C'était une
douce journée de la fin du mois d'août.
Comme à chaque fois que j'en avais l'occasion,
j'accompagnais mon oncle dans les travaux des champs.
Sensiblement plus jeune que mes parents, il semblait
prédestiné à la vie de paysan :
barbu et un peu rustre, on ne l'avait toujours vu heureux
qu'entouré de grands espaces ou d'animaux. Les
rares fois où il était contraint de
s'endimancher pour une fête de famille, il
disparaissait immanquablement et il fallait aller le
débusquer dans un débarras ou un potager
voisin pour qu'il souffre figurer sur la photo de
groupe.
Ce jour-là, pas
de vêtement du dimanche mais ses éternels
short et t-shirt déchirés. Il conduisait sa
moissonneuse-batteuse dans la dernière parcelle de
blé qui restait à faucher. Du haut de mes
huit ans, j'étais fasciné par la
complexité apparente de la machine. Je passais
avec joie la journée à étudier la
danse des cadrans virevoltants et des voyants
clignotants, essayant de deviner l'utilité d'un
levier ou d'un bouton. Je me délectais de ces
heures de silence contemplatif en compagnie de mon oncle
taciturne.
La quiétude de
cette matinée n'avait été
troublée que par une harde de sangliers
dérangée par notre activité et qui
avait filé dans le maïs voisin, non sans
être repérée par mon oncle, qui, en
chasseur invétéré, préparait
déjà les prochaines battues. L'ouverture
approchait.
Déjà, la
remorque était pleine de grains, une bonne
moitié du champ avait été
fauché et il était temps de rentrer
décharger à la ferme. Nous avions bien
avancé, disposions de deux jours pour tout
moissonner et le temps était sec. Aucune
hâte, nous reviendrons demain à la
fraîche pour terminer.
J'adorais parcourir
les petits chemins escarpés du retour
perché dans la cabine. Le point de vue
était extraordinaire, par-delà les haies
qui coupent la perspective aux automobilistes. Nous
longions des gorges vertigineuses sur des chemins si
étroits que les voitures que nous croisions
devaient se ranger et nous saluaient d'en bas, pendant
que les enfants me lançaient des regards
émerveillés et envieux.
Nous venions de nous
engager de toute notre largeur sur le passage le plus
encaissé du trajet. De mon côté, nous
longions la paroi brute. J'aurais pu en toucher le
surplomb par la fenêtre s'il n'avait fallu en
laisser la vitre fermée pour éviter
d'être fouetté par les arbustes qui y
poussaient. De l'autre côté se trouvait un
précipice si abrupt et proche de la route que nous
ne distinguions pas le bas-côté depuis la
cabine, ce qui me faisait
toujours
frissonner lors de
l'itinéraire aller, même si je savais que
tonton était un super conducteur.
À ce moment,
une voiture apparut. Elle roulait à vive allure et
nous fit des appels de phare en fonçant en notre
direction. Tonton décéléra en
grommelant « Qu'est-ce qu'il a le touriste ? »
en référence à l'immatriculation
lyonnaise de la grosse berline bientôt
immobilisée devant nous. On y distinguait un
conducteur agité qui jouait à
présent du klaxon et gesticulait de lui
libérer le passage. Connaissant le
caractère bourru de mon oncle, je jugeai que ce
n'était sans doute pas la bonne attitude à
adopter pour en obtenir quelque chose.
Le conducteur ne
partageait manifestement pas mon analyse puisque,
descendu du véhicule, il s'était
approché de la porte de la moissonneuse et
était passé à l'étape de
l'intimidation. En effet, nous dit-il avec un faux air de
confidence, il transportait un personnage politique
très important, évidemment très
pressé et vraiment pas patient et il nous
"conseillait" de les laisser passer au plus vite pour
éviter les problèmes. La réponse
avunculaire ne se fit pas attendre : « Il est hors
de question que je recule : je me suis engagé dans
le passage et je vais continuer. Ce serait bien le
Président de la République à
l'arrière de la voiture que cela n'y changerait
rien. Si vous voulez passer, il faudra commencer par
reculer sur un kilomètre jusqu'au replat de la
Serra. »
Sans surprise, le ton
monta et bientôt le passager impatient descendit
à son tour du véhicule. Il s'agissait du
Préfet de la région Rhône-Alpes (dont
nous dépendions également dans nos confins
de montagne jurassienne de l'Ain) et il semblait en effet
pressé et passablement agacé de la
situation. A la différence de son chauffeur qui
était de plus en plus véhément, il
joua la carte de l'apaisement : « Ecoutez mon vieux
(aïe, pas sûr que tonton apprécie cette
entrée en matière), j'ai une réunion
extrêmement importante et je dois rentrer à
Lyon de toute urgence. Reculez d'une cinquantaine de
mètres que nous puissions nous faufiler sur le
bas-côté et n'en parlons plus. » Mais
tonton resta inflexible : c'était non.
Était-ce un
hasard ou le haut-fonctionnaire avait-il
discrètement appelé à l'aide,
toujours est-il que l'estafette bleue des gendarmes du
village fit à ce moment son apparition et vint se
garer derrière la voiture bloquée. Parmi
les militaires qui en descendirent, je reconnus le
brigadier Jean Chappuis, qui avait toujours vécu
au village (où tout le monde l'appelait Jeannot)
et qui
côtoyait
souvent mon oncle, notamment les dimanches de chasse
lorsqu'il n'était pas en service.
Le capitaine de la
brigade avait également fait le déplacement
et, après s'être empressé de saluer
le préfet, il se dirigea avec autorité au
pied de la moissonneuse-batteuse et nous intima l'ordre
de dégager le passage. Alors que j'aurais
volontiers obtempéré et que je
commençais à craindre que son rejet
buté de l'autorité ne lui porte vraiment
préjudice, mon oncle toisa impassiblement le
militaire et resta inflexible : c'était hors de
question.
Chappuis
s'avança à son tour, il grimpa les deux
marches pour se mettre au niveau de la cabine, serra la
main de mon oncle et ils entamèrent une discussion
à moitié couverte par le bruit du moteur.
Je compris que Jeannot commença par s'informer sur
l'avancée de la moisson avant de
s'inquiéter de la situation dans laquelle nous
nous retrouvions. Pourquoi ne pas reculer et nous
éviter à nous comme à lui des
problèmes certains ? Mon oncle lui répondit
quelque chose en accompagnant son explication d'un
haussement d'épaules et d'un sourire. Jeannot nous
sourit en retour et descendit parler à son
supérieur. Sa seule réponse fut : « Il
ne pouvait pas le dire plus tôt ? », puis il
s'empressa de faire son rapport au Préfet qui
rétorqua également d'un : « Il ne
pouvait pas le dire plus tôt ? » agacé.
Tout le monde regagna son véhicule.
L'estafette et la
berline reculèrent alors et nous les
suivîmes de près. Les deux voitures fuyant
devant la barre de coupe géante de la moissonneuse
me firent penser aux faisans que nous dérangions
parfois durant la moisson et qui couraient droit devant
la machine, rassurés par l'abri précaire
que semblaient leur procurer les céréales
que nous convoitions.
Finalement, ils
profitèrent de l'élargissement
annoncé pour se serrer sur le
bas-côté. Nous passâmes et je leur fis
de larges saluts du haut de mon promontoire, auxquels
seul Jeannot répondit d'un sourire
discret.
Quelques minutes
silencieuses plus tard, je finis par poser la question
qui me brûlait les lèvres :
« Tonton,
qu'est-ce que tu lui as dit à Jeannot ? » Il
me regarda, étonné par mon interrogation :
« Tu sais bien qu'il n'y a pas de marche
arrière sur cette
moissonneuse... »
J'eus la même réaction que les autres :
« Mais pourquoi tu ne leur as pas dit plus tôt
? -" Bah, ils me l'ont pas demandé...
»
Le fruit (mal)
défendu
A l'aube du
7ème jour, alors que le Créateur
s'accordait un repos bien mérité,
l'animation était vive dans les couloirs de
l'Administration Céleste. Il faut dire que
même si le Boss avait officiellement
déclaré : « le Monde est parfait
» avant de prendre sa journée, il restait
quand même pas mal de boulot...
Si tout était
calme au DPDJ (Département du Premier et
Deuxième Jours), qui était officiellement
responsable de la mise en uvre des directives
édictées lors des deux premiers jours de la
Création, durant lesquels Dieu n'avait
créé que la lumière, le jour, la
nuit, le ciel et la mer ; le désarroi
était
nettement plus
prononcé au Département du 5ème
jour, que le Patron avait consacré à
l'invention du règne animal mais qu'il aurait, de
l'avis général, sans doute mieux fait de
chômer. Les anges de cette division
récupéraient en effet souvent un travail
bâclé. Ainsi, ce poisson à moustaches
qui s'était retrouvé affublé de la
possibilité de respirer par l'estomac et qu'Adam
(créé
au 6ème jour)
avait pris pour un chat, ou toutes ces petites
espèces dépourvues d'organes reproducteurs
qui avaient obligé les Séraphins à
bricoler en catastrophe le concept de reproduction
asexuée, ou encore cet incroyable assemblage de
morceaux d'animaux qui avait abouti à ce
drôle de mammifère à bec de canard,
pattes de loutre, queue de castor qui portait un
aiguillon de venin et des bajoues et dont la femelle
pondait des ufs ! Si ça ce n'était
pas la preuve que le Boss était pressé de
terminer sa journée... Et pour couronner le tout,
Adam, qui avait été chargé de donner
un nom à toutes ces créatures, avait
trouvé malin d'appeler ça d'un
imprononçable Ornithorynque.
L'ange Mehashaphkiel
venait quant à lui d'être affecté au
poste d'agent technique angélique d'échelon
I (plus communément appelé ange-larbin)
au
sein du
Département du 3ème jour. Ce service
était en charge de l'exécution des
directives édictées lors du premier
mercredi de l'Histoire, durant lequel le Patron avait
regroupé les eaux pour faire apparaître la
terre et créé la vie ainsi que toutes les
espèces végétales : herbes, fleurs,
arbres, algues, mousses, fruits, lichens, champignons,
phytoplanctons... Dans les couloirs du
Département, il se disait à mots couverts
que le programme de cette journée avait sans doute
été un peu trop ambitieux pour un
démiurge qui n'en
était
qu'à sa
troisième journée de Création, et il
restait de nombreux détails à
régler.
Lors du comité
de direction matinal, le Séraphin en charge du
Département rappela la feuille de route à
ses collaborateurs directs :
« Mes amis, les
consignes divines sont à la fois claires et
concises : après avoir fait apparaître la
Terre, Dieu a dit : « Que soit produite la verdure,
l'herbe portant de la semence et des arbres fruitiers
donnant du fruit ». Voilà, c'est tout ce que
nous avons en ce qui concerne le règne
végétal. On nous a juste fourni une liste
des espèces que nous devons inventer d'ici demain.
A vous de jouer Messieurs, soyez créatifs et ne me
décevez pas ! »
Le Séraphin
attribua ensuite une liste de tâches à
chacun des Chérubins de son équipe puis
s'attela à respecter le commandement divin de ne
plus rien faire de la journée.
Les Chérubins
firent de même avec les anges qu'ils dirigeaient et
c'est ainsi que Mehashaphkiel se retrouva en charge du
projet J3ZC043 : Détermination des
caractéristiques techniques des fruits du
verger.
Le cahier des charges
en était précis : il s'agissait de
créer trois fruits, nommés Pomme, Poire et
Pêche, les plus variés possibles. Le
Chérubin-chef lui avait remis un dossier technique
en ajoutant ces quelques consignes : « Soyez
créatif Mehashaphkiel, et ne me décevez pas
! » avant de disparaître.
Comme prévu
dans le planning, Mehashaphkiel retrouva les trois
ébauches de fruit au milieu du verger ouest du
Jardin d'Eden et se mit immédiatement au travail,
en espérant terminer le plus rapidement possible.
Les réunions de ce genre étaient en effet
réputées pour être
particulièrement âpres, les êtres
nouvellement créés n'étant
généralement disposées à
faire des concessions les engageant pour
l'éternité qu'en échange de
sérieuses contreparties. Tous les anges
assignés à ce type de tâches avaient
en tête l'exemple du projet J5FW026
Détermination des caractéristiques
techniques des sous-espèces de souris pour lequel
les débats avaient été interminables
et où la Musaraigne, le Mulot et le Rat avaient
finis par céder à la fameuse revendication
de l'espèce appelée Eléphant :
« je veux bien porter cette trompe ridicule et
être la souris qui aura peur de toutes les autres
seulement si c'est moi qui suis la plus grosse
».
C'est dans cet
état d'esprit que Mehashaphkiel ouvrit la
réunion :
« Bonjour.
Conformément à la procédure standard
de détermination de caractéristiques que
j'ai sous les yeux, nous allons débuter par
choisir votre forme.
Ronde !
répondirent en chur les trois fruits.
&endash; Hum, répliqua l'ange, en temps normal une
seule d'entre vous
pourrait
bénéficier de cette forme parfaite et
régulière. Je pense que je peux vous
obtenir une dérogation et faire en sorte que deux
d'entre vous soient rondes... En revanche, pour toi, il
faudra t'accommoder d'une forme irrégulière
et biscornue », dit-il en se tournant vers la poire,
qui semblait la plus timide du trio. Devant son
hésitation, Mehashaphkiel baissa sensiblement la
voix et ajouta sur le ton de la confidence : « ne
t'inquiète pas, on va arranger ça par la
suite ». Cela suffit à emporter
l'adhésion du fruit indécis.
« Deuxième
point, la texture... Je veux être lisse et
croquante ! Dit la pomme. Et moi veloutée et
juteuse, enchaîna la pêche. Parfait. Donc il
me reste une peau rêche et une structure
grumeleuse
pour toi »
termina Mehashaphkiel en s'adressant à la poire,
confiante, à qui il promit de nouvelles
compensations.
Ce scénario se
répéta pour tous les autres attributs
débattus. Goût, couleur, popularité,
la poire récoltait toutes les tares en
échange de promesses de plus en plus
alléchantes. Si bien que lorsque la réunion
s'acheva par la dernière caractéristique,
Champ lexicaux associés, et que les
dernières expressions furent attribuées :
« une pomme d'amour », « avoir la
pêche » et « une poire à lavements
», Mehashaphkiel était allé
jusqu'à promettre à la poire de solliciter
directement le Créateur pour qu'il lui
accordât une propriété
spéciale faisant d'elle le « Saint-Graal de
tous les fruits de la Création ». Les
protagonistes se séparèrent tous
d'excellente humeur, partant chacun de leur
côté avec leurs amis respectifs, et
Mehashaphkiel ne put s'empêcher d'avoir une
pensée compatissante pour ses collègues
du
Département
du 5ème jour en voyant la pomme s'éloigner
avec un animal improbable tout en longueur et sans jambe,
contraint de ramper pour se
mouvoir.
Evidemment, la
poire avait été complètement
fluée par l'ange qui ne tint pas ses promesses. Sa
gestion du projet J3ZC043 valut même à
Mehashaphkiel une certaine notoriété au
sein de l'Administration Céleste :
régulièrement, les créatures
desquelles on tentait d'obtenir des concessions en
échange de contreparties douteuses
répondaient : « ne me prend pas pour une
poire ! »
Et C'est donc tout
naturellement que l'histoire arriva jusqu'aux oreilles de
la Commission Spéciale Interdépartementale
de la Nomenclature Divine. Ses membres planchaient
notamment à la dénomination des trois
grandes vertus théologales énoncées
par le Patron la veille ; ces piliers de la Religion
qu'il entendait insuffler dans le cur des
créatures auxquelles il
avait
consacré
l'intégralité du 6ème jour :
l'Homme. Si le Comité s'était assez
facilement entendu sur les vocables Foi
et
Charité,
les avis restaient partagés pour nommer la
troisième vertu que le Boss avait définie
comme « l'aspiration au bonheur placée dans
le cur de chacune de ses créatures ».
Or, c'était exactement le sentiment que
Mehashaphkiel avait réussi à faire
ressentir à un fruit fade, difforme et granuleux
en lui promettant mille merveilles. Les membres de la
commission, qui souhaitaient en finir avec leur semaine
et goûter eux aussi pour quelques heures à
cette nouveauté qu'ils venaient tout juste de
nommer Repos dominical, s'accordèrent pour rendre
hommage à l'ange en baptisant le concept
d'après son nom. Mais comme cette vertu capitale
ne pouvait décemment être appelée la
Mehashaphkielité ou le Mehashaphkiélisme,
on choisit plutôt d'utiliser le surnom de l'ange.
En effet, depuis quelques
heures,
partout dans le
Département du 3ème jour, on ne
désignait plus Mehashaphkiel que par le sobriquet
de Lèse-poire.
367
JOURS
Les jours sont des
abricots, juteux, tièdes et lumineux. Après
les pluies de septembre, c'est l'été
indien. Comme chaque jour, au moindre rayon de soleil,
j'attrape un Laguiole et file vers la colline. La petite
route défoncée par les intempéries
me mène jusqu'à la crête d'où
je m'enfonce dans le sous-bois. J'adore cette odeur
d'humidité et de bois pourri. Je vais d'un
chêne à l'autre, dénichant
cèpes et pieds de mouton. Ils sont frais, sains,
magnifiques. Avec de l'ail et du persil je vais me
régaler.
Je descends dans une
combe pour atteindre un bosquet qui dépasse. C'est
raide, très épais. Tout d'un coup mon pied
glisse sur un morceau de bois visqueux. Je dévale
la pente jusqu'au fond d'un petit ravin. Je n'ai pas eu
le temps d'avoir peur. Je n'ai pas celui de me relever.
Une mallette en cuir noir, flambant neuve, est là,
à portée de main. Et mes tripes savent
déjà que cette mallette va changer ma vie.
Le soleil fait briller la dorure de ses serrures.
L'attaché-case est identique à ceux qui
servent à transporter des liasses
de
dollars bien
rangées dans les films. Je l'attrape. La sensation
du cuir diffuse le long de mon bras le sentiment d'un
nouveau pouvoir, un pouvoir immense. Cette mallette
représente tout ce que je désire depuis si
longtemps.
Le vent dans les
cimes me tire de ma rêverie. Le ciel s'est
chargé. Les muscles de mon dos se contractent en
un rapide frisson lorsque la bise annoncée par le
frémissement des arbres m'atteint. Une branche
craque à environ trente mètres, puis une
autre. La fouille d'un écureuil ? Plus à
cette saison... Un sanglier ? Non ! Là, à
vingt pas, une ombre courbée : un homme progresse
difficilement dans le taillis de ronces. Le bruit de ma
chute l'aura sans doute alerté.
Instinctivement, je
sais qu'il faut fuir, sortir d'ici, ne pas me laisser
déposséder de mon nouveau trésor.
Tous les muscles en alerte, je remonte le ravin avec
agilité. À peine le temps d'éviter
le piège glissant qui m'y a
précipité et je suis dans le bois de
chênes. Je devine une présence
derrière moi. Sans me retourner,
j'accélère ma course. Les poumons
saturés de miasmes d'humidité et de bois
pourri, j'atteins la route. Je la dévale en
tâchant d'éviter les ornières. Je
serre l'attaché-case contre mon cur qui bat
à tout rompre. Je devine les liasses
alignées qui, à chaque foulée,
frappent ma poitrine à travers le cuir luxueux.
Enfin, voici les murs rassurants de mon chalet de
pierres...
Cela fait maintenant
vingt bonnes minutes que je suis retranché dans la
maison. Rien de suspect à l'extérieur. Le
jour s'éteint lentement à travers les
volets clos. Comment aurait-on réussi à me
suivre dans ce dédale de troncs et de chablis que
j'arpente depuis ma naissance ? Peu à peu, je
détache mon regard de la fenêtre,
irrésistiblement attiré par la mallette
jetée sur la table. Sans savoir comment, je me
retrouve assis face à elle.
Combien peut-elle
contenir ? Voyons, environ 60 centimètres de long,
40 de large sur 10 de haut : 24 000 centimètres
cubes. Et une bonne liasse
de
billets, 15 x 8 x
1 = 120 cm3. Ça fait 200 liasses dans la mallette,
20 000 billets, deux millions en coupures de 100... Pas
mal ! « Ça vaut bien quelques kilos de
cèpes » me surprends-je à dire
à haute voix, avant de rire nerveusement de cette
bonne blague. Il ne reste plus qu'à l'ouvrir, mais
ça ne sera pas une mince affaire : les serrures
sont de première qualité et les
charnières ne céderont pas facilement...
Mais l'envie de savoir est trop forte. J'insère la
lame du Laguiole entre les deux battants. L'acier poli
s'y glisse dans un murmure de cuir effleuré, suivi
d'un léger bruissement de papier.
Le couteau est
enfoncé jusqu'à la garde. Je tente de faire
levier en pivotant. Un clic sournois retentit. Je me fige
aussitôt : et si la valise était
piégée ? Certaines mines peuvent emporter
une main ou pire, souiller tous les billets d'encre
indélébile. Une goutte de sueur tombe sur
le cuir noir. Il est tellement tendu qu'elle rebondit
légèrement avant de le marquer d'une
minuscule flaque bombée. Le souffle coupé,
je retire le Laguiole le plus délicatement
possible. Millimètre par millimètre, la
lame laisse réapparaître l'abeille qui y est
gravée puis se dégage complètement
de l'interstice. Rien ne bouge. Assis face à la
mallette, je reprends lentement mes esprits et
m'interroge sur la manière d'en extraire le
précieux contenu. Un bourdonnement sourd met un
terme à mes réflexions.
Je me précipite
à la fenêtre. Par la fente des volets, je
distingue un rond de lumière qui balaie la
colline. Il me faut quelques secondes pour faire le lien
avec le grondement de plus en plus proche : un
hélicoptère ! Le projecteur d'un
hélicoptère en train de fouiller la nuit !
De l'autre côté, au niveau du virage de la
route des Eaux-Bonnes, des lueurs apparaissent
également : trois voitures se suivent de
près et approchent du village. Probablement des
4x4 vue la hauteur des phares... Mais qui sont ces gens ?
Comment ont-ils pu savoir ? En un éclair, la
réflexion chasse la panique de mon esprit. La
mallette ! J'ai probablement déclenché un
mouchard. Face à de tels moyens je n'ai qu'une
solution, la seule qui soit raisonnable.
Je me rue dans la nuit
avec l'attaché-case en direction du bourg.
L'hélicoptère a disparu mais je dois passer
le carrefour avant que les 4x4 ne l'atteignent. In
extremis, je franchis le croisement alors que le contour
des phares se précise dans les vitres alentour. Je
fonce tête baissée vers mon objectif. Par
chance, les grilles claires de la gendarmerie sont encore
ouvertes. Je déboule à l'accueil. Tout y
est calme, trop calme...
Ma sueur s'est
évaporée et j'ai presque repris mon
souffle. Le militaire de garde apparaît enfin,
difficilement extirpé d'une salle voisine
où vrombit un poste de télévision. A
son embonpoint, je reconnais le brigadier Doumergue. Son
flegme lymphatique tranche singulièrement avec la
violence des événements. Comment cet esprit
limité pourrait-il d'ailleurs deviner les dangers
qui nous menacent ?
Malgré mon
excitation, je lui explique posément les
circonstances de ma découverte. Avant même
que je ne puisse lui faire part de mes craintes pour nos
vies, il m'interrompt d'un : « Remplissez ceci !
» agacé, pose devant
moi
un formulaire et
retourne à sa petite lucarne.
Décidément, ce gros lard ne mérite
pas qu'on se soucie de sa
sécurité...
Mon regard accroche
l'en-tête de la feuille saumon : «
Déclaration d'objets trouvés ». Mais
oui, comment n'y ai-je pas pensé ? Laissons mon
trésor sous bonne garde durant un an (et un jour)
laissons ce gros plein de soupe et ses collègues
le défendre contre la petite armée
suréquipée qui s'approche... Et,
l'année prochaine, le mouchard n'émettra
plus, tout danger sera écarté et je pourrai
récupérer mon magot.
***
Sans surprise, je ne
ferme pas l'il de la nuit, à peine
parviens-je à me
détendre
quelques minutes sur le divan. C'est l'édition
matinale de France- Info qui répond aux questions
responsables de mon insomnie. Un journaliste mal
réveillé, dépêché
à Pau, décrit en direct du Crédit
Général ce qu'il appelle déjà
« le braquage de la décennie ». Hier
après-midi, un homme a sauvagement abattu deux
convoyeurs de fonds pour s'emparer d'une mallette de
billets. Malgré les moyens exceptionnels
mobilisés pour l'interpeller,
l'hélicoptère de la Gendarmerie Nationale a
perdu sa trace à une trentaine de
kilomètres au sud de la ville, entre Laruns et
Eaux-Bonnes. À peine le journaliste a-t-il
prononcé ces mots qu'un éclair aveuglant
fait voler en éclat portes et fenêtres. Des
hommes armés et cagoulés apparaissent face
à moi, suivis du brigadier Doumergue. Je
m'écroule au moment où le gendarme me
désigne du doigt, terrassé par le Taser du
GIGN.
Quand je recouvre mes
esprits, je comparais aux Assises des
Pyrénées- Atlantiques. Des familles
éplorées et des convoyeurs en uniforme me
dévisagent avec haine. Doumergue livre un
témoignage accablant. Brandissant le formulaire
saumon qui porte ma signature, il déclare que je
me suis présenté à la brigade le
soir du braquage, nerveux et à bout de souffle.
J'y ai alors déposé la mallette noire que
le greffier présente à l'assistance. Elle
contenait 2 millions d'euros. Cette
révélation provoque un brouhaha dans la
salle. L'Avocat Général l'amplifie en
ajoutant que mon seul alibi est une promenade solitaire
dans la forêt où les forces de l'ordre ont
perdu la trace du braqueur. Le Président prononce
alors la terrible sentence en écrasant de son
marteau le cèpe orangé qui pousse sur son
bureau : la perpétuité... Un geôlier
aux traits du brigadier Doumergue fait résonner le
bruit terrible des grilles se refermant à jamais
sur ma liberté.
***
06 h 00. Ma montre
sonne. J'émerge difficilement de ce cauchemar. Je
m'étais donc finalement assoupi sur le divan
après ma visite à la gendarmerie. Et comme
on aurait pu s'en douter, mon sommeil fut fort
agité. C'est la voix du journaliste mal
réveillé, envoyé spécial au
Crédit Général de Pau qui finit de
me rappeler à la réalité. Le
même que dans mon rêve... Heureusement, son
discours est différent. Il parle du « casse
de la décennie, sans arme ni violence » en
évoquant le cambriolage qu'a subi la banque hier.
En l'absence de commentaire de la police durant
l'enquête, le reporter s'étend sur
l'imposant dispositif mobilisé pour les
recherches. Tout me paraît clair à
présent : les fuyards, traqués par les
gendarmes, ont caché à la hâte leur
butin dans la combe.
À partir de ce
moment, je n'ai qu'un objectif : protéger mon
trésor jusqu'à ce que je puisse
légalement le récupérer. Chaque
jour, je surveille l'enceinte de la gendarmerie, note les
allées et venues, repère les rituels,
devine les procédures. Très vite, je
connais parfaitement la routine de la brigade.
Inconsciemment, sans doute à cause du cauchemar de
la première nuit, j'observe
particulièrement Doumergue. Il est d'ailleurs le
seul à accéder au local
sécurisé faisant office d'armurerie et de
dépôt d'objets trouvés. Chaque matin,
il patrouille consciencieusement au Bar des Sports devant
un Pastis double. Des autres commerces du village, il
rapporte invariablement La République des
Pyrénées et un éclair au café
dans une petite boîte cartonnée. Il les
déguste dans l'armurerie climatisée
où il a ses habitudes depuis la dernière
canicule. Le tire-au-flanc en ressort une trentaine de
minutes plus tard, ses déchets dans une main
tandis que l'autre est occupée à
éponger la sueur qui ruisselle de son front, quand
elle ne gratte pas diverses parties de son anatomie
adipeuse. Je redouble d'attention lorsqu'un visiteur
provoque un déplacement de Doumergue à
l'armurerie. Je crains à chaque fois qu'il ne soit
venu réclamer la mallette. Heureusement, à
part pour quelques parapluies apportés puis
récupérés, une paire de lunettes ou
un appareil photo, l'activité du brigadier reste
assez limitée.
Le temps ne
s'écoule plus. Les jours sont une purée
d'abricots épaisse, visqueuse. Le 29
février, j'enrage contre l'absurdité de la
loi, contre l'injustice scandaleuse qui m'oblige à
poireauter 24 heures de plus que ceux dont la
découverte ne tombe pas une année
bissextile. Chaque soir, la fermeture de la gendarmerie
est une délivrance. Tout risque est alors
écarté. J'en profite pour refaire mes
calculs sur la contenance de l'attaché-case et
estimer le montant de mon trésor. Je pleure de
déception quand je découvre que le billet
de 100 ¤
est
légèrement plus grand que mes
premières estimations. J'exulte en retrouvant les
caractéristiques de ma mallette sur Internet, un
centimètre plus large que prévu !
Méthodiquement, je scrute les actualités et
m'emporte quotidiennement contre la rapidité
à laquelle les médias délaissent le
"casse de la décennie" pour se consacrer à
des faits divers sans intérêt...
Le 30 septembre,
à peine plus d'un mois avant
l'échéance tant attendue, un
événement vient bouleverser la routine de
la brigade. Une réception est donnée dans
la cour. Elle semble en l'honneur du brigadier Doumergue,
vêtu pour l'occasion d'un uniforme de
cérémonie neuf et trop étroit. Le
gratifie-t- on pour avoir finalement retrouvé le
butin du Crédit Général ?
Paniqué, je me prépare à fuir en cas
de mouvement suspect en ma direction. Mais rien. Nouvelle
nuit blanche. Le lendemain, Doumergue a disparu et
personne n'accède plus à l'armurerie, comme
une scène de crime sous scellés. Même
chose le jour suivant.
Je décide alors
de me renseigner au village, m'extirpant à regret
de mon refuge. Je supporte de moins en moins le regard
des autres, j'ai l'impression qu'ils savent. Sous des
propos faussement anodins, ils cherchent à me
déstabiliser, à me soutirer des
informations. « Alors, ça va ? » «
Beau temps pour les champignons, n'est-ce pas ? »
« On te voit à la kermesse dimanche ? »
C'est ça, et pendant ce temps vous en profiterez
pour me jouer le sale tour que vous manigancez
derrière mon dos... C'est finalement au Bar des
Sports que j'ai ma réponse. Doumergue a pris sa
retraite. Tout simplement. Depuis son départ, les
visites à l'armurerie sont rares. Heureusement,
car chacune génère un émoi croissant
à mesure que la date fatidique
approche.
Enfin, un matin,
ça y est. 367 jours se sont écoulés.
Il était temps, cette affaire aurait
commencé à m'obnubiler sinon... J'ai
prévu de ne pas récupérer la
mallette le jour même, afin de ne pas
éveiller les soupçons. Mais mes jambes
décident d'elles-mêmes de me porter
jusqu'à l'accueil de la brigade où un jeune
gendarme me l'a remise sans poser une seule des cent
questions que j'avais anticipées.
Je me retrouve de
nouveau seul face à elle, un an et quelques heures
plus tard. Les serrures ont cédé comme
pendant mes entraînements sur des fermetures
similaires. Je vais enfin savoir, enfin être riche,
vivre et avoir tout ce dont j'ai tellement
envie...
***
C'est dans
l'édition du 9 novembre de La République
que l'ancien
brigadier
Doumergue découvre les circonstances du suicide.
L'homme s'est
pendu dans son
chalet, sans lettre d'explication. En lisant l'interview
du sous- officier qui l'a remplacé, le nouveau
retraité esquisse un sourire sous sa moustache. Il
s'amuse de la naïveté du jeune gendarme qui
en dit trop, grisé par l'exposition
médiatique :"
! D'après
l'enquête de voisinage, la victime avait
développé une paranoïa aiguë,
couplée à une misanthropie
sévère qui le poussait à
éviter tout contact extérieur. Sans prise
en charge adaptée, ce genre de cas peut conduire
à de telles issues tragiques. « Quelle
analyse, ils en apprennent des choses utiles à
l'école maintenant ! »
pense-t-il."
! L'homme a
été découvert à
proximité d'une mallette en cuir. Il y avait
consciencieusement conservé les deux pages
centrales de chacun des numéros d'un quotidien
régional de ces derniers mois (« Tiens, La
Rép' préfère ne pas se faire de la
publicité »). Nos experts psychiatriques
tentent actuellement de déterminer les raisons de
ce comportement.
L'ancien gendarme se
souvient de la nuit où la victime avait
apporté cette mallette à la brigade. Il
avait instantanément constaté sa
nervosité et fait le lien avec le casse de Pau
quelques heures auparavant. En une seconde, sa
décision était prise. Quiconque l'avait
connu lors de son engagement aurait été
surpris par son choix, tant il était alors un
élément zélé. Meilleur
verbalisateur du département en début de
carrière, il avait pourtant des évaluations
médiocres. Autour de lui, il observait avec une
amertume croissante les promotions de certains
collègues. Ceux dont les épouses invitaient
l'adjudant au café du dimanche ou ceux qui se
découvraient une passion pour le golf ou la
pêche selon les goûts de leur
hiérarchie. Alors, ce jour-là, il omit de
signaler la mallette aux enquêteurs chargés
du cambriolage. Ses envies de revanche avaient eu raison
de sa probité.
Doumergue referme son
journal. Il ne regrette pas de le faire expédier
à grands frais jusqu'à Mayotte où il
passe le début de l'hiver. Il déclame,
souriant : « La fine fleur des cerveaux de la
Gendarmerie est sur le coup... Dormez tranquilles
citoyens, nos officiers surdiplômés vous
protègent ! »
Il tend un billet vert
au vendeur qui lui apporte sa coco glacée
quotidienne. Le mahorais porte immédiatement la
coupure à son nez et rit en lui rendant la monnaie
: « Marahaba, encore un billet qui sent
l'éclair au café ! »" " Doumergue ne
répond pas à la blague récurrente.
Perdu dans ses pensées, bercé par le
murmure des vagues et savourant le dessert
rafraîchissant et sucré, il marmonne pour
lui-même : « Quand même, j'ai
bien
fait de mettre la
corde avec les journaux dans la mallette, il se serait
ouvert les veines au Laguiole sinon... Tout ce sang
dès la sortie de l'école, ça
l'aurait dégoûté de la profession, le
petit... » Le soleil rouge est un abricot trop
mûr, déformé, qui finit de
s'abîmer dans l'Océan Indien. Ses derniers
rayons réchauffent Doumergue qui s'endort
doucement, blotti dans le sentiment le plus
agréable qui soit pour un homme qui a porté
l'uniforme toute sa vie : celui que justice a enfin
été rendue.
Destins
croisés
17 juin 1944
&endash; Écausseville (Manche)
Cela fait deux ou
trois minutes que les échanges de coups de feu
sont très intenses et de plus en plus proches.
À présent, il voit les Allemands au fond de
la cour de sa ferme, cachés derrière les
bosquets. Sans doute tentent- ils de barrer la route de
Cherbourg au détachement américain de
Sainte- Mère-l'Église. Voilà deux
semaines que les Alliés ont débarqué
et piétinent dans une poche grosse comme à
peine un canton. Dès que les renforts
envoyés par Hitler seront arrivés, la
grande Wehrmacht aura vite fait de renvoyer rosbifs et
amerloques à la mer.
C'est le bon moment
pour aider les Allemands à tenir et se faire
remarquer un peu plus. Il faut dire qu'il n'a pas eu de
chance jusqu'ici. Il ne connaît pas de juif
à dénoncer et il n'y avait aucun
résistant dans le village. Tout juste a-t-il pu
signaler quelques magouilleurs au marché noir et
un réfractaire au STO... Heureusement qu'il s'est
tout de suite mis au service de la Kommandantur en
l'approvisionnant avec les produits de sa ferme et que
les Allemands aiment tant oignons et pommes de terre,
c'est tout ce qu'on arrive à faire pousser dans la
région...
Il
réfléchit, hésite encore... Une
rafale de pistolet mitrailleur ennemi finit par le
décider : c'est aujourd'hui ou jamais qu'il faut
prendre le risque. Il file chercher une paire de
tenailles pour arracher les clous des lattes du parquet.
C'est ici qu'il a caché le vieux Lebel de son
père en 1939. Couché sur le sol, il allonge
le bras pour récupérer la boîte de
munitions et ressort le tout d'une main tremblante. En
temps normal, on peut être fusillé pour
dissimulation d'armes mais les Allemands le connaissent
bien maintenant et ne devraient pas refuser son aide dont
ils ont l'air d'avoir bien besoin.
Il fonce en direction
du poste de commandement avancé, derrière
l'église, où quelques gradés sont
réunis, tout en vérifiant que le fusil n'a
pas trop souffert. Il le charge en marchant ; la culasse
fonctionne, un peu
grippée
mais ça ira
; il arme. Bien. Les réflexes sont toujours
là... BOUM ! Une détonation fracassante.
Yeux et oreilles fermés par la douleur.
Sonné, il reprend contact avec la
réalité après quelques
secondes.
Tous les regards des
militaires allemands convergent sur lui. Les deux
sentinelles de l'état-major le tiennent en joue en
vociférant... Il leur répond : « Du
calme ! C'est moi ! Je viens pour aider. Alles gut, alles
gut ! » Deux hommes se sont précipités
auprès de leur officier, tombé au sol. Ils
ouvrent son col, maintiennent sa tête, s'agitent
désespérément. Que se passe-t-il ?
On a été touchés par les ricains ?
Et ces hurlements qui n'arrêtent pas de lui intimer
de lever les mains. C'est pas possible, mais qu'est-ce
qu'il a fait ?
Comme prévu,
les Allemands parviennent à repousser l'offensive
ennemie, mais il n'en saura pas plus sur la suite des
évènements. Après un procès
expéditif, dans une ambiance de grand
déménagement, personne ne croira qu'il a
abattu l'Oberleutnant par accident. Il sera
exécuté contre le mur de sa ferme par un
peloton improvisé. Les Allemands laisseront le
soin aux gars du village de l'enterrer avec les trois
autres fusillés du jour qu'ils avaient surpris en
plein sabotage.
À la
Libération, tous les quatre seront cités
comme martyrs de la Résistance, symboles de la
barbarie de l'occupant et de l'héroïsme de la
population locale. Sa fille déclarera que sous
couvert de collaborationnisme, il écoutait
clandestinement Radio-Londres et préparait
l'attentat de longue date. Elle sauvera ainsi sa jolie
chevelure qui plaisait tant au beau
Günter.
***
17 juin 1944
&endash; Bérigny (Manche)
Enfin, les
Américains arrivent. Ça fait deux semaines
qu'ils ont débarqué et ils semblent avoir
du mal à progresser. Radio-Londres est optimiste
et fait écho de luttes acharnées qui
tournent en notre faveur. Les messages codés
d'appel à l'action se multiplient. Certes, il a
déjà un peu participé au sabotage :
une nuit, dans la forêt de Cerisy, il avait
consciencieusement abattu à la hache les poteaux
de la ligne téléphonique reliant
Saint-Lô à Bagneux qui avaient
échappés au bombardement. Mais là,
c'est le moment d'apporter une aide
décisive.
Depuis la
fenêtre de sa cuisine, il voit clairement le
bataillon allemand qui lui tourne le dos. Ils se cachent
au fond de la cour, le long du muret d'où ils ont
engagé une fusillade. Sans doute contre des
Américains débarqués aux alentours
de Vierville. L'occasion idéale d'utiliser le
vieux Lebel de son père qu'il a extrait de sa
cachette pour l'occasion.
Appuyé sur le
rebord de la fenêtre, alors qu'il entend les balles
américaines siffler et percuter le toit de temps
en temps, il ajuste les allemands de dos. Pan ! Il
profite d'une rafale d'arme automatique qui couvre la
détonation pour descendre le premier vert-de-gris.
Puis un deuxième, un troisième... Il fait
mouche à chaque fois, c'est presque trop facile.
Voyant leurs camarades tomber, les boches se cachent
encore plus du seul ennemi connu et restent immobiles,
recroquevillés derrière le mur. Pan ! En
pleine nuque. Pan ! Sous l'omoplate. Pan ! Aïe,
raté. A l'impact, l'allemand se rend compte qu'ils
sont entre deux feux. Un soldat le pointe du doigt, il
est repéré. Ils ripostent. Il faut se
cacher. À peine est-il descendu dans la cave
qu'une énorme déflagration retentit. Il
entend la charpente s'effondrer, une vague de chaleur
insoutenable le saisit dans une onde assourdissante. Il
perd connaissance.
Il revient à
lui réveillé par des coups au-dessus de sa
tête. Des bruits de bottes, de l'agitation, des
cris dans une langue incompréhensible. Sous sa
main, il sent son fusil. Il le sert contre lui. La trappe
qui mène à sa cachette s'ouvre, un faisceau
de lampe balaie l'escalier à sa recherche. Une
silhouette s'avance prudemment dans l'ouverture. Pan ! Un
de plus de descendu, l'ombre s'effondre. Cris, panique,
grenade...
Les Américains
laissèrent le cadavre sur place et interdirent
à quiconque de relever les ruines de la maison du
milicien qui avait abattu l'un des leurs. Ils avaient
été pris dans une embuscade pendant qu'ils
recherchaient les allemands qui auraient pu
s'échapper : il en manquait cinq par rapport
à ce qui leur avait été
signalé. L'attitude kamikaze de l'homme
retranché indiquait qu'il avait sans doute
également prêté assistance aux boches
lors de l'accrochage qui avait eu lieu à deux pas
de sa ferme. À la Libération, on
confisquera ses biens et il sera condamné à
titre posthume à la dégradation nationale.
Petits
plaisirs
Lundi 9 mars, 8h35
&endash; Station Concorde, ligne 1 du métro
parisien.
« Hé,
ATTENTION là ! Non mais c'est pas possible ces
gens qui bousculent en descendant ! » Toute la rame
sursaute, les têtes se tournent, surprises par
l'intensité des cris. Une réponse
énervée fuse du quai, couverte par la
sonnerie de la porte qui se referme sur
l'indélicat pressé. Soupirs
réprobateurs et regards obliques convergent sur la
nouvelle passagère râleuse. Comme pour lui
faire comprendre que son emportement
était
exagéré
et lui reprocher implicitement d'avoir tiré le
wagon de sa torpeur matinale pour si peu.
« Autant de
tension de grand matin, voilà encore une
journée qui commence fort... » C'est sans
doute le genre de réflexion qui aurait dû me
traverser l'esprit avant que je ne replonge dans mes
songes. Mais aujourd'hui, je suis d'humeur joueuse. Je
m'approche de la dame qui est toujours passablement
agacée et qui continue de maugréer, tentant
de se justifier auprès d'un interlocuteur
insaisissable : tous les usagers, au mieux
indifférents, détournent en effet regard et
attention. Je n'ai pas envie que cette rage
s'éteigne ainsi, étouffée par
l'apathie ambiante. D'un seul clin d'il
compatissant, je l'attise : le discours qui
commençait à s'essouffler repart de plus
belle. Je récolte bien quelques froncements de
sourcils de la part de passagers aspirants à un
peu plus de tranquillité, mais je m'en fiche : ce
matin, j'ai envie de nourrir le troll et de voir ce qu'il
a dans le ventre.
Et je ne suis pas
déçu. Je suis en présence de
l'archétype parfait de la petite bonne femme
rondouillarde qui ne s'en laisse pas conter et qui n'a
pas sa langue dans sa poche. J'ai immédiatement
droit au discours stéréotypé :
« les jeunes ne respectent plus rien », «
ça ne se passait pas comme ça de mon temps
», à cause bien sûr de « la
démission des parents », le tout sur fond de
« pertes des valeurs » exhalant de temps en
temps des relents de racisme primaire, lancés
comme autant de petites perches pour sonder mon
éventuelle adhésion... Ces tentatives
n'obtenant pas l'effet escompté, la discussion se
recentre plutôt sur la multiplication des
incivilités dans les transports
parisiens.
« Et puis les
gens ne se parlent plus... Regardez-les tous
absorbés dans leur jeu idiot et accrochés
à leur téléphone portable. Et
encore, aujourd'hui on a de la chance, y'en a pas un qui
fait profiter de sa conversation à tout le monde
» reprend-elle en haussant ostensiblement la voix,
comme pour mettre au défi ses voisins, qui ne
relèvent pas la provocation. J'acquiesce d'une
mimique pleine d'empathie.
Le
chassé-croisé des montées et
descentes à la station Etoile lui fournissent la
matière pour enchaîner. « Et ça
bloque dans les couloirs, c'est infernal. AVANCEZ DANS LE
FOND, Y'EN A QUI VOUDRAIENT MONTER ! » crie-t-elle
en s'agrippant à sa place au milieu de
l'allée. Mais l'horaire est trop matinal pour
provoquer des réactions et le débat houleux
qu'elle aurait aimé susciter ne s'allumera pas. Je
tente de la relancer en évoquant cette
insupportable manie qui consiste à se ranger
à gauche sur les
escalators,
provoquant embouteillages et ralentissements. Mais elle
balaie négligemment mon argument : « Oh,
ça non, ce n'est pas si grave. Et puis, je ne
monte pas les marches de toute façon...
»
Je n'ai pas plus de
succès en essayant de l'engager sur le
désagrément généré par
les piétons qui stationnent sur les trottoirs ou
qui flânent alors qu'on est pressé.
Même ma boutade désespérée :
« on appelle ça un trottoir, pas un
traînoir ! » ne parvient pas à emporter
son approbation.
Notre discussion
s'essouffle. L'annonce par la voix calibrée de la
RATP de l'arrivée à Porte Maillot m'arrache
un sourire et me procure une seconde d'évasion :
j'imagine qu'il pourrait s'agir d'un jeu de mots pour
désigner un sportif, qu'on appellerait
"porte-maillot" comme on appelle porte-drapeau celui qui
ouvre la marche d'une délégation olympique.
Un groupe de touristes à l'allure de routards,
avec sacs de randonnée sur le dos,
pénètre difficilement dans notre train.
L'il de mon interlocutrice se rallume. Je ne
saurais dire ce qui la gêne le plus : leurs
volumineux bagages, contraignant les occupants des
strapontins alentour à se lever ou leur
conversation dans une langue particulièrement
gutturale. Toujours est-il qu'elle ne tarde pas à
râler de nouveau, me prenant à témoin
de la manifeste mauvaise éducation de ces
visiteurs et profitant de la certitude qu'ils ne la
comprennent pas pour en tirer des
généralités sur « la barbarie
des peuples de l'est».
Je la sens
remontée, gonflée à bloc, bien
mûre. Voyons si on peut en profiter pour pousser le
bouchon un peu plus loin. Je me lance : « et le plus
agaçant, c'est ceux qui ne vous laissent pas
descendre, non ? ». Ravie de m'entendre à mon
tour lancer une telle banalité dans la
conversation, elle en profite pour me rendre un peu de
l'attention que je lui ai accordée.
Acquiesçant avec enthousiasme, elle repart de plus
belle : « évidemment, c'est le pire ! C'est
à cause d'eux qu'il y a autant de retards, il faut
vraiment être idiot... C'est pourtant pas
compliqué de comprendre qu'il faut laisser sortir
les gens si on veut rentrer quand même...
»
Le temps de
débiter ces lieux communs et la voici
arrivée. Le flux habituel des travailleurs se
presse contre les portes de verre. « Voyez, c'est
exactement ce qu'on disait » me glisse-t-elle en
guise d'au revoir. « Mais laissez-nous donc passer
avant de monter ! » lance-t-elle en se frayant un
passage sans délicatesse. La riposte ne se fait
pas attendre : « Hé, ATTENTION là !
Non mais c'est pas possible ces gens qui bousculent en
descendant ! »
Héhé,
voici une démonstration qui s'est terminée
au-delà de mes espérances. Finalement,
cette journée ne commence pas si mal...
Malheureusement, aujourd'hui, aucun regard complice de la
part de quelque amateur éclairé ne vient
saluer ma performance. Oh, ce n'est pas bien grave,
l'essentiel n'est pas là.
J'adresse un large
sourire à la silhouette tassée qui se perd
de dos dans la foule et mon train repart. Je reprends ma
progression tandis qu'elle ne fait que tourner en rond.
Son voyage intérieur se résumant à
une éternelle circonvolution où elle
redevient celle qu'elle dénonçait quelques
minutes auparavant, s'engonçant à chaque
tour un peu plus dans sa vision étriquée et
pessimiste du monde.
BROUILLON
Bonjour chères
lectrices, chers lecteurs et principalement chers membres
du jury, je vous présente Faustine,
l'héroïne bien involontaire de cette
nouvelle. Faustine est une blondinette de cinq ans
vraiment adorable. Lorsqu'on lui demande ce qu'elle aime,
elle répond très sérieusement :
manger des bonbons, se déguiser en princesse et
aider sa maman à préparer des
gâteaux. Avec ses PetiJe suis deux petites
couettes, sa bonne bouille joufflue et son sourire
enjôleur, je vous assure qu'il est impossible de ne
pas tomber sous le charme. Il est important que vous
l'adoriez en tout cas.
Pour finir de vous
faire craquer, on peut lui ajouter un petit frère
aux cheveux d'or ne quittant jamais son doudou et qui
aurait survécu à une maladie infantile par
exemple et un grand frère protecteur, adorant les
câlins et au goût précoce pour les
mathématiques, faisant de lui un formidable espoir
pour la prochaine génération
d'ingénieurs. Les parents qui s'aiment comme au
premier jour complètent cette petite famille
à laquelle on s'attachera instantanément.
Mais bon, c'est une nouvelle, on ne peut pas se permettre
trop de personnages et on n'aurait de toute façon
pas le temps de s'y intéresser dans la limite des
3000 mots... On va donc se focaliser sur la petite
Faustine et aller droit à l'essentiel.
En revanche, notre
histoire ne peut se passer d'un méchant. Oh, pas
forcément avec un mauvais fond, mais juste un
rouage un peu perverti du système. Il serait
ingénieur à la SNCF (ou Réseau
Ferré de France, on ne sait plus qui fait quoi
chez eux), tyrannisé par ces anglicismes qui
oppressent les cadres de sa génération :
cost-cutting et autres reengineering le poussent à
la limite du burn-out. Après quelques
années d'expérience, par un
absurde
concours de
circonstances comme savent nous en offrir les grandes
entreprises, et en dépit de tout bon sens
étant donné sa formation, il se retrouve
responsable des équipements de
sécurité du réseau ferroviaire.
Quand atterrit sur son bureau le dossier concernant les
instruments de mesure utilisés aux passages
à niveau des lignes à grande vitesse, il
décide de recourir à du matériel
chinois au lieu de renouveler ses contrats d'achat de
capteurs VEGA. Quelques économies de bout de
chandelle ni vues ni connues pour équilibrer un
budget...
On revient ensuite
à la petite Faustine. Vous savez, comme chez
Alexandre Dumas et Bernard Werber, où deux
histoires parallèles semblent complètement
indépendantes bien qu'on sache qu'elles vont finir
par se rejoindre... Revoici donc la petite Faustine et
ses joies simples et enfantines. Et justement, un de ses
petits plaisirs c'est lorsque, comme aujourd'hui, son
papa vient la chercher à l'école et qu'elle
retrouve toute la famille dans la voiture. Elle sait
qu'ils vont s'arrêter acheter le goûter
à la boulangerie. Elle fera alors mine
d'hésiter avant de choisir la plus grosse
religieuse au chocolat de la vitrine. Cela prendra juste
assez de temps pour qu'elle soit sûre d'assister
à un spectacle qu'elle adore sur le chemin du
retour : le TGV Paris- Lausanne au passage à
niveau à 17 h 22.
Sentez-vous venir le
dénouement tragique à ce passage à
niveau, point crucial du récit,
élément central de la nouvelle, lieu de
convergence dramatique de nos deux histoires ? Avec un
nouveau capteur permettant de déclencher la
barrière automatique de mauvaise qualité et
la voiture joyeuse qui approche insouciamment du
croisement fatidique, voyez-vous pour quelques centaines
d'euros d'économie le drame approcher à la
vitesse du Paris-Lausanne ?
Hum... C'est un peu
tiré par les cheveux cette histoire d'accident au
passage à niveau. J'ai beau insister, il n'y a pas
vraiment de rapport avec le thème imposé.
En plus, le capteur en question fonctionne probablement
grâce à un différentiel de pression,
ça aurait d'avantage convenu pour le concours de
l'année dernière. Allez, disons qu'on va
épargner notre petite famille pour cette fois. Non
pas que le matériel chinois ait correctement
fonctionné, non, rien ne remplace la
fiabilité alsacienne. Mais le père aime
tellement voir les yeux de ses petits bouts de chou
s'illuminer à l'arrivée de l'éclair
bleu que, malgré la barrière restée
levée, il s'arrête juste avant le passage
à niveau, par habitude.
Bon, du coup, notre
ingénieur ferroviaire ne sert plus à rien.
On va plutôt le faire travailler chez EDF (ou ERDF
? RTE peut-être ? On ne sait pas non plus qui fait
quoi là-bas). Même pression, euh non, pas
pression... Mêmes contraintes sur les coûts
mais cette fois-ci dans un domaine un peu
différent. L'affreux cadre est à
présent chargé de faire des
économies en "optimisant" l'équipement
électronique des installations
hydroélectriques. Et notamment le système
de mesure des infiltrations dans les canaux internes des
barrages, dont celui qui surplombe le village de
Faustine.
Bien sûr, tout
le monde n'étant pas spécialiste en
ingénierie hydraulique, il conviendra de
prévoir un petit paragraphe précisant que
contrairement à ce qu'on pourrait penser, il est
tout à fait normal que l'eau s'infiltre dans la
paroi de béton de ces ouvrages. Elle y est ensuite
recueillie par un ensemble de drains dont on calcule le
débit pour en déduire l'état de
porosité de toute la structure. Evidemment, aucun
problème de fiabilité dans la mesure du
niveau de l'eau si on utilise un bon vieux Vegapuls WL
61. Par contre, il suffit d'une ou deux nuits d'hiver
autour de -20°C, -25°C pour que les
modèles bon marché se détraquent, ne
permettant pas de remarquer une augmentation sensible et
très inquiétante du débit dans les
canaux d'évacuation.
Et voici notre drame
qui se remet implacablement en place. Il suffit de
commencer par un hiver rigoureux et d'abondantes chutes
de neige (« un niveau d'enneigement record sur tout
le massif du Jura » disaient-ils à la
météo des pistes) que Faustine met à
profit pour apprendre les rudiments du chasse-neige et
passer brillamment son flocon. Continuons par un
printemps très doux qui fait fondre tout
ça, Faustine s'émerveillant des premiers
bourgeons, des cerisiers en fleurs et du retour des
papillons. On obtient alors un niveau d'eau proche de la
cote d'alerte pour notre retenue artificielle. Ajoutons
deux ou trois fissures dans la paroi de béton,
aggravées par le gel et non
détectées par un capteur défaillant
endommagé par le froid (alors qu'un Vegapuls WL 61
encaisse des -40 °C sans sourciller) et zou, pour
quelques restrictions budgétaires et en une
poignée de secondes, on rince la petite Faustine,
ses rêves de princesse et sa famille idéale
sous cinquante mètres d'eau...
Mouais, je sens votre
déception. Et vous avez probablement raison. A la
relecture de ce brouillon je ne peux qu'admettre que cela
ressemble plus à une publicité qu'à
une nouvelle. Il ne faut tout de même pas prendre
les jurés de VEGA pour des idiots, la ficelle est
un peu grosse. Et puis, le barrage
qui
cède,
certes ça permet de coller un peu plus au
thème mais franchement, c'est du
déjà vu. On peut sans doute imaginer un peu
plus original.
Remplaçons par
exemple le WL 61 par un VEGASWING 51. Ah, tout de suite,
ça ouvre des perspectives nouvelles, n'est-ce pas
? Je vois d'ici l'il des spécialistes
s'illuminer en imaginant les rebondissements narratifs
rendus possibles par cette modification. Bon, un peu de
patience, il nous faut ralentir encore une fois notre
récit pour expliquer aux béotiens. Juste le
temps de les informer qu'un VEGASWING 51 mesure
très précisément le niveau de
n'importe quel liquide. Comme par exemple l'huile
lubrifiant l'engrainage du rotor de l'éolienne
sous laquelle Faustine aime venir jouer à la
maîtresse avec ses peluches.
Notre ingénieur
économe peut ainsi rester chez EDF, affecté
cette fois au choix des composants pour le parc
éolien. De toute façon, il n'aurait sans
doute pas voulu changer encore d'employeur, une telle
versatilité aurait nuit à sa
crédibilité lorsqu'il disserte longuement
sur les vertus de la fidélité à
l'entreprise durant les entretiens d'embauche. On peut
être sans scrupule mais prendre soin de sa
carrière...
Vous l'avez tous
compris à présent, sous cette
éolienne se réamorce notre
enchaînement tragique : des économies
apparemment faciles et discrètes, du
matériel de substitution défaillant qui
n'alerte pas de la baisse du niveau de lubrifiant et hop,
la petite Faustine se retrouve embrochée par les
ailes détachées d'un axe
complètement grippé. C'est une fin bien
dramatique pour notre héroïne adorable. Et
originale, non ?
Toujours pas
convaincus ? C'est vrai, vous n'avez sans doute pas tort
et il faut que je me fasse une raison. Je vais
arrêter là et ne vous infliger qu'un peu
moins de 1500 mots. Pour remporter ce concours, je n'ai
manifestement pas le niveau.
cinq
nouvelles des
Oeuvres de Reynald
Nicod