L'homme de Dieu GENGOUL naquit en Bourgogne,
héritant la haute origine et le noble sang de ses
parents qui le firent former avant tout aux disciplines
de l'enseignement Chrétien.
Encore tout enfant et paré d'une nature
exceptionnellement brillante, il avait pris l'habitude
d'assister à des réunions fréquentes
de pieuses personnes, et ne cessait de remuer les maximes
fondamentales de la foi catholique.
Il ne fait aucun doute qu'un jugement secret de Dieu
déterminait sa formation, afin que pas une seule
perfection ne manquât plus tard au Saint homme. Il
était imposant dans sa physionomie, aimable dans
ces entretiens, avisé dans ces actes, d'une grande
éloquence remarquable par la parfaite
pureté de ses murs.
Parvenu au terme de l'adolescence, quand il eut
acquis la robustesse propre à l'âge d'homme,
il choisit une épouse de haute naissance comme
lui, et bien qu'elle fut de la plus noble origine, elle
se révéla toute différente de lui
par son comportement, comme le montrera plus tard le
déroulement de ce récit. Selon nous, si
l'Arbitre caché la voulut indigne de sa naissance,
c'est pour donner à travers elle une preuve
éclatante de la patience du Bienheureux; outre
cela, il avait accoutumé de s'adonner à la
chasse, parce que les domaines où il avait
l'habitude de s'attarder, étaient couverts de
forêts ombreuses et peuplées en abondance,
d'animaux de toute espèce.
En ce temps-là, Pépin le Bref
[premier roi des Francs à être
sacré. Règne de 741 à 768]
gouvernait d'une poigne énergique le royaume des
Francs; notre Saint homme Gengoul à son service,
lié par les obligations du soldat, passait pour un
des plus braves de son armée, doué d'une
âme impétueuse, d'une force intrépide
et d'une grande énergie dans la bataille, il se
montrait parfaitement rompu aux exercices du soldat.
Au terme d'une expédition militaire
menée à bien, au service du roi, alors
qu'il tentait de regagner sa patrie, il advint qu'il
faisait route à travers le pays que les Francs
appellent la Champagne, parce que la terre s'y
déplore sur de longs espaces, où l'on ne
voit que rarement une couverture de feuillages, ou
l'ombre épaisse de forêts.
Or un jour, alors qu'il s'écartait de sa route
et qu'il s'engageait sur un chemin de traverse, avec les
siens pour prendre un petit déjeuner et apaiser la
faim des chevaux en les laissant paître, il arriva
près d'une source où coulaient des eaux
pures et transparentes; ils trouvèrent cet endroit
opportun à souhait pour refaire leurs forces et
tout autant, celle de leurs montures, car il y avait
aussi un gazon encore bien tendre.
Quand ils se furent assis tous ensemble pour se
restaurer, survint un petit bonhomme propriétaire
du domaine modeste où se déroulait la
scène; le Saint homme, sous l'effet de la
charité qui habitait tout son être, l'invita
à partager leur collation. Ensuite au cours du
repas, Gengoul adressant la parole à celui qu'il
venait d'inviter, lui demande de lui vendre, au prix
qu'il voudra bien lui fixer, la source au bord de
laquelle il était assis; l'autre à ces
mots, commença à rire de lui sous cape,
pensant qu'il avait parlé ainsi par sottise. Puis
il commença à s'imaginer qu'il allait
obtenir deux choses à la fois, garder la somme
versée pour le prix convenu et -puisqu'il
était impossible de transférer d'un endroit
à un autre- rester en possession de ladite source.
En effet dans sa cupidité, le propriétaire
de la source, ne se rendait pas compte de la puissance
spirituelle de son acheteur qui fit verser une somme de
cent pièces d'or, au vendeur de la source.
Quand ils eurent mené à bien pendant ce
temps, ce qu'ils avaient à faire pour
réparer leurs forces et qu'ils furent
montés sur leurs chevaux, il s'appliqua à
reprendre la route avec les siens et arriva aux
bâtiments construits sur sa propriété
de Varennes [sur Amance (52) où se trouve
encore aujourd'hui une église dédiée
à ce saint].
Alors à son épouse qui à son
insu, avait déjà criminellement
souillé les liens du mariage qu'elle avait
contracté avec lui, il rapporte tout ce qu'il
avait fait et lui indiqua en plus la somme qu'il avait
payé pour la source mentionnée plus haut;
alors la femme qui était d'un naturel lubrique, et
qui s'efforçait toujours d'interpréter
défavorablement, ce qu'avait fait son mari,
commença à se plaindre secrètement,
en l'accusant de crouler sous la stupidité et de
dilapider à pleines mains son avoir, ajoutant
qu'il ne pouvait retirer aucun avantage de ce qu'il avait
acheté si cher!
En ces jours-là, faisant le tour, pour
inspection des territoires attenants à sa
résidence, il planta dans le sol, un bâton
qu'il portait à la main; puis l'ayant
laissé là, revint chez lui. Le lendemain
matin, à son lever, il s'aperçut qu'il
n'avait pas d'eau pour se laver les mains et le visage;
il ordonna à l'un de ses valets, d'aller en toute
hâte arracher le bâton qu'il avait
fiché en terre et de rapporter au plus vite, pour
ses ablutions, le liquide qui jaillirait à la
suite de son geste.
Et bientôt, dès que le serviteur se
conformant aux ordres du maître, eut arraché
du sol le morceau de bois, immédiatement des flots
énormes jaillirent des entrailles de la terre, en
montrant une couleur, exactement semblable à celle
qu'avait l'autre source, au lieu d'où elle avait
été transportée par la toute
puissance divine.
C'est ainsi que l'espoir vorace du vendeur cupide fut
dépouillé de la source qu'il avait cru
pouvoir garder en sa possession; car plus jamais on ne
vit d'eau couler à l'endroit où elle se
trouvait primitivement.
L'épouse de Gengoul, séduite par un
clerc, apostat perfide qui s'était
dévoyé en quittant la voie de la justice et
de la vie religieuse, se livra en cachette à son
amant. Quand la nouvelle eut été largement
propagée de bouche en bouche, Gengoul finit par en
percevoir un écho, quant un rapport sur cette
iniquité lui parvint; il commença alors
à remuer dans son esprit incertain, des
pensées contradictoires. Parfois lui prenait envie
de ne pas la laisser vivre plus longtemps, pour
éviter qu'en se vautrant à plaisir dans la
fange de ce bourbier, elle ne ternît gravement
l'honneur de la noblesse de Gengoul, par la hideur de son
infamie, mais d'un autre côté, s'il la
condamnait à mourir, il tomberait sous
l'inculpation d'homicide.
Un jour que ses fidèles étaient
absorbés par l'accomplissement de leurs diverses
tâches, il entreprit sans autre compagnie que celle
de son épouse, de faire le tour d'un de ses
domaines, pour en visiter les confins; quand on fut
arrivé près d'une source d'eau vive, il eut
à cur d'apostropher cette femme, ce qu'il
fit en ces termes : "Mon épouse, bien des rumeurs
accablantes et horribles à rapporter se
répandent sur ton compte à tous les coins
de rues; elles sont incompatibles avec ta naissance si
elles sont vraies"
L'autre alors en femme qu'elle était, se mit
à assurer, avec toutes sortes de serments, qu'elle
était injustement diffamée par tout le
monde et qu'elle n'avait jamais été
infectée par la souillure dégradante qu'on
prétendait.
Lui alors répliqua : "La Providence divine
à qui n'échappe aucun secret, mettra en
évidence par des signes irréfutables, la
réalité que tu contestes ! Voici une source
placée bien en vue et qu'un froid glacial ne rend
pas particulièrement froide, ni une chaleur
brûlante, exagérément brûlante
! -Plonge donc la main dedans et retire sans
hésiter le petit caillou qu tu aperçois,
placé au fond. Dieu qui a connaissance de ce qui
est dissimulé, s'il en est bien comme tu le
soutiens, ne permettra pas que tu aies à supporter
la moindre calomnie; mais si tes déclarations sont
mensongères, Il ne tolérera pas longtemps
que ta vilenie reste cachée sans preuve
manifeste".
L'épouse attribuant à l'inertie
intellectuelle ces paroles, comme toutes les autres, que
proférait son mari, ne se le fit pas dire deux
fois et enfonça la main dans l'eau sans crainte;
mais dès qu'elle eut touché le petit
caillou, puis ramené la main à l'air libre,
on put voir aussitôt se rétracter toute la
peau du dos de la main et du bras, sur toute la longueur
que l'eau avait touchée, de telle sorte que l'on
pouvait distinguer la chair à vif et la peau qui
pendait au bout des doigts.
Tout son corps se raidit, paralysé par la
stupeur; se sentant confondue depuis que la Providence
avait mis la réalité en évidence,
elle conjecturait qu'il n'y avait pas d'autre issue pour
elle que la mort suspendue sur sa tête, quand il
lui déclara : "j'avais souhaité si tu
m'étais restée fidèle comme tu le
devais, et si tu avais marché droit en suivant la
loi de Dieu, affronter jusqu'au bout avec toi tous les
périls du monde, en unissant ma force à la
tienne, accueillir tout ce qui serait arrivé
d'heureux, tout ce qui serait arrivé de
fâcheux, bref nous amener tous deux à vivre
ensemble, en pratiquant la patience, à mourir
ensemble dans la joie; donc parce que tu n'as pas eu peur
de te couvrir de ces crimes, tu mériterais la
mort, assurément, mais il est hors de question
pour moi de te tuer de mes mains -Je suis d'avis qu'il
faut te réserver pour le jugement de Dieu".
Il poursuivit "Si tu ne mets pas un terme à
ces vilenies, tu brûleras dans les flammes de
l'enfer avec le diable qui est à l'origine de ta
perversité. Enfin ce que je t'ai donné en
douhaire suivant le droit qui régit le mariage,
garde-le pour avoir de quoi vivre, car à compter
d'aujourd'hui, tu ne me verras plus jamais"
Achevant son discours, il réunit les siens,
monta dans ses chariots et gagna un autre domaine
situé aux abords d'Avallon.
Pendant ce temps, elle ne manqua pas de
perpétrer avec ce clerc exécrable les
abominables forfaits; ils déployèrent des
trésors d'imagination, pour trouver comment le
faire périr; c'est ainsi que le clerc tenta
d'atteindre les endroits où séjournait
Gengoul.
Connaissant parfaitement ses résidences
secrètes, il s'appliqua à atteindre
furtivement le moment où la domesticité
interrompait son service et l'heure où il pourrait
le trouver étendu sur sa couche et plongé
dans le sommeil, pour lui donner la mort, sans être
vu et prendre la fuite en toute liberté. Le moment
venu, il entra dans la chambre de Gengoul et se saisit du
glaive qui se trouvait près du chevet.
Après une courte dispute, il laissa Gengoul
blessé à mort et courut à toutes
jambes pour enfourcher sa monture et prit la fuite au
galop; le clerc couvrit à vive allure, la distance
qui le séparait de la femme honnie de Dieu;
après qu'ils se furent congratulés, il
gagna le coin des latrines, pour soulager son ventre et
dès qu'il eut gagné ce réduit, pour
payer son tribut à la nature, aussitôt il se
vida de ses entrailles et c'est ainsi que le
misérable s'abîma dans l'égout
infernal, sans qu'il lui soit accordé le temps de
se repentir.
Quant à la femme, alors que sa servante lui
indiquait qu'on s'apprêtait à ensevelir le
corps de son époux, suivi d'un grand nombre
d'admirateurs, elle ne put s'empêcher d'affirmer :
"Gengoul fait des miracles, comme en fait mon
derrière".
Aussitôt que cette parole sacrilège fut
sortie de sa bouche, un bruit répugnant monta de
la partie cachée de sa personne, et par la suite,
tout le temps que dura sa vie, elle eut à subir
cette honte, qu'à chaque mot prononcé,
autant ou presque de ces bruits honteux
s'échappèrent de cette partie de sa
personne.
Joseph Pierre Outters, Dijonnais de
Moissey
|