Le massif boisé, connu
sous le nom de la Serre, forme une petite montagne
située entres les routes de Besançon et de
Gray. Il contient 2 800 hectares appartenant à 15
communes.
Il repose sur un sol granitique
assez frais et profond sur les versants, plus aride
à mesure qu'il s'élève vers la
crête.
L'essence dominante y est le
chêne mélangé de hêtre et de
charme; les bois blancs ne se montrent que dans les
parties basses. On y remarque encore quelques
chataîgniers; mais cette essence qui, à
raison de la nature du sol, devait autrefois rivaliser
pour le moins avec le chêne, ne se rencontre plus
qu'en très petite quantité, et seulement en
cépées de taillis. Il est regrettable qu'on
ait négligé les soins nécessaires
pour la conservation et la propagation d'un bois si
précieux dans un pays de vignoble.
Les chênes de la Serre
ont de la qualité, et pourraient parvenir à
de belles dimensions dans les cantons situés sur
les versants; mais les vieilles écorces sont en
petit nombre. Les jouissances du présent ne
s'obtiennent jamais qu'aux dépens des ressources
de l'avenir; c'est là le point difficile et
délicat de la gestion des bois
communaux.
Tous les taillis de la Serre
s'exploitent à 25 ans, et le quart de la
contenance totale forme les réserves
destinées à pourvoir aux besoins
extraordinaires des communes
propriétaires.
Les produits des coupes
ordinaires sont délivrés en nature pour la
consommation locale.
Les coupes extraordinaires sont
habituellement achetées pour l'alimentation des
usines métallurgiques de Pesmes.
La Serre ne présente
d'ailleurs aucune autre particularité.
En suivant les détours
sinueux et accidentés du "chemin de la Poste", qui
traverse cette forêt du nord au midi, on arrive, en
se détournant un peu de sa route, au pied d'une
roche escarpée, connue sous le nom d'Ermitage, et
au-devant de laquelle se déploie gracieusement une
terrasse circulaire, dont le tapis de verdure,
parsemé de violettes et de fraîches
marguerites, est protégé contre l'ardeur du
soleil, par le dôme de feuillage que forment les
arbres qui l'entourent.
Cette roche présente
dans sa partie la plus saillante deux routes
superposées, assez semblables aux loges
d'avant-scène de nos grands théâtres,
et contient encore de nombreuses traces d'habitations.
Quel est donc le pieux mortel qui avait pu se
résigner à vivre dans cette retraite
sauvage, si près de la société
humaine, sans communiquer avec elle ? et quel motif
avait-il de fuir le monde ? C'est ce que j'ai
demandé, mais on n'a pu me le dire.
J'ai appris seulement que la
situation de cette grotte, au milieu d'un bois rempli de
gibier, avait fait naître autrefois l'idée
de la dédier à Saint Hubert, patron des
chasseurs, et qu'elle était décorée
de trompes, d'arcs, de carquois, mêlés avec
des têtes de cerfs, de loups et d'autres
animaux.
Quoi qu'il en soit, ce lieu
dès long-temps abandonné, sert en ce moment
de point de réunion aux membres de la "vente des
bons cousins charbonniers de la Serre, pour la
réception des adeptes, et les
cérémonies non moins innocentes que
prescrivent leurs mystérieux statuts.
Il faut bien se garder de
confondre cette espèce de société
secrète avec celle des "carbonari" qui, depuis, en
a enfanté tant d'autres plus ou moins
dangereuses.
Celle-ci n'a aucun but
politique; elle est née dans des temps assez
reculés, du besoin qu'ont éprouvé
les hommes, contraints par position de vivre dans les
bois, de se rapprocher et de se secourir
mutuellement.
Les charbonniers étant
ceux qui se trouvaient le plus nécessairement en
position de demander ou de donner des secours, devaient
rechercher avec le plus d'ardeur les moyens d'apporter
quelque diversion à leur vie d'isolement. Il est
probable qu'ils furent les fondateurs de l'association,
et appelant à leur aide l'attrait du
mystère, irrésistible dans tous les temps
et dans tous les lieux, ils empruntèrent à
l'art de de la carbonisation du bois, leurs
emblèmes, leurs cérémonies et leur
vocabulaire symbolique.
De nos jours, les dangers
contre lesquels on pouvait chercher à se
prémunir n'existent plus ou sont devenus
très rares; mais l'impérieuse
nécessité de se réunir subsiste
toujours, et malgré soi, l'on est
entraîné par le secret plaisir d'être
admis là ou les autres ne peuvent pas
pénétrer. La société a donc
continué de pratiquer ses exercices, et de
rassembler périodiquement ses membres; mais les
opérations, qui ont toujours pour but quelque
oeuvre de bienfaisance louable, paraissent se borner,
outre les épreuves auxquelles les
récipiendaires sont soumis, et qui aujourd'uui
n'effraient plus personne, à consommer
gaîment en commun les provisions de bouche et de
"champagne-comtois", dont la société
prévoyante a eu le soin de se munir avant de se
mettre en route pour l'ermitage.
C'est du moins là tout
ce que nous autres profanes croyons apercevoir, et nous
ne nous hasardons à le dire qu'en protestant de
notre respect pour l'ordre des "bons-cousins", dont
l'association, assez répandue de nos jours, se
rencontre dans presque toutes les grandes masses de
forêts.
"statistique historique de
l'arrondissement de dole" par Armand Marquiset
sous-préfet de cet arrondissement, Tome I, pages
43, 44 et 45, Charles Deis, imprimeur-libraire,
Besançon, 1842.
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