette
            diversité de ressources avait fait de La Serre,
            une région riche et peuplée; la
            densité de la population atteignit son maximum
            vers le milieu du XIXème siècle. La
            densité par rapport à la surface [la
            surface boisée non comprise] atteignait plus
            de cent cinquante habitants au kilomètre
            carré dans certaines communes; celles qui
            étaient situées sur le pourtour
            étaient les moins peuplées. La commune de
            Malange n'avait que vingt cinq habitants au
            kilomètre carré, celles de Champagney et de
            Dammartin n'en avaient que cinquante, par contre la
            commune de Menotey avait cent cinquante habitants au
            kilomètre carré, celles de Moissey,
            d'Offlanges, Jouhe en avaient plus de cent; cette forte
            densité s'expliquait par le fait que dans le
            vignoble, on peut vivre sur une petite superficie de
            terre, elle se traduit donc par l'extrême
            morcellement des terres qui a subsisté
            aujourd'hui. Moissey avec ses neuf cent cinquante
            habitants était le centre le plus actif;
            c'était le marché de La Serre établi
            sur la grande voie menant de Dole vers le
            nord.
            
             
            
            L'ECONOMIE ACTUELLE - La ruine
            de la Serre a commencé avec la crise de la vigne.
            Les vignerons connurent de belles années jusqu'en
            1875, mais vers 1880, le phylloxera venu du sud
            atteignait la plaine doloise. La crise devait durer dix
            ans; favorisée par des étés secs et
            chauds, le phylloxera ravagea toutes les vignes qu'on dut
            arracher. Les statistiques de 1890 marquent une fort
            diminution sur celles de 1850: à Frasne, la
            superficie plantée en vigne était
            tombée de 117 hectares à 50, à
            Montmirey le Château de 131 hectares à 35;
            mais on put reconstituer les vignes avec des plants
            américains, que firent venir les associations de
            viticulteurs et les communes; une campagne fut
            menée pour apprendre aux vignerons à
            soigner rationnellement leurs vignes. Cependant
            après un léger relèvement, la vigne
            continua à décroître. A Gredisans
            où la superficie plantée en vigne
            était de 98 hectares en 1850, où elle
            était encore de 100 hectares en 1890, elle n'est
            plus en 1923 que de 25 hectares; à Jouhe où
            elle était encore de 207 hectares en 1890, elle
            tombe à 44 hectares. Les maladies de la vigne:
            mildiou, oidium, blackrot qui se succèdent au
            début 20ème siècle ne suffisent pas
            à expliquer sa disparition presque
            complète; comme la crise de 1880, elles n'ont fait
            que précipiter une évolution
            nécessaire et déjà commencée;
            le vin de La Serre était de qualité
            moyenne; après la crise, il est devenu
            médiocre. Il est de plus difficile à
            transporter par suite de l'éloignement de la voie
            ferrée; il n'a pu donc soutenir la concurrence des
            vins du midi qui revenaient moins cher - Aujourd'hui la
            vigne n'occupe plus que le tiers de la surface qu'elle
            occupait en 1850; elle ne s'étend que sur trois
            pour cent du territoire de l'arrondissement de Dole,
            tandis que les cultures occupent soixante et un pour cent
            des terres. Il ne reste à Moissey que quatre
            vignerons s'occupant exclusivement de viticulture. Le vin
            sert à la consommation locale.
            
            Ainsi il a fallu au
            XXème siècle remplacer la vigne dans
            l'économie. Les cultures pourtant n'ont pas fait
            beaucoup de progrès; de 1890 à 1923,
            l'étendue des terres labourables diminue dans les
            communes du pourtour; Auxange qui en avait 385 hectares
            en 1850, n'en a plus que 290 en 1923; Dammartin qui en
            avait 354 hectares, n'en a plus que 207. Dans les pays de
            vigne, les terres labourables n'ont pu remplacer toutes
            les vignes; sur les hauteurs et sur les pentes
            d'éboulis, ce sont les friches qui gagnent du
            terrain.
            
            Les céréales -
            occupent aujourd'hui [1934] les soixante et un
            pour cent des terres labourables de l'arrondissement de
            Dole. Le froment reste la culture dominante, étant
            cultivée sur vingt huit pour cent des terres; mais
            il n'a pas progressé dans la même proportion
            que les autres cultures et son rendement n'est
            passé que de 16 à 18 quintaux à
            l'hectare, ce qui est faible pour l'époque
            actuelle.
            
            Actuellement la surface
            cultivée en avoine égale presque celle du
            froment; elle occupe vingt sept pour cent des terres et
            son rendement atteint de 25 à 30 quintaux à
            l'hectare. Son développement est lié
            à celui de l'élevage. Le seigle n'occupe
            que deux pour cent des terres. L'orge trois pour cent,
            mais sur ces petites quantités, leur accroissement
            va jusqu'à deux cent pour cent. Ils occupent en
            général d'anciennes terres à vigne
            qu'on aurait pas pu consacrer à des cultures plus
            riches. Le maïs a pénétré dans
            le sud de La Serre sous l'influence de La Bresse, mais il
            n'occupe qu'un pour cent des terres; les plantes
            sarclées ont augmenté plus
            généralement que les
            céréales; elles occupent treize pour cent
            des terres; sur cette quantité, les betteraves
            comptent pour quatre pour cent et la pomme de terre pour
            neuf pour cent. La betterave était à peine
            cultivée dans La Serre; aujourd'hui, on la trouve
            partout. A Frasne la surface plantée en betterave
            est passée de un hectare à dix sept
            hectares; à Champagney de cinq à trente
            hectares. Les variétés
            demi-sucrières tendent à se substituer aux
            variétés fourragères. La betterave
            à sucre a été introduite sous
            l'Empire; Authumes en cultive cinq hectares , Biarne cinq
            hectares, Ménotey un hectare. La récolte
            est envoyée dans les sucreries et distilleries de
            la Côte d'Or; mais les progrès sont minimes,
            parce que La Serre, maintenant isolée a
            gardé des modes de culture arriérés;
            l'assolement triennal n'a pas encore disparu et la
            surface en jachère nue est encore égale
            à celle des plants sarclés.
            
            L'Élevage - Le
            progrès le plus important a été
            réalisé par l'élevage; les prairies
            ont partout augmenté et leur accroissement est
            beaucoup plus sensible que celui des cultures. Les
            prairies naturelles ont gagné tous les endroits
            suffisamment humides, aussi à Moissey, sur les
            marnes, leur étendue passe de 26 à 204
            hectares; elle s'accroît dans les mêmes
            proportions à Frasne sur les alluvions, à
            Biarne dans la vallée, et à Gredisans sur
            des marnes. On leur adjoint des prairies artificielles;
            celles-ci occupent treize pour cent des terres dans la
            plaine doloise: le trèfle compte pour cinq pour
            cent, le sainfoin sept pour cent, la luzerne un pour
            cent. Aussi la densité du bétail s'est-elle
            accrue dans de fortes proportions. L'augmentation moyenne
            est de dix à vingt têtes de bétail
            par cent habitants. Les habitants de La Serre sont
            restés fidèles au petit élevage;
            chaque cultivateur possède une ou deux vaches
            qu'il élève pour la production de lait et
            dont il vend les veaux à des marchands de passage.
            En été un pâtre communal est
            chargé du soin du troupeau du village.
            
            La coopération seule
            permet de tirer parti du troupeau. En 1833, pour la
            première fois, était introduit un
            établissement analogue aux fruitières du
            Jura; depuis, toute La Serre a adopté le
            système coopératif, pour l'utilisation du
            lait. On englobe sous le nom de laiteries, beurreries et
            fromageries. Les beurreries ont été les
            premières installées. Dans chaque village
            les habitants choisissent l'un d'entre eux qui contre un
            salaire, se charge de la transformation de tout le lait.
            Il possède les machines, et quand elles ne sont
            pas mues à l'électricité, chacun
            vient à son tour les faire manuvrer. Le
            beurre fait, on vend le petit lait pour les porcs et on
            partage le bénéfice de la vente.
            Aujourd'hui le lait va aussi dans les fromageries; elles
            sont constituées exactement sur le modèle
            des fruitières. On fait venir un
            spécialiste qui transforme le lait en fromage de
            gruyère.
            
            A Frasne on fait deux fromages
            par jour. Ces établissements sont d'ailleurs
            rudimentaires et l'on ne saurait en rien comparer leur
            activité à celle des fruitières du
            Jura; leurs produits servent en majorité à
            l'approvisionnement de Dole.
            
            L'élevage tient ainsi
            dans l'économie agricole, le rôle que tenait
            autrefois la vigne; c'est lui qui donne l'argent liquide,
            mais cette transformation ne s'est pas faite sans un
            véritable bouleversement de la région. Ce
            ne sont pas les anciens pays à vigne qui ont le
            mieux tiré parti de l'élevage; leurs
            friches n'ont souvent nourri que des moutons; à
            Moissey, la densité du bétail bovin, n'est
            que de trente bêtes par cent habitants. Les
            communes les plus riches, sont maintenant celles du
            pourtour: Malange, Amange, Champagney, Peintre, Pointre
            qui ont plus de cent têtes de bétail par
            cent habitants. La richesse vient aujourd'hui de la
            plaine.
            
            La Montagne proprement dite n'a
            guère trouvé de ressources nouvelles; La
            Serre n'est plus une région industrielle ! On a
            pensé au début du XXème s. y trouver
            de la houille et faire ainsi revivre l'industrie; en
            effet la constitution du terrain permettait de penser
            qu'il était bordé de dépôts
            houillers; mais les sondages ont été
            négatifs.
            
            Il ne reste donc à La
            Serre que ses carrières et sa forêt; seules
            les carrières du sud sont activement
            exploitées. La pierre de Sampan a toujours
            été et reste recherchée. Elle sert
            notamment à la construction des maisons de Dole et
            toutes les maisons de pierre de la Vallée de la
            Saône, sont faites en pierre de La
            Serre.
            
            Il y a quelques années,
            une carrière s'est ouverte à
            côté de Moissey, dans les eurites
            extrêmement dures qui bordent le massif granitique
            à l'ouest; elles sont utilisées pour
            l'empierrement des routes. Le sable du sommet est vendu
            en grande partie aux travaux publics pour le goudronnage
            des routes.
            
            La forêt n'a pas toujours
            rendu ce que l'on pouvait espérer; elle est
            divisée en bois communaux traités en
            taillis sous futaie avec une révolution
            d'exploitation de 25 ans. Le taillis est distribué
            entre les habitants pour leur affouage. La production
            moyenne est de 140 à 145 stères de bois de
            chauffage et de 1000 à 1200 fagots, par hectare.
            La futaie est vendue dans les scieries; le chêne
            est abondant, le hêtre donne de beaux bois de
            menuiserie.
            
            Mais le bois de La Serre
            souffre de la concurrence des forêts voisines
            nombreuses et plus accessibles. Les scieries sont
            établies entre La Serre et les forêts de
            plaine [il y en a deux à Moissey] La Serre
            fournit surtout des traverses de chemin de fer dont elle
            produit en moyenne cinq mille par an.
            
            Aussi n'est-il pas
            étonnant que La Serre ait subi un terrible
            dépeuplement; Moissey qui avait 950 habitants en
            1850, n'en a plus que 362 aujourd'hui. Dans l'ensemble,
            toutes les communes ont perdu cinquante pour cent de leur
            population; celles du centre en ont perdu plus de
            soixante pour cent. La natalité a diminué;
            les gens sont partis, chassés par la double crise
            de la vigne et de l'industrie; seules les communes du
            sud, Authume et Jouhe n'ont pas souffert: elles sont
            devenues la banlieue de Dole; elles ont perdu leur
            caractère agricole. Leurs habitants vont
            travailler tous les jours dans les usines de Dole qui
            attirent de plus en plus les ouvriers.
            
            Aujourd'hui [1934] La
            Serre est un pays pauvre, à l'écart des
            grandes voies de communication qui empruntent la
            Vallée du Doubs et dont l'ouverture l'a
            ruinée; elle garde ses genres de vie
            traditionnels, tandis que les pays qui l'entourent ont
            évolué.
            
            Son appauvrissement est
            dénoncé à chaque instant par une
            maison abandonnée, un champ en friche, où
            poussent des pieds de vigne sauvages; elle a
            semblé se tourner vers l'élevage, mais ses
            terres sont trop variées pour qu'elle puisse s'y
            consacrer exclusivement. Elle reste un pays de petite
            culture qui ne trouve plus guère sur son
            territoire, de ressources nouvelles et n'attend sa
            prospérité que de la proximité de
            Dole.
            
            Etiennette
            POTHIER
            
             
            
            Texte retranscrit
            par Monsieur J.-P. Outters de Dijon 
         
         
       |